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Les plans sociaux ont pesé lourd dans la défaite de maires PS

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«Incontestablement, le national a beaucoup pesé. Sans doute aussi la façon dont a été perçu le résultat du conflit Arcelor-Mittal, à tort de mon point de vue, comme un échec et une trahison. » Ainsi réagissait sur les ondes de France Bleu, au soir du premier tour, Philippe Tarillon, le maire PS sortant de Florange, en Moselle, la ville des Arcelor-Mittal. Les ouvriers de la sidérurgie, sacrifiés par le géant de l’acier Lakshmi Mittal, avaient placé massivement leurs espoirs en François Hollande durant la campagne présidentielle de 2012.

Balayé à sa grande surprise dès le premier tour (42,37 %) par l'UMP Michel Decker (57,63 %), l’élu, figure du socialisme local, qui a soutenu les salariés tout au long de leur lutte, a subi un camouflet cinglant. La ville était tenue par le PS depuis 1989. Dans cette vallée de la Fensch, tombeau de la sidérurgie française, Philippe Tarillon fait sans nul doute les frais du dossier Arcelor-Mittal, ce plan social géré de manière calamiteuse au sommet du pouvoir : le ministre du redressement productif Arnaud Montebourg promettant une nationalisation temporaire aux salariés, alors que le premier ministre Jean-Marc Ayrault validait le plan de restructuration.

© Reuters

Sept jours plus tard, après un entre-deux tours plombé par les chiffres du chômage toujours aussi mauvais et la loi Florange censurée par le Conseil constitutionnel, à quelques kilomètres de là, c’est Philippe David, le maire-voisin de Hayange, autre ville rose concernée par le dossier Arcelor-Mittal, qui chute de haut. La commune des deux derniers hauts-fourneaux de Lorraine, mis sous cocon en avril 2013, a choisi le Front national, le parti de Marine Le Pen, qui savoure là l’une de ses victoires les plus symboliques dans une autre terre minière.

Fabien Engelmann, ouvrier trentenaire, syndicaliste exclu de la CGT après son ralliement au FN lors des cantonales de 2011, ravit la mairie avec 36 % des voix. Il profite de ses adversaires (PS, divers droite et liste sans étiquette), qui n'ont pas réussi à s'unir dans l'entre-deux tours, et du marasme économique et social. Dans la vallée, sa campagne contre les partis « mondialistes et européistes » qui « a laissé tomber les travailleurs » a porté.

À l’image de ce conflit, l’un des plus médiatiques du début de quinquennat Hollande, les plans sociaux ont souvent été un « caillou dans la chaussure » des maires sortants socialistes, pour reprendre la formule du leader emblématique des Arcelor-Mittal, Édouard Martin, aujourd’hui tête de liste PS aux européennes dans l’est. Le métallo, encarté à la CFDT, rappelait Jaurès aux socialistes il y a un an sur Mediapart. À regarder de près la nouvelle carte de la France, on constate que dans plusieurs communes frappées par des fermetures d'usine, la droite et l'extrême droite ont capitalisé sur ces crises et le chômage record sur fond d'abstention massive.

En Seine-Saint-Denis, à Aulnay-sous-Bois, cité populaire où l'usine automobile PSA a été vidée de ses 3 000 salariés après des mois de conflit, c'est un coup de tonnerre. Aidé par un taux d'abstention de plus de 43 %, un ancien policier et leader syndical très marqué à droite, Bruno Beschizza, renverse le socialiste sortant Gérard Ségura qui avait conquis la ville en 2008. À la tête d'une liste d'union de la droite, Beschizza qui a aussi surfé sur la théorie du genre pour séduire l'électorat musulman avec le livre Mehdi met du rouge à lèvres, récolte 60,70 % des voix, loin devant Ségura, 39,30 %. Ce dernier avait pourtant mis sur sa liste la syndicaliste Tanja Sussest, figure du SIA, le syndicat maison de PSA .

« L'affaire PSA a clairement joué un rôle dans la défaite de Ségura. Pendant quatre mois de grève, on ne l'a pas vu alors qu'au début du conflit, il paradait à nos côtés pour empêcher la fermeture de l'usine », analyse un délégué syndical CGT de l'usine Aulnay qui a vu « rouge » lorsqu'en février dernier, le maire PS a accueilli sur sa liste Tanja Sussest, « une figure du syndicat patronal ». En 2008, il avait milité pour l'élection de Ségura au pied des barres en béton de la cité des 3000. Six ans plus tard, il a appelé « à ne pas voter pour lui et la clique du PS » : « Ils nous ont vendu le changement mais ils ont empiré la situation des classes populaires. »

© Reuters

Dans le Nord, Roubaix et Tourcoing passent à droite. À Roubaix, où la section PS s'entredéchire depuis des mois (ce qui a conduit à sept listes de gauche sur dix candidatures) et où le premier parti reste celui de l'abstention (61,58 % au premier tour), l'UMP Guillaume Delbar ravit la mairie au socialiste Pierre Dubois (34,85 % contre 33,18 %). Le FN qui était absent en 2008 du second tour fait près de 15 % (19,31 % au premier tour). Roubaix, c'est le siège de la « Vieille dame », comme on appelle La Redoute, l'un des derniers fleurons de l'industrie textile. Deuxième employeur de la métropole lilloise, l'entreprise emploie 2 400 salariés et prévoit de supprimer 1 178 postes.

Dans cette ville sinistrée de près de 100 000 habitants où 45 % de la population vit avec moins de 977 euros par mois, le chômage caracole à plus de 30 % et le feuilleton du rachat de La Redoute par Kering a été au cœur de la bataille pour la mairie.

« Il n'y a jamais eu autant de salariés de La Redoute sur les listes. Les candidats se les seraient arrachés », raconte Jean-Claude Blanquart, le délégué central CFDT (syndicat majoritaire du groupe) qui a fini par signer à contrecœur le protocole d'accord du plan social, fâchant une bonne partie de la base qui le trouve insuffisant. Dix-huit délégués sur vingt-cinq ont démissionné ce lundi. Certains parlent de créer une section Force ouvrière...

Un peu plus loin, à Wattrelos, où se trouvent les 1 400 ouvriers de la plateforme logistique de La Redoute, là où le futur plan social devrait être le plus violent, le socialiste Dominique Baert a été réélu dès le premier tour mais à quel prix : il perd 16 points par rapport à 2008 et devra composer avec six conseillers FN. Le parti de Marine Le Pen se classe deuxième avec 25 % des voix, 17 points de plus qu'il y a six ans.

Dans la Somme, Amiens, la ville de l'usine de pneus Goodyear qui a supprimé 1 143 postes et fermé ses portes le 22 janvier dernier après sept années de lutte des salariés, repasse à droite par l'intermédiaire de l'UDI et voit pour la première fois le FN se qualifier au second tour. Brigitte Fouré qui avait occupé le fauteuil de maire, de 2002 à 2007 quand Gilles de Robien était devenu ministre, recueille 50,39 % des suffrages, contre 33,80 % à Thierry Bonté (PS-EELV-UG), et 15,80 % à Yves Dupille (FN). Au premier tour, elle avait vingt points d'avance sur son rival socialiste.

On peut citer aussi Vendôme, dans le Loir-et-Cher, berceau de l'usine d'électroménagers FagorBrandt, la filiale française du groupe espagnol Fagor placée en redressement judiciaire en novembre dernier, menaçant 3 000 emplois (1 800 salariés et un gros millier de sous-traitants sur quatre sites). Pascal Brindeau, le candidat du centre-droit, bat Catherine Lockhart du parti socialiste (51,89 % contre un peu plus de 37 % des voix). En 2008, cette ville de plus de 16 000 habitants avait élu la gauche à 51,43 % et le FN était absent du scrutin. Cette fois, il s'est qualifié avec 14,26 %. 

Une autre commune qui abrite un site Fagor bascule. La gauche perd La Roche-sur-Yon, îlot socialiste depuis des décennies dans une Vendée enracinée à droite. L'UMP Luc Buard, qui a réuni la droite et le centre, s'impose avec 53,9 % des voix devant le socialiste Pierre Regnault, qui avait gagné la ville en 1977. 

En Bretagne, qui vit une crise dans l'agroalimentaire sans précédent, à l'origine du mouvement des Bonnets rouges, la gauche accumule les défaites. Bernard Poignant est battu à Quimper par l'UMP Ludovic Jolivet. Châteaulin (Finistère), où se trouve le siège social du volailler Doux qui a licencié en juin 2013 1 000 salariés pour la plupart sans emploi aujourd'hui, reste à droite, tout comme Josselin (Morbihan) et Lampaul-Guimiliau (Finistère) où sont situés les abattoirs de porcs Gad qui ont défrayé la chronique l'automne dernier.

© Reuters

Guerlesquin (Finistère), fief du volailler Tilly-Sabco, tombe : le socialiste Paul Uguen (29,52 %) a été largement battu au second tour par le divers droite Gildas Juiff (47,62%). Un sort que n'ont pas connu le maire divers gauche de Carhaix, leader des Bonnets rouges, Christian Troadec, réélu dès le premier tour, ou le maire divers droite de la ville des Gad, Lampaul-Guimiliau, Jean-Marc Puchois, réélu avec 76,52 % des suffrages exprimés, contre 23,48 % pour le divers gauche Éric Georgelin.

Florange, Hayange, Aulnay, Roubaix, Amiens... Ces exemples confirment combien ce scrutin ne s'est pas uniquement joué sur des enjeux locaux. « C'est la politique ultralibérale du gouvernement qui est sanctionnée. Il se dit de gauche mais mène une politique de droite », réagit Mickael Wamen, le délégué syndical CGT de l'usine Goodyear à Amiens-Nord qui se souvient des promesses de Hollande alors candidat à la présidentielle sur le parking de leur usine il y a deux ans. Il ne se remet pas d'avoir été placé durant 38 heures en garde à vue mercredi dernier avec quatre autre élus CGT dans le cadre d'une information judiciaire pour violences et dégradations, et n'est pas surpris de voir Amiens tomber dans l'escarcelle de la droite : « Les Français sont largués par un président complètement déconnecté de la réalité et qui, en plus, refuse de la voir. Chez nous, les ouvriers vomissent sa politique, ses cadeaux fiscaux, ses milliards d'exonérations de charges aux patrons, aux riches, rien pour les pauvres. L'UMP a gagné mais elle sera battue dans quelques années. C'est le rejet des partis hégémoniques, de l'ensemble de la classe politique. »

Ce point de vue est partagé par Édouard Martin. L'ancien leader CFDT des Arcelor-Mittal, désormais candidat socialiste aux européennes, ne décolère pas, a « mal à (sa) France » devant cette « défaite de la démocratie » : « Le mal est très profond. Ce n'est pas uniquement le PS et sa ligne politique mais toute la classe politique qui est sanctionnée. L'UMP, qui a oublié qu'elle était responsable des maux de ce pays pour l'avoir dirigé durant des années, et le FN n'ont pas à pavoiser quand on voit les taux d'abstention. Ils ont donné à ces élections locales un enjeu national et cela a marché dans le contexte de crise. »

Pour Édouard Martin, qui ne dédouane pas son parti, à quelques jours de la présentation du pacte de responsabilité, il est urgent que l'exécutif revoie sa copie en matière de politique économique et sociale : « Les Français souffrent du chômage, des fermetures d'usine, des hausses d'impôts. Ils ne comprennent rien à la politique de Hollande. Ils me disent : ''Le gouvernement n'a plus de fric pour nous mais il trouve 50 milliards pour les patrons pour baisser le coût du travail en raclant dans nos poches.'' Leur message aujourd'hui, c'est ''vous nous avez fait rêver mais on vit toujours le cauchemar''. Mais Hollande est piégé. Il ne peut pas se dédire sur la question du pacte ou alors il doit partir. » Il a aussi deux questions à poser à Pierre Gattaz, le patron du Medef : « Êtes-vous content de ces élections ? Avez-vous envie d'être dans un pays géré par le FN puisque c'est le résultat de vos prises de position qui ont conduit les Français vers les extrêmes ? »

En janvier 2013, au plus fort de la crise gouvernementale sur le dossier Florange, le syndicaliste avait prévenu Ayrault et Montebourg : « En privilégiant les intérêts d'une multinationale, en vous inclinant devant Mittal, vous allez faire monter les extrêmes. » Un an plus tard, il le vérifie dans sa vallée et s'étrangle : « À Hayange, le programme du nouveau maire FN Engelmann, c'est de construire un pigeonnier pour protéger les pigeons, pas de rallumer les hauts-fourneaux et de redonner du boulot aux Hayangeois ! Cherchez les pigeons ! »

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