Jean-Noël Guérini, sulfureux patron du conseil général des Bouches-du-Rhône, s’est payé le luxe lundi soir d’annoncer qu’il quittait le Parti socialiste. « C'est une épreuve pour moi, mais j'y suis contraint, a-t-il déclaré dans un communiqué. Ce parti, je ne le reconnais plus, je ne m'y reconnais plus. » Après trois ans de tergiversations et d’enfumage du PS sur son exclusion, ce départ sonne comme un camouflet pour le parti et son premier secrétaire Harlem Désir.
Mis en examen à trois reprises dans une affaire de marchés publics truqués dont certains ont profité à des chefs d’entreprise issus du grand banditisme et récemment renvoyé devant le tribunal correctionnel de Marseille pour « détournement de fonds publics », le sénateur sort donc tête haute du PS où il militait depuis 1967. In extremis, alors que son exclusion devait être actée lors du prochain bureau national du PS le 9 avril selon les instances nationales du PS. «Il avait eu vent que nous allions l'exclure, a assuré mardi Alain Fontanel, secrétaire national aux fédérations. Il m'a appelé vers 17 heures lundi (7 avril, ndlr) pour me dire que c'était une erreur, que si on l'excluait, il nous attaquerait en justice. Et il m'a annoncé que de toutes façons il quitterait le parti.» Une conversation au «ton vif», doux euphémisme pour ne pas prononcer le mot menaçant.
Selon le secrétaire national, Harlem Désir avait pris la décision de réunir le bureau national la semaine dernière, après que Jean-Noël Guérini ait confirmé qu'il présenterait « une liste personnelle aux prochaines sénatoriales ». «Selon les statuts du PS soutenir une candidature dissidente ne permet pas en soir l'exclusion, explique Alain Fontanel. Jean-Noël Guérini nous avait prévenu qu'il nous attaquerait, et nous voulions éviter tout risque juridique, il n'était pas question de lui offrir une réhabilitation judiciaire ! Mais là nous avions un dossier incontestable, avec un acte de dissidence direct qui venait clore une série de soutiens à des dissidents.»
« Depuis maintenant quatre ans, je suis la cible d'attaques de socialistes, qui n'ont eu de cesse de me déshonorer, en distillant des contre-vérités, pour jeter le discrédit et la suspicion sur ce que j'ai fait et sur ce que je suis », s’est plaint Jean-Noël Guérini, qui doit tenir une conférence de presse mardi après-midi. Pour l’ex-socialiste, qui a soutenu des candidatures dissidentes à celle de Patrick Mennucci lors des municipales marseillaises, il s’agit surtout de préparer sa réélection aux sénatoriales de septembre 2014. Le patron du département avait annoncé lors de ses vœux en janvier 2014 qu’il présenterait une liste autonome face à la tête de liste PS pressentie, la sénatrice Samia Ghali. Comment le PS en est-il arrivé là ? Retour sur trois ans de vœux pieux et de reculades.
Dès le 8 décembre 2010, dans une note confidentielle adressée à la première secrétaire Martine Aubry sur « les pratiques de la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône », le député (PS) Arnaud Montebourg recommande sa mise sous tutelle par la direction du parti et la « destitution » de son président, Jean-Noël Guérini. Le document appelé « rapport Montebourg » fuite dans Le Point en mars 2011. Arnaud Montebourg y dénonce des dérives « clientélistes » dans la fédération des Bouches-du-Rhône, parlant de système « féodal ». Le PS temporise : la première secrétaire, Martine Aubry n'y voit « pas d'éléments précis », et son conseiller politique François Lamy dénonce « des affirmations péremptoires » sans « aucune preuve » ni « aucun fait réel ».
Début juillet 2011, le PS adopte les conclusions d'un rapport sur le fonctionnement de sa fédération des Bouches-du-Rhône, à la tête de laquelle Jean-Noël Guérini s’était fait élire président en contradiction flagrante avec les statuts du parti. Mais pas de sanction, ni de contrainte, un simple « contrat de rénovation » est proposé. La rénovation commence très fort avec l’élection à la tête de la fédération le 21 juillet de Jean-David Ciot, alors bras droit de… Jean-Noël Guérini au département.
Le 29 août 2011, Harlem Désir, premier secrétaire par intérim du PS, déclare que Jean-Noël Guérini, convoqué chez le juge d'instruction Charles Duchaine, devra « immédiatement » quitter le Parti socialiste et la présidence du conseil général des Bouches-du-Rhône s'il est mis en examen. « S'il s'agissait vraiment d'une mise en cause sur des chefs d'inculpation aussi graves – on parle de 20 millions d'euros trouvés sur des comptes à l'étranger – en lien avec l'exercice de responsabilités d'élu, je demanderais aux socialistes de faire en sorte que nous prenions des décisions claires, précise Harlem Désir. En tout cas, nous, nous serons extrêmement fermes. » Deux candidats à la primaire, Martine Aubry et Manuel Valls, lui emboîtent le pas lors de la même émission.
Le 8 septembre 2011, Jean-Noël Guérini est mis en examen pour « prise illégale d'intérêt », « trafic d'influence », « complicité d'obstacle à la manifestation de la vérité » et « association de malfaiteurs ». Un chef d’examen rarissime dans les affaires politiques. Mais le PS n'a même pas peur et Harlem Désir se contente d’appeler le sénateur, qualifié quelques jours plus tôt de « boulet moral », à « se retirer du PS et de toutes ses fonctions et responsabilités ». « Cette mise en examen doit marquer la fin du système Guérini », martèle le patron du PS.
Jean-Noël Guérini semble obtempérer... pour mieux rester. Il annonce habilement se mettre « en congé du PS » et délègue « temporairement » à un proche une part de ses prérogatives de président du conseil général des Bouches-du-Rhône. De la poudre aux yeux. Le tribunal administratif de Marseille pointe dans la foulée « un doute sérieux quant à la légalité » et « l’imprécision » de l’arrêté de délégation qui est cassé. Retour à la case départ. Jean-Noël Guérini continue de régner sur les 2,5 milliards d’euros de budget du conseil général où les conseillers généraux PS de la majorité, pétrifiés, sont incapables de s’organiser en un groupe dissident.
Le 2 novembre 2011, le bureau national du PS demande à l’unanimité à M. Guérini sa démission de la présidence du conseil général du département des Bouches-du-Rhône. Il doit en « tirer toutes les conséquences en termes d'exécutif, de présidence et de participation au groupe socialiste au Sénat et au conseil général », indique Benoît Hamon, alors porte-parole du PS. Refus de l’intéressé, qui met au défi les instances nationales de son parti. « Si le bureau national du PS veut établir une jurisprudence Guérini, elle doit s'appliquer de la même façon à tous et partout », pointe le sénateur qui réclame la démission de tous les élus PS condamnés définitivement ou mis en examen.
Le sujet revient sur le tapis lors de la campagne pour la présidentielle. Interrogé par Mediapart le 13 avril 2012, François Hollande bluffe et annonce que Jean-Noël Guérini n’est « déjà plus au PS ». Raté, en octobre 2012, le patron du département vote tranquillement face aux journalistes pour l’élection du premier secrétaire du PS.
Nouveau coup de semonce, le 5 mars 2013, Jean-Noël Guérini et son ancien bras droit le député PS Jean-David Ciot sont mis en examen, respectivement pour « détournement de fonds publics » et recel de «détournement de fonds publics » dans une affaire de licenciement. Le 19 mars 2013, Harlem Désir place la fédération des Bouches-du-Rhône sous tutelle. Mais les tuteurs, Alain Fontanel, secrétaire national aux élections, et son homologue aux fédérations, Christophe Borgel, sont aux abonnés absents à propos du cas Guérini. « C'est un sujet qui est aussi devant nous », éludent-ils fin avril 2013, dans un magnifique numéro de duettistes filmé par Marsactu.
