Brice Hortefeux est loin d'être l'eurodéputé le plus assidu à Strasbourg. Mais il semble maîtriser à la virgule près le règlement intérieur de l'institution – et en particulier les chapitres portant sur l'immunité des élus. L'ancien ministre, placé sur écoute dans le cadre d'une enquête sur les financements libyens de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, prépare sa riposte depuis Bruxelles. Plusieurs documents dont Mediapart a eu connaissance permettent de détailler cette stratégie, encore loin d'avoir abouti.
En toute discrétion, la commission des affaires juridiques du parlement européen s'est penchée, lundi en fin de journée, sur une demande de « défense de l'immunité parlementaire », déposée par l'ancien ministre de Nicolas Sarkozy en personne. Dans un courrier du 21 mars 2014 adressé à la présidence du parlement, auquel Mediapart a eu accès, Brice Hortefeux explique être victime d'un « déni » : à ses yeux, des juges d'instruction français ont bafoué l'immunité dont il est censé bénéficier, en sa qualité d'eurodéputé, au moment de le placer sur écoute. Il veut donc obtenir du parlement qu'il constate ce qu'il considère être une erreur de la justice française, et en tire les conséquences au plus vite.
Les écoutes auxquelles Brice Hortefeux fait allusion sont celles menées par les deux juges français en charge de l'affaire sur les financements libyens de la campagne de Nicolas Sarkozy – affaire dont les premiers éléments ont été révélés par Mediapart. Ces écoutes ont notamment permis d'établir des contacts, en fin d'année dernière, entre Brice Hortefeux et Christian Flaesch, le patron de la police judiciaire parisienne, le second expliquant au premier comment se « préparer » aux auditions à venir (lire un article du Monde de décembre 2013, un autre de Mediapart de mars 2014).
De quel « déni » parle Brice Hortefeux dans son courrier ? Conformément au règlement intérieur du parlement européen, les eurodéputés bénéficient d'une immunité identique à celle des élus des parlements nationaux de leur pays respectif. En clair : l'immunité de Brice Hortefeux à Strasbourg est calquée sur celle d'un député ou d'un sénateur français. Or, le code de procédure pénal français est formel : « Aucune interception téléphonique ne peut avoir lieu sur la ligne d'un député ou d'un sénateur sans que le président de l'assemblée à laquelle il appartient en soit informé par le juge d'instruction » (article 100-7).
À Strasbourg, le président du parlement européen s'appelle Martin Schulz. Sollicité par l'avocat de Brice Hortefeux dans une lettre datée du 7 janvier dernier, Schulz, un social-démocrate allemand, a fini par répondre, le 10 mars, qu'il n'avait jamais été informé par la justice française de cette démarche de mise sur écoute de l'ex-ministre français, « suivant vérification par mes services et sauf erreur », a-t-il pris soin de préciser, dans un courrier confidentiel qu'a également pu se procurer Mediapart.
Conclusion définitive de Brice Hortefeux: « Il est donc patent, qu'au mépris du principe iura novit curia (le juge est censé connaître la loi, ndlr), les juges d'instruction ayant ordonné mon placement sur écoute, alors qu'ils connaissaient pertinemment ma qualité de député européen, n'ont pas appliqué l'article 9 du protocole sur les privilèges et immunités de l'Union européenne. » D'où la démarche d'Hortefeux, qui a décidé de faire valoir ses droits d'eurodéputé.
D'après nos informations, c'est l'eurodéputée autrichienne du groupe des Verts Eva Lichtenberger qui a été désignée « rapporteur » sur ce texte, au sein de la commission des affaires juridiques. Lors de la séance de lundi, elle a plaidé pour un report de l'examen de cette demande au prochain mandat, arguant en particulier de délais trop courts pour la traduction des documents, et pour la rédaction d'un rapport, d'ici à la séance plénière de la semaine prochaine. Le scénario d'un report est très plausible, puisque Brice Hortefeux, à nouveau candidat pour l'UMP, a de bonnes chances d'être réélu, lors des élections de fin mai.
Les débats sur les immunités parlementaires ne sont pas publics, et il faudra attendre la publication des « minutes », dans les jours à venir, pour prendre connaissance des résultats. Mais toujours d'après nos informations, une majorité des eurodéputés a suivi Lichtenberger, repoussant à un éventuel prochain mandat d'Hortefeux cette demande de « défense d'immunité ». Le groupe du parti populaire européen (PPE, dont Brice Hortefeux est membre) a réclamé la tenue d'une réunion extraordinaire, en marge de la séance plénière qui s'ouvre à Strasbourg la semaine prochaine, mais cette demande a été rejetée. Jointe par Mediapart, Eva Lichtenberger n'a pas souhaité commenter nos informations.
Dans sa lettre du 21 mars adressée à Martin Schulz, celui qui est aussi conseiller régional d'Auvergne estime que « ce déni n'est malheureusement pas un cas isolé ». Brice Hortefeux mentionne le précédent d'un autre homme de droite français, Jean-Charles Marchiani, un proche de Charles Pasqua qui fut député européen de 1999 à 2004. Mis en cause dans plusieurs affaires, ce dernier avait été placé sur écoute, sur décision d'un juge d'instruction parisien, au cours de son mandat. En réaction, le parlement européen avait alors défendu, dans une décision de juillet 2005, « l'immunité et les privilèges » de Marchiani, et exigé « l'annulation » ou « la révocation » d'un arrêt de la Cour de cassation française, allant dans le sens contraire.
Le parallèle entre les deux situations, s'il ne fait pas de doute aux yeux de Brice Hortefeux, reste à prouver. Ce sera sans doute au parlement issu des urnes fin mai d'en décider.
BOITE NOIREJ'ai joint le bureau de Brice Hortefeux à Bruxelles lundi – mais sans retour de l'intéressé.
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