Ce sera l'un des tests majeurs pour François Hollande et Manuel Valls. L'exécutif socialiste va-t-il enfin tenter de dégager des marges de manœuvre, dans les négociations avec Bruxelles et Berlin, sur la politique économique ? Le nouveau gouvernement devra très vite trancher : il a rendez-vous avec la commission le 15 avril pour présenter son programme de stabilité, avec 50 milliards d'euros d'économies annoncées.
Une partie de la majorité réclame depuis des mois une confrontation plus nette avec la commission. Elle l'a dit encore plus clairement après la débâcle du second tour des élections municipales. Sur un plateau de télévision dimanche soir, le socialiste Benoît Hamon demande de « discuter pour qu’il n’y ait pas qu’un seul arbitre, la commission européenne ». « Il faut rouvrir le jeu », a-t-il plaidé avant de citer l’exemple du chef du gouvernement italien Matteo Renzi. Avant les municipales, le ministre délégué à l’économie sociale et solidaire de Jean-Marc Ayrault l’expliquait déjà à ses proches : « Vu qu'on aura du mal à faire un deuxième temps du quinquennat sur la redistribution, il faut le faire dans la confrontation avec l'Union européenne. C'est comme ça qu'on peut retrouver des marges de manœuvre, notamment financière. »
À l’issue du premier tour, la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann, autre figure de l’aile gauche du PS, estimait également que les socialistes agissent « comme si on ne voulait pas comprendre la claque qu'on a reçue des classes populaires et de notre électorat. Elle est pourtant simple à entendre… Il suffirait de faire enfin de la relance et de se cogner enfin avec Merkel. »
« François Hollande devrait faire de la politique en Europe, et pas seulement de la cuisine. (…) L'Europe n'est pas un espace à rejeter, mais à reconquérir politiquement », estime de son côté Pascal Durand, ex-secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts et tête de liste aux européennes en Île-de-France.
Dimanche, sur son blog, le président de l’Assemblée nationale Claude Bartolone a appelé à « rénover notre discours européen ». « L’Europe fouettarde, l’Europe des règles, l’Europe des disciplines, ça suffit. Moi, j’aime l’Europe. J’aime aussi la France ! Nous devons nous présenter devant Bruxelles et défendre bec et ongles une nouvelle donne européenne, c’est-à-dire de nouvelles protections des travailleurs et de nouveaux investissements européens », a-t-il plaidé.
Les amis d’Arnaud Montebourg sont sur la même ligne et ils espèrent que Manuel Valls les suivra sur ce point. Les plus optimistes se réjouissent de la phrase prononcée lundi soir par François Hollande: « Le gouvernement aura aussi à convaincre l’Europe que cette contribution de la France à la compétitivité et à la croissance doit être prise en compte dans le respect de ses engagements. Car ma conviction est faite : renforcer l’économie française, c’est la meilleure façon de réorienter l’Europe », a-t-il dit lors de son allocution depuis l'Élysée.
Leur constat est simple : les électeurs de gauche reprochent au gouvernement de ne pas avoir tenu la promesse du discours du Bourget et d’avoir concentré sa politique sur la réduction des déficits et du coût du travail. Pour redonner de l’air à la politique de François Hollande, il faudrait donc retrouver des marges de manœuvre budgétaires : impossible sans s’affranchir pour partie des exigences posées par Bruxelles.
Depuis l'élection de 2012, la commission européenne préconise toujours les mêmes recettes, pour sortir l'économie française de sa mauvaise passe : il faudrait à la fois réduire le déficit public (« la consolidation budgétaire »), et doper la compétitivité des entreprises françaises (les « réformes structurelles »). Mais depuis la fin 2013, le ton s'est durci, l'exécutif de José Manuel Barroso estimant que les réformes nécessaires à ses yeux tardaient à se concrétiser, et qu'une nouvelle dérive budgétaire couvait. La commission a ainsi placé début mars la deuxième économie de la zone euro – comme l'Espagne et l'Irlande – sous « surveillance renforcée ». Une première alerte sérieuse.
La publication par l'Insee lundi d'un déficit public plus important que prévu sur l'année 2013 (à 4,3 % contre 4,1 % attendu par Bercy) ne constitue « pas une très grande surprise », selon les services d'Olli Rehn, le vice-président de la commission responsable des affaires économiques. À Bruxelles, c'est peu dire qu'on mise beaucoup sur le pacte de responsabilité annoncé par François Hollande en janvier : « Nous attendons avec impatience de pouvoir analyser les détails » du pacte, avait ainsi déclaré Olli Rehn le 5 mars.
Pour les Français, la prochaine échéance bruxelloise est fixée au 15 avril : d'ici là, les services de Bercy devront avoir communiqué à Bruxelles leur « programme de stabilité » – censé expliquer, dans le détail, comment ils comptent tenir leurs engagements. En particulier pour ramener sous la barre des 3 % du PIB le déficit public, d'ici à la fin 2015. L'an dernier, la commission avait accepté de donner deux ans supplémentaires à Paris pour rentrer dans les clous du pacte de stabilité. Vu de Bruxelles, désormais, François Hollande a grillé tous ses jokers. Et le temps presse : Paris doit « intensifier ses efforts » et prendre des « mesures supplémentaires », a répété lundi le porte-parole d'Olli Rehn.
« La commission nous demande d'expliquer le contenu précis du pacte de responsabilité, mais aussi de dire à quels endroits nous allons trouver les 50 milliards d'économies (annoncées sur la période 2015-2017, ndlr) », résume-t-on côté français. Mais les discussions ne s'arrêteraient pas là.
Selon plusieurs sources, la France espère obtenir un nouveau délai pour la réduction de son déficit, quand la commission exige des mesures dites structurelles encore plus importantes que celles déjà annoncées avec le « pacte de responsabilité » de François Hollande, et davantage de coupes dans les dépenses publiques. Elles pourraient figurer dans un collectif budgétaire avant l’été. C'est la carte que la France va essayer d'abattre dans les semaines à venir à Bruxelles : une mise en place rapide du pacte de responsabilité, en échange d'un nouveau délai sur le front budgétaire. Interrogé sur l'éventualité d'un nouveau délai pour Paris, Olli Rehn, en déplacement mardi à Athènes, a souhaité « rafraîchir les mémoires », rappelant que « le délai donné à la France (avait déjà) été prolongé deux fois ».
Difficile, si l'on intègre cette équation européenne carabinée, de répondre à l’exigence de « justice sociale » manifestée par l’électorat de gauche, selon l’expression de la porte-parole Najat Vallaud-Belkacem. « On est pris à notre propre piège. Là, c’est l’heure de vérité : soit on ne fait que du budgétaire, ce qui va faire très mal à gauche, soit on ne respecte plus la trajectoire promise à Bruxelles », décrypte un conseiller ministériel qui participe aux discussions.
Jusque-là, l’Élysée a refusé tout net d’engager la confrontation. Malgré ses discours de campagne, François Hollande a même fini par renoncer à amender le traité budgétaire européen négocié par Nicolas Sarkozy, le TSCG, adopté à l’automne 2012 par le parlement français. Il s’était alors contenté d’un pacte de croissance d’une ampleur très limitée et dont tout le monde, ou presque, a oublié l’existence.
Plus récemment, « cet hiver, le budget européen a baissé, le président de la République François Hollande avait la capacité de ne pas céder », dénonce l’écologiste Pascal Durand. Disparus également les débats sur le mode de calcul du déficit (exclure les dépenses d’investissement) ou les euro-obligations pour les États en difficulté financière.
Très vite après son élection, le président de la République a semblé peu à son aise dans les méandres européens, renonçant progressivement à se lancer dans une grande bataille sur le fond de la politique menée. À intervalles réguliers, il s’en préoccupe à nouveau, avant de s’en éloigner, et ainsi de suite. « Sur l’Europe, comme sur le reste, le président de la République est insaisissable », lâche un conseiller.
Ces dernières semaines, après la raclée municipale, l’Élysée jugeait encore qu’il fallait aller encore plus loin dans l’application du pacte de responsabilité quand le premier ministre Jean-Marc Ayrault « commençait à se poser des questions » sur les contraintes européennes, selon un proche.
Surtout, François Hollande et ses proches jugeaient qu’il était impossible de renverser la table bruxelloise. Avec toujours le même argument : la peur de la sanction des marchés financiers. « Cazeneuve dit en privé qu'il vaut mieux ne pas arriver aux 50 milliards d’euros d’économies sans affoler les marchés, plutôt que d'assumer », affirmait un autre ministre de Bercy. « Du jour au lendemain, la note de la France serait dégradée, ce qui provoquerait un déficit supplémentaire. Il peut y avoir des aménagements à la marge, mais c’est tout », expliquait aussi un membre du gouvernement, “hollandais” historique.
Dans ce scénario, l'intérêt bien compris de l'exécutif socialiste serait de placer l'un des siens au cœur de la machine bruxelloise, pour mieux faire valoir ses intérêts. Si l'arrivée d'un Ramon Fernandez, l'actuel patron du Trésor, à la tête de la direction générale des affaires économiques de la commission (la puissante « DG ECFIN ») n'est plus d'actualité, le nom de Pierre Moscovici, comme commissaire européen aux affaires économiques, continue, lui, de circuler. À moins qu'Olli Rehn n'essaie de rempiler – ce qui ne serait pas forcément une bonne nouvelle pour les Français.
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