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Valls, au risque de la fracture à gauche?

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Nomination à Matignon, déflagration à gauche. Au lendemain d’une lourde sanction dans les urnes, François Hollande a finalement décidé de se séparer de Jean-Marc Ayrault, au profit de Manuel Valls (lire notre récit ici). Une option à laquelle se préparaient depuis plusieurs jours, sans y croire vraiment, de nombreux responsables à la gauche du PS et les écologistes. Désormais, le changement de premier ministre, sans changement de cap, est une nouvelle réalité pour ceux qui se désespèrent plus ou moins silencieusement des orientations du pouvoir élu en 2012, et espèrent non moins secrètement une remise en cause du socialisme de l’offre.

Les premiers à dégainer ont été les deux ministres écologistes, Cécile Duflot et Pascal Canfin. Dans un communiqué publié quelques minutes après l’allocution élyséenne, ils font feu sur le quartier général, disent « prendre leurs responsabilités » et tirer « toutes les conséquences » de la promotion de Manuel Valls, qu’ils ont pourfendu publiquement par le passé. Pour les deux écolos, les Français attendaient « avant tout un changement de cap qui réponde à la demande de réforme, de justice, d’écologie et de modernité du pays. » Avant de préciser qu’il ne s’agit pas d’« une question de personne, mais bien d’orientation politique », en rappelant leur doute face à « la cohérence des discours et des actes » incarnée par la nomination de Valls.

« Les idées portées par le nouveau Premier ministre depuis plusieurs années, notamment lors de la primaire du parti socialiste ou comme ministre de l’intérieur ne constituent pas la réponse adéquate aux problèmes des Françaises et des Français, concluent-ils. Nous pensons qu’un nouveau cycle politique doit s’ouvrir : la construction de solutions innovantes ne pourra pas se faire dans une orthodoxie parée du masque du changement. »

Jean-Marc Ayrault, Hollande, Valls, DuflotJean-Marc Ayrault, Hollande, Valls, Duflot © Reuters

Pour autant, le futur gouvernement Valls pourrait contenir en son sein un ou plusieurs écologistes. Mais ceux-ci seraient alors nommés à titre individuel. Dans les arcanes du pouvoir, les noms de Nicolas Hulot ou Dominique Voynet ont par exemple régulièrement circulé. Un vote du conseil fédéral d’Europe écologie-Les Verts (EELV) doit trancher ce samedi la position du mouvement sur la participation gouvernementale. « Nous avons reçu beaucoup de soutiens depuis quelques jours, indique un proche de Cécile Duflot, qui a défendu jusqu’au milieu de ce lundi après-midi la nomination de Bertrand Delanoë. Une bonne majorité du parti ne votera pas la confiance au gouvernement. Après, il peut y avoir des débauchages, mais ce serait dommage qu’ils soient préférés au partenariat politique que nous défendions. Mais que Valls privilégie une méthode sarkozyste, ce ne serait pas étonnant en soi. »

Ce lundi soir, les dirigeants d’EELV ont tenu un bureau exécutif téléphonique où les oreilles ont chauffé, deux heures durant. Elargie aux eurodéputés, la réunion n’a pas été de la plus extrême des franchises, beaucoup suspectant des journalistes de faire partie de l’assistance. Pour autant, le soutien aux ministres démissionnaires semble ne pas faire débat, aux dires des participants. « Ce n’est plus une histoire de ligne rouge ! explique Nicolas Dubourg, dirigeant écolo. Hollande était au courant à l’avance des positions de nos ministres à propos de Valls et du changement de politique souhaitée. Il a fait un choix délibéré. »

Les députés socialistes, eux, semblent avoir été pris de court par l’annonce. A part les aficionados de Manuel Valls, peu ont réagi. Mais d’ores et déjà, une cinquantaine d’entre eux menace de ne pas voter la confiance si le nouveau gouvernement ne donne pas d’« inflexions » sérieuses en matière économique et européenne. Lundi soir, ces députés critiques se sont réunis à l’Assemblée nationale. Une réunion convoquée en urgence, après la déroute municipale : la « coalition du courage », assurait, avant la rencontre, Christian Paul, proche de Martine Aubry; le prélude à une « rébellion parlementaire » prophétisait Laurent Baumel, de la Gauