La mise en scène était minutieusement orchestrée. Caméras de télévision, applaudissements nourris et argumentaire ciselé. Mercredi 2 avril, le premier bureau politique de l’UMP organisé après les municipales a pris des allures de sacre pour Jean-François Copé. Quelques heures avant l’annonce du nouveau gouvernement, les responsables de l’opposition se réunissaient pour tirer le bilan du second tour et se remettre en ordre de marche en vue des européennes de mai.
« Il y avait beaucoup de copéistes dans la salle, rapporte le sénateur de la Haute-Savoie Pierre Hérisson, présent lors de la réunion. Ils se sont tous congratulés les uns les autres, comme si rien ne s'était passé avant les municipales. » L'affaire Bygmalion, révélée début mars par Le Point, et l'enquête préliminaire ouverte dans la foulée, semblent avoir été emportées par la “vague bleue”, qui a vu 175 villes de plus de 10 000 habitants – dont une poignée de belles prises comme Toulouse, Reims et Angers – basculer de gauche à droite. Largement critiqué il y a encore quelques semaines, le patron de l'UMP sort requinqué par la performance réalisée par son parti.
Dès l’annonce des premiers résultats, Jean-François Copé s’est empressé de faire sien le succès de l’UMP. « Pour moi, c'est une belle reconnaissance de ma légitimité, a-t-il indiqué au Monde. Je suis satisfait de voir que la stratégie que j'avais prônée a porté ses fruits. » En outre, le patron de l'opposition n'a pas manqué de souligner que l'UMP connaissait sa « première grande victoire électorale à une élection locale » depuis sa création en 2002. Une façon de rappeler que le parti a perdu toutes les élections locales de 2004 à 2012, quand Nicolas Sarkozy régnait sur la droite.
L'un des plus fidèles sarkozystes, Brice Hortefeux, n'a pas relevé le sous-entendu. Il est même l'un des rares, au sein de l'UMP, à avoir reconnu que Copé avait joué « un rôle essentiel » dans le succès de la droite. Les autres ténors du parti, à l'instar de l'ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin, se sont quant à eux contentés de tempérer la victoire, rappelant que “rejet du PS” ne rime pas forcément avec “envie d'UMP”.
« Copé pense que la victoire lui revient, les partisans de la primaire disent que c'est grâce à leur stratégie de renouvellement et les sarkozystes sont persuadés que la victoire tient à la tribune de Sarkozy (publiée dans Le Figaro après la révélation par Mediapart des sept écoutes judiciaires effectuées sur la ligne téléphonique ouverte sous une fausse identité par l'ex-président de la République – ndlr). Comme d'habitude, ça va dans tous les sens », moque un élu sous couvert d'anonymat.
Qu'importe à qui le succès des municipales est dû, chacun sait à qui il profite. « C’est une bouffée d’oxygène pour Copé », assure le député des Hauts-de-Seine Thierry Solère. Fragilisé depuis la guerre pour la présidence de l'UMP fin 2012, soupçonné d’avoir favorisé certains de ses proches au détriment des finances du parti, le patron de l’opposition et ses soutiens cristallisaient toutes les critiques il y a encore quelques semaines. Face à la multiplication des affaires visant la droite, certains élus réclamaient même une opération mains propres dans le parti et un président par intérim, comme l’a raconté Mediapart.
D’autres préféraient repousser le grand ménage après le second tour. François Fillon avait d’ailleurs promis qu’il demanderait rapidement « des explications » à Jean-François Copé sur les comptes du parti. L'ancien premier ministre a tenu sa promesse en demandant, mardi en comité politique, la mise en place d'un comité de surveillance pour superviser la gestion financière de l'UMP. Le président du parti lui a opposé une fin de non-recevoir, indiquant qu’il allait « mettre tous les comptes sur la table dans les semaines à venir et qu'il n'avait rien à cacher », rapporte un élu présent ce jour-là.
Selon Le Monde, le patron de l’UMP a également profité de son succès pour adresser un message très clair à François Fillon et Laurent Wauquiez : « Je n'oublierai pas ceux qui m'ont attaqué pendant la campagne au lieu de me défendre », leur a-t-il lancé en bureau politique. Mais les fillonistes en sont persuadés : l'ancien premier ministre « n'en restera pas là ». « Il insiste pour qu'un audit interne soit réalisé », glisse l'un d'entre eux.
