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La fuite en avant économique de François Hollande

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Au lendemain de la déroute des élections municipales, c’est une stratégie de fuite en avant qu’a choisie François Hollande. Tout le confirme. D’abord le choix de Manuel Valls, lui qui incarne l’aile la plus droitière et la plus sécuritaire du Parti socialiste – mais aussi la plus minoritaire. Ensuite dans le choix de la feuille de route plus que jamais néolibérale qu’il lui a assignée dans la conduite de la politique économique et sociale.

De la part de François Hollande, le choix de Manuel Valls a certes une cohérence. Car si François Hollande a osé, dès son accession à l’Élysée, renier tous ses engagements de campagne et poursuivre une politique économique et sociale quasi identique à celle de Nicolas Sarkozy, il a toujours pu compter dans ce domaine sur l’appui indéfectible de son camarade socialiste Manuel Valls. De longue date, Manuel Valls a toujours défendu des idées néolibérales très proches de celles de nombreux cercles patronaux et des instances dirigeantes de l’UMP.

Que l’on se souvienne par exemple des primaires socialistes de 2011, qui ont départagé les candidats qui voulaient se présenter à l’élection présidentielle. À l’époque, Manuel Valls est ainsi celui qui a fait, en matière de politique économique, les propositions les plus droitières sinon même les plus sulfureuses. Il a, en particulier, fait sienne l’idée d’une TVA improprement appelée « TVA sociale », défendue par de nombreux dirigeants de droite. Ce qui, en retour, lui a valu de nombreuses critiques venues de la gauche, et notamment de son propre camp : beaucoup lui ont répliqué qu’une hausse de la TVA, l’impôt le plus inégalitaire qui soit, frapperait d’abord les revenus les plus modestes. C’est en particulier ce que lui avait fait valoir l’un de ses rivaux, Arnaud Montebourg, lors d’un débat organisé pour ces primaires, comme le montre la vidéo ci-dessous :

Manuel Valls avait aussi apporté son soutien implicite à Nicolas Sarkozy qui voulait inscrire dans la Constitution une célèbre « règle d’or », faisant obligation à tout gouvernement de respecter le plafond de 3 % du produit intérieur brut pour les déficits publics. Le candidat aux primaires avait alors contesté les modalités défendues par le chef de l’État mais avait fait sien le principe même de cette « règle d’or ». Or, à l’époque, le PS était vent debout contre cette règle et avait pris la décision de ne pas l'adopter. Pour les socialistes, il était en effet hors de question d’accepter une réduction à marche forcée des déficits publics sous le seuil des 3 % dès 2013, comme le voulait Nicolas Sarkozy. Pour ne pas creuser encore davantage la récession à cause d'un plan d'austérité, ils préconisaient d’étaler dans le temps ces efforts et de repousser à 2014 voire à 2015 le calendrier pour atteindre l’objectif des 3 %. Là encore, Manuel Valls avait donc joué les droitiers de service en se prononçant pour l’austérité à perte de vue.

À tout cela, il faut encore ajouter une autre proposition qui avec le recul retient l’attention : à l’époque des primaires, Manuel Valls s’était aussi distingué en préconisant « un pacte national de croissance » en faveur de l’emploi et « de la compétitivité » Ce n’était pas encore le « pacte de responsabilité » défendu aujourd’hui par François Hollande, mais cela y ressemblait fort.

Les propositions que faisait en 2011 Manuel Valls dans la campagne des primaires socialistes ont beaucoup de points communs avec les mesures mises en œuvre par... François Hollande depuis son accession à l’Élysée. Car lui aussi a mis en œuvre la hausse de la TVA, que la gauche dénonçait avant 2012 ; lui aussi s’est converti à une sorte de « règle d’or », même si elle n’a pas été gravée dans le marbre de la Constitution – en tout cas, la politique budgétaire a pris pour cap l’austérité. Et la « compétitivité » des entreprises est devenue l’alpha et l’oméga de François Hollande.

En fait, quand on se replonge dans la campagne des primaires socialistes, Manuel Valls fait donc un peu figure de précurseur. C’est lui qui préconise de mettre en chantier des réformes jusque-là seulement défendues par la droite.

Or, comme l’auteur de ces lignes l’avait fait observer à Manuel Valls lui-même, lors de la soirée en « live » organisée à Mediapart le 12 mars, son programme dévoilé pour les primaires avait été durement sanctionné par les électeurs de gauche, mais plébiscité dans les milieux les plus libéraux :

De même, il avait reçu les éloges – un tantinet embarrassants – de The Economist, la bible planétaire des cercles les plus libéraux et des marchés financiers, dans son édition du 26 août 2011 : « Hélas, M. (Manuel) Valls, qui est âgé de 49 ans, est considéré comme étant trop jeune pour être un concurrent sérieux (…) Le jour où les paléo-socialistes de la génération Mitterrand permettront à de tels personnages d'émerger, ce sera l'aube d'une vraie révolution. » Dans les jours suivants, même le très conservateur éditorialiste du Figaro, Ivan Rioufol, avait entonné le même refrain : « Manuel Valls a bien compris que la modernité exigeait de se libérer des archaïsmes et des aveuglements…(Malheureusement), il paye son réformisme par une marginalité qui le rend inaudible. »

On comprend donc pourquoi le choix de François Hollande de porter Manuel Valls à Matignon relève d’une fuite en avant. Car celui qu’il nomme premier ministre est celui-là même qui a souvent fait scandale par ses propositions au sein de la gauche, jusque dans les rangs socialistes. En somme, c’est bien la preuve que François Hollande n’a strictement rien compris – ou ne veut strictement rien comprendre – aux leçons des élections municipales : sanctionné pour avoir bafoué toutes ses promesses de campagne enracinées à gauche, il choisit comme premier ministre l’homme qui symbolise le plus… ce reniement !

Quand on se replonge dans le programme des primaires socialistes de Manuel Valls, il n’y a en fait que deux propositions qui n’ont pas ensuite été mises en œuvre par François Hollande, une fois élu président de la République. Il s’agit d'abord d’une réforme visant à instaurer une retraite par point : défendue par beaucoup d’experts de droite et par la CFDT, ce dispositif qui pourrait conduire à une individualisation des systèmes de retraite, et donc à leur implosion, avait été repris à son compte par Manuel Valls. De même, ce dernier s’était aussi distingué en faisant chorus avec la droite pour revendiquer un « déverrouillage des 35 heures », comme le confirme cet entretien réalisé le 2 janvier sur Europe 1 :

La réforme des 35 heures, telle qu’elle a été mise en œuvre par Lionel Jospin, s’est certes fortement écartée du projet socialiste, initialement très ancré à gauche, et a entraîné une flexibilité accrue pour les salariés, ainsi qu’une modération salariale encore aggravée. Mais, plutôt que de dénoncer ces dérives, Manuel Valls est venu en appui des milieux patronaux pour plaider pour encore davantage de flexibilité.

La fuite en avant de François Hollande saute également aux yeux lorsque l’on observe ce qu’il a exposé lundi soir, lors de son allocution télévisée.

D’abord, il ne tire aucun enseignement de la colère des électeurs de gauche. Le fameux « pacte de responsabilité » voulu par le chef de l’État, qui va prolonger les 20 milliards d’euros de crédit d’impôt du « choc de compétitivité », et porter au total à 30 milliards d’euros le montant total des allégements fiscaux et sociaux accordés aux entreprises d’ici 2017, est donc plus que jamais d’actualité. « Le redressement du pays est indispensable », a plaidé le chef de l’État.

Or, ce « pacte » présente de nombreux dangers. D’abord, ces allègements sont consentis aux entreprises sans aucune réelle contrepartie ni le moindre contrôle. En clair, le dispositif risque de ne susciter que des effets d’aubaine, sans contribuer à relancer l’emploi ou l’investissement. De surcroît, ce « pacte de responsabilité » de 30 milliards d’euros va peser sur les finances publiques, au moment précis où elles sont en crise, et où, pour la surmonter, François Hollande veut en sus imposer un plan d’austérité de 50 milliards d’euros. En clair, pour un objectif incertain, Manuel Valls va mettre en application un « pacte de responsabilité » qui va, par avance, préempter toutes les marges de manœuvre disponibles, et même au-delà.

Mais la fuite en avant va encore plus loin puisqu’en outre, François Hollande a dit aussi qu’il attendait du nouveau premier ministre qu’il mette en chantier une baisse « rapide » des cotisations payées par les salariés ainsi qu’une baisse des impôts « d’ici à 2017 ». Ces deux chantiers viennent donc confirmer que, loin d’entendre la colère des électeurs de son camp, François Hollande veut donner des gages complémentaires à la droite.

Certes, le chef de l’État a essayé de convaincre l'opinion du contraire. Il a dit qu’il était « temps aujourd’hui d’ouvrir une nouvelle étape » et qu’il était « prêt à faire les inflexions nécessaires ». Ces deux dispositions ont été présentées dans le souci de faire croire que si l’Élysée faisait des gestes aux entreprises, la gauche saurait aussi en faire aux salariés, pour conforter leur pouvoir d’achat. En clair, ces mesures auraient pour ambition de donner un souffle social à une politique économique, celle conduite par Jean-Marc Ayrault, qui jusque-là en manquait.

L’artifice de présentation ne doit, toutefois, pas faire illusion. D’abord, on ne connaît pas en effet les modalités précises du dispositif de baisse des cotisations sociales des salariés, à laquelle le chef de l’État a fait allusion, ni son mode de financement. Mais si les premières indiscrétions qui ont filtré sont exactes, cela ne pourrait être que de la poudre aux yeux. Car si une baisse des cotisations intervenait au profit des salariés les plus modestes, avec pour financement une suppression au moins partielle de la prime pour l’emploi (PPE) qui profite également… aux salariés les plus modestes, il s’agirait d’un pur et simple tour de bonneteau. En clair, la disposition ne contribuerait en rien à redresser le pouvoir d’achat des salariés les plus modestes puisqu’on leur donnerait d’une main ce qu’on leur reprendrait de l’autre.

Une baisse des cotisations sociales s’inscrit dans une philosophie de politique économique qui est clairement ancrée à droite. Pour parler clair, c’est une mesure piochée dans la boîte à outils du néo-libéralisme. Dans cette philosophie, on ne parle pas de « cotisations » sociales, mais de « charges » sociales – de charges qui sont en réalité des boulets qui entravent les entreprises et nuisent à leur compétitivité. Ces charges, il faut donc les alléger à vive allure, quitte à mettre en danger le modèle social français.

La baisse des impôts promise « d’ici à 2017 » – comme le chef de l’État l'avait suggéré dès son allocution du 31 décembre 2013 – s’expose à la même critique car elle constitue une violation de plus des engagements pris par lui, lors de la campagne présidentielle. Car la promesse initiale était de conduire une « révolution fiscale », passant notamment par une fusion de l’impôt sur le revenu et la contribution sociale généralisée (CSG), dans la perspective de la refondation d’un véritable impôt citoyen progressif.

Ce projet de « révolution fiscale » a été abandonné en chemin, au profit du projet d’une taxe à 75 % sur un nombre ultra-restreint de contribuables, ceux dont les revenus étaient supérieurs à 1 million d’euros – projet qui a, lui-même, été abandonné au profit d’une taxe sur les mêmes revenus, mais à la charge des entreprises. Au total, la grande réforme de l’impôt sur le revenu a donc été définitivement abandonnée. Et l’injustice de ce prélèvement, qui est devenu dégressif pour les plus hauts revenus, est restée inchangée.

Or voilà soudainement que François Hollande fait encore une nouvelle reculade. Fini la « révolution fiscale » ! Adieu la « remise à plat » plus modeste, annoncée par Jean-Marc Ayrault ! C’est maintenant d’une baisse de l'impôt sur le revenu qu'il est question, sans calendrier précis. C’est d’une politique fiscale libérale qu'il est maintenant également question pour les ménages. Et l’évocation du pouvoir d’achat des plus modestes, pour justifier ce projet, risque fort de ne relever, cette fois encore, que du tour de bonneteau. Car un geste sur l’impôt sur le revenu, ciblé sur les contribuables les plus modestes, profite par construction à toutes les autres tranches du barème, y compris les plus riches. Et puis surtout, les 50 % des Français qui ne sont pas assujettis à l’impôt sur le revenu, qui sont les plus pauvres, ne seraient pas concernés par une telle réforme.

Se ralliant à une politique néolibérale qui fait le jeu des entreprises et du patronat (lire Hollande: cap sur le néolibéralisme), François Hollande choisit une politique fiscale identique pour les ménages. Il n’empêche ! Cette nouvelle cohérence ne présente plus aucune différence avec celle que défendait Nicolas Sarkozy jusqu’à l’alternance...

De cette fuite en avant, il y a enfin un dernier symptôme. Comment François Hollande compte-t-il financer tout cela ? Faisons l’addition ! François Hollande veut en effet programmer un pacte de responsabilité qui atteindra 30 milliards d’euros en régime de croisière ; en plus, il faudra prendre en compte la baisse des cotisations des salariés qui vient d’être annoncée, dont le financement est encore incertain ; en plus, il faudra aussi prendre en compte la baisse des impôts que le chef de l’État a laissé miroiter. Et dans le même temps, François Hollande va devoir confirmer d’ici au 15 avril à Bruxelles les modalités pratiques du plan d’austérité de 50 milliards d’euros qu’il a annoncé pour réduire des déficits publics toujours plus importants que prévu.

Du coup, on ne comprend plus bien comment François Hollande compte s’y prendre pour tout faire à la fois, une chose en même temps que son contraire : engager plus de dépense fiscale, tout en réduisant davantage les déficits. Veut-il secrètement laisser filer les déficits publics plus que prévu, lui qui s’était singularisé dès 2011 en plaidant pour un respect strict des contraintes du pacte de stabilité ? Ou veut-il accentuer le plan d’austérité, au moment même où l’Europe est menacée par un danger déflationniste ?

Ces interrogations sont pour le moins inquiétantes. François Hollande met le cap à droite toute, mais dans un climat de panique qui n’augure rien de bon…

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