Imprimer des faux tracts peut coûter cher. Le tribunal correctionnel de Béthune (Pas-de-Calais) a condamné Marine Le Pen à une peine de 10 000 euros d'amende, la jugeant ainsi responsable de la diffusion des faux tracts appelant à voter Jean-Luc Mélenchon, son adversaire à l'élection législative de Hénin-Beaumont, en juin 2012. Ce tract, qui utilisait une calligraphie arabe, avait été diffusé par des militants du FN qui avaient été pris sur le fait et photographiés. Mediapart avait identifié des militants d'extrême droite impliqués dans sa distribution.
La présidente du Front national était citée à comparaître, sur plainte de Mélenchon, pour « manœuvre frauduleuse » et publication d'un montage sans le consentement de l'intéressé, délits passibles d'un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende, ainsi que d'une peine complémentaire de privation des droits civiques, autrement dit d'inéligibilité.
« Mme Le Pen conteste violemment avoir commis la moindre infraction et interjette appel immédiatement, a annoncé jeudi dans un communiqué son avocat, Wallerand de Saint-Just. Le jugement rendu aujourd'hui est critiquable : les infractions ne sont pas constituées et de toute façon, Mme Le Pen n'a pris aucune part à la commission de ces prétendues infractions. »
Marine Le Pen avait en tout cas revendiqué publiquement l'action de ses militants, pris en flagrant délit de distribution des faux. La manœuvre frauduleuse consistant à faire croire que Jean-Luc Mélenchon roulait pour la communauté maghrébine. Le tract anonyme, portait la mention « Votons Mélenchon » en français et en calligraphie arabe – mais inversée –, et comportait, sur fond vert, la couleur de l'islam, la photo du leader du Front de gauche ainsi qu'une phrase prononcée lors d'un discours à Marseille, le 14 avril : « Il n'y a pas d'avenir pour la France sans les Arabes et les Berbères du Maghreb. »
Le Front national avait d'abord évoqué, par la voix de Bruno Bilde, alors directeur de campagne de Marine Le Pen, une initiative « individuelle », revenant à « des gens proches du FN », avant de faire le choix de le revendiquer. « Je l'assume totalement », avait déclaré la présidente du FN sur Canal Plus, le 30 mai 2012. « Il n’y a pas de problème. Je ne vais pas signer Marine Le Pen, enfin : c’est un coup médiatique, c’est un coup de communication (...) Non, ce n’est pas déloyal. Il n’est pas déloyal de mettre M. Mélenchon devant ses responsabilités. » Le lendemain, elle avait même promis de nouveaux tracts.
« Vous avez sorti un petit tract, et vous vous êtes fait serrer, vous et vos gorilles qui les diffusez, oui, oui, nous vous avons attrapés ! » lui avait lancé Jean-Luc Mélenchon, sur France 3 Nord-Pas-de-Calais, le 2 juin. « Si j’avais voulu faire ça en secret, je n’aurais pas envoyé mes 100 militants en plein jour, je l’assume totalement (...) Ça marche très bien, tout le monde ne parle que de ça maintenant ! » avait rétorqué Marine Le Pen sur le même plateau.
Le 29 mai 2012, quatre membres de l'équipe de campagne de Mélenchon aperçoivent « des militants du Front national » distribuant ces tracts, à Montigny-en-Gohelle, commune voisine d'Hénin-Beaumont. Les frontistes circulent avec une camionnette Citroën immatriculée dans les Hauts-de-Seine (92), département où se trouve le siège du FN. Les mélenchonistes prennent des photos, empêchent le véhicule de redémarrer et demandent du renfort à leur permanence d'Hénin-Beaumont.
Dans la voiture, ils découvrent un papier sur lequel figure l’inscription « DPS Le Blanc » suivi d’un numéro en « 06 ». Répondant à ce « 06 », un militant frontiste, surnommé « Blanc blanc », avait alors confirmé à Mediapart son appartenance au Département protection-sécurité (DPS), le service d’ordre du Front national. « Je n’étais pas présent à Hénin-Beaumont, déclare-t-il. Je me suis servi de la camionnette pour la présidentielle, et mon numéro est resté dans le véhicule. »
Mediapart s'était alors procuré les douze photos prises par les militants du Front de gauche (lire notre article). Sur ces photos (voir ci-dessous), nous avions notamment pu identifier l'un des animateurs de la campagne de Marine Le Pen à Hénin-Beaumont : Louis-Armand de Béjarry, qui était directeur de cabinet de Steeve Briois, le secrétaire général du FN et suppléant de la candidate.
« Nos gars nous ont appelés à la permanence (de Marine Le Pen), ils nous ont dit “on est coincés, qu'est-ce qu'on fait?” J'y suis allé avec deux militants. Évidemment, c'était des gars qu'on connaissait, ils étaient deux. Je savais qu'ils tractaient mais j'ai découvert ce qu'ils diffusaient en y allant », avait alors expliqué à Mediapart Louis-Armand de Béjarry. Tout en détaillant le but de cette action : « Notre objectif, avec ce premier tract, c'était de confronter Mélenchon à ce qu'il a dit. L'opération a rempli ses objectifs. Il y a eu un buzz, Jean-Luc Mélenchon a été obligé de se justifier, alors que les communistes locaux, d'après ce qu'on savait, lui avait dit “Vas-y mollo sur les questions d'immigration, ici ça ne passe pas, ne rentre pas là-dedans.” Il est de bonne guerre d'utiliser la faille. »
Malgré ses propos assez contradictoires, et cette forme de revendication de l'opération des faux tracts, Louis-Armand de Béjarry a été relaxé par le tribunal correctionnel de Béthune.
Le lendemain matin, des militants du FN avaient à nouveau été surpris par le Front de gauche, à Hénin-Beaumont, selon Jean-Pierre Carpentier.
À l'annonce des plaintes, Bruno Bilde avait précisé que le faux tract était l'œuvre de « proches » et qu'il n'avait pas été financé par le parti, avant de reconnaître, selon l'AFP, que le FN avait été consulté avant l’impression et la distribution du tract. « C'est une condamnation sans faille qui démontre que Marine Le Pen a eu des agissements délinquants, répréhensibles, contraires aux valeurs fondamentales de la République, et c'est un grand jour pour la démocratie », s'est félicitée jeudi Me Raquel Garrido, avocate de M. Mélenchon.
Jean-Luc Mélenchon n'avait à l'époque pas déposé de recours en annulation de l'élection, préférant la plainte pénale. C'est Marine Le Pen, une fois battue de seulement 118 voix par le socialiste Philippe Kemel au second tour, qui avait déposé un recours, rejeté par le conseil constitutionnel en décembre 2012. Lors de cette élection, Jean-Luc Mélenchon avait été éliminé dès le premier tour, récoltant moins de 12,5 % des inscrits (21,46 %), tandis que la candidate frontiste avait totalisé 42,26 % des suffrages et le candidat socialiste 23,72 %.
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