Le 3 juin 2013, le juge d’instruction Charles Duchaine met à nouveau Jean-Noël Guérini en examen. Cette fois, il décroche le gros lot : « trafic d'influence », « atteinte à la liberté d'accès ou à l'égalité des candidats dans les marchés publics » et « participation à une association de malfaiteurs en vue de la commission des délits de trafic d'influence, de corruption et de détournements de fonds publics ». Dans son ordonnance de demande de levée de l'immunité parlementaire du sénateur du 31 octobre 2012, le juge d'instruction marseillais pointe « la gravité de l'affaire, sa très grande complexité et (le) caractère “mafieux” de l'organisation mise au jour »...
Le 10 juillet 2013, François Hollande serait, selon Libération, tombé de haut en apprenant de la bouche de deux élus marseillais, la ministre Marie-Arlette Carlotti et le conseiller général Michel Pezet, que le sénateur était toujours membre du PS.
Mis sous pression, Harlem Désir finit par annoncer le 22 septembre 2013, qu’il veut saisir « dans les prochains jours » la future haute autorité du parti du cas Guérini. Prévue dans les nouveaux statuts du PS adoptés en octobre 2012, la haute autorité est « chargée de faire respecter les règles d’éthique et de droit qui s’imposent au Parti socialiste et à ses adhérents ». Cette fois, « Guérini, c’est fini pour le Parti socialiste », promet le patron du PS. Et de justifier : « Il ne souhaite pas le succès de ces primaires, de nos candidats. »
Une façon de temporiser encore, tempête alors Patrick Mennucci, candidat à la primaire. « Moi j’ai demandé son exclusion à la commission nationale des conflits du PS le 17 juillet 2012, suite à la candidature dissidente de Lisette Narducci soutenue par Jean-Noël Guérini lors des législatives, rappelle le député PS. Je ne vois que deux moyens de l'exclure : soit la commission nationale des conflits, soit une décision du conseil national. Cette affaire-là pollue la campagne. » Le dossier déposé à la commission nationale des conflits en juillet 2012 n'aurait jamais été instruit.
Quatre mois plus tard, le 28 janvier 2014, Harlem Désir répète aux membres du bureau national du parti « qu'il avait décidé de saisir la haute autorité de PS du cas de M. Guérini, pour manquements répétés aux principes de la charte éthique du parti », selon Alain Fontanel, secrétaire national chargé des fédérations. Encore un effet d’annonce, puisque deux mois plus tard, la toute nouvelle haute autorité qui devait instruire le dossier reconnaît ne l’avoir jamais reçu. « Nous avons été saisis formellement puisqu'il y a eu cette annonce, indique à Marsactu le 4 avril 2014 son président, l'avocat Jean-Pierre Mignard. Mais nous n'avons pas encore reçu la requête avec les griefs, les pièces et les annexes. »
Ce qui n’a pas empêché le secrétaire fédéral du PS, le 26 mars 2014 sur France Inter, de laisser entendre que Guérini aurait pris la porte avant de devoir reconnaître, face à l'insistance de Patrick Cohen, que ce n'était pas encore le cas. Le bureau national du PS a été bien plus prompt à radier le 12 mars 2014 Jean-Claude Boscher, qui fut l'un des premiers militants PS à dénoncer publiquement les pratiques de Jean-Noël Guérini et qui a eu le tort de rejoindre une des listes citoyennes de Pape Diouf.
Excédé, le candidat PS aux municipales marseillaises Patrick Mennucci, qui a fait face dans l’entre-deux tours à un accord Gaudin-Guérini sur l’un des secteurs en jeu, laisse deux semaines au PS pour choisir entre lui et Guérini. C’est fait. Mais sans doute pas de la façon dont le député PS l’aurait souhaité. Reste à savoir ce qu'il adviendra au conseil général.
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