Outre la volonté de faire toute la transparence sur les comptes de l'UMP, François Fillon entend également faire appliquer les nouveaux statuts du parti, en exigeant que le nouveau bureau politique statutaire – qui réunit depuis fin janvier ses partisans, ainsi que ceux d'Alain Juppé, de Bruno Le Maire ou encore de Xavier Bertrand – devienne le seul et véritable organe de décision de l’UMP. Pour ce faire, il a reçu un soutien de poids : celui de Jean-Pierre Raffarin, qui souhaite lui aussi l’installation du nouveau bureau politique.
Cette ligne est également défendue par Alain Juppé. « La place de l’UMP dans le paysage politique français est évidente au lendemain de ces élections municipales, a-t-il déclaré sur RTL. Je ne veux pas ajouter de la confusion à la confusion. J’appelle à jouer collectif. Jouer collectif, c’est travailler avec l’ensemble du bureau politique de l’UMP à la construction d’un programme crédible et solide pour les Français. »
« Aucune décision n’est actuellement prise en bureau politique, confie à Mediapart un proche du maire de Bordeaux. C’est un peu l’auberge espagnole. » « Il faut arrêter de réunir des instances dans tous les sens, surenchérit un élu UMP en “off”. Le fait de mettre beaucoup de monde en bureau politique permet à Copé de noyer le poisson et de prendre toutes les décisions tout seul. C’est l'unique moyen qu’il a trouvé pour garder le pouvoir. »
« Il y a une myriade de réunions qui nous font perdre de la lisibilité, reconnaît le député de Paris et vice-président de l’UMP Jean-François Lamour. Je trouve ça très bien que des sages comme Alain Juppé et Jean-Pierre Raffarin proposent un mode d’organisation plus clair, qui nous permette de parler davantage du fond. » Pour le reste, l’élu parisien estime que les affaires sont désormais « passées au second plan ». « Ce n’est pas la priorité, dit-il. Nous devons rester focalisés sur les européennes. La campagne va déjà être extrêmement courte, ce n’est pas la peine de partir sur d’autres sujets. »
Respecter les statuts, c’est aussi s’en tenir aux primaires qui, comme le rappelait récemment à Mediapart Bruno Le Maire, « ont été voulues par 95 % des militants ». « Ne sortons pas de ce cadre-là, plaide le député de l’Eure. Sortir de ce cadre, en voulant revenir à un chef tombé du ciel qui dirigerait tout le monde, ce n’est pas un processus démocratique. » « Il faut absolument respecter ces primaires, ajoute Jean-François Lamour. C'est cette décision qui nous a permis de sortir de la crise de 2012. Les remettre en question, c’est mettre à mal la dynamique que nous commençons tout juste à recréer. »
« Comme on a gagné les élections malgré les polémiques Copé et Sarkozy, tout le monde se tait et rien ne bouge, regrette le député Lionel Tardy, qui était largement monté au créneau sur l’affaire Bygmalion. Mais aucun problème n'a été purgé depuis l'élection controversée du président l'UMP. Cela viendra, mais quand ? » Contrairement à ce que certains élus espéraient avant les municipales, Jean-François Copé a désormais toutes les chances de rester en poste jusqu’à la fin de son mandat, prévu en novembre 2015. « Les municipales ont momentanément conforté Copé à la présidence du parti, mais ça ne va pas durer longtemps, confie le sénateur de la Haute-Savoie Pierre Hérisson. De façon plus générale, on sent bien que les copéistes sont en sursis. »
« Les ténors n’ont plus aucune raison de réclamer la démission de Copé, explique un autre parlementaire. Ils ne veulent pas se couper de la moitié des militants UMP et ils ont déjà en tête les futurs postes de ministres qu’ils pourraient obtenir en 2017. Ils se disent que c’est juste une question de temps. Copé est tellement cramé que le fait d’être président ne lui apporte pas plus d’avantages. En l’état, l'UMP n’existe plus. C’est une coquille vide pleine de dettes, qui va mourir de sa belle mort. »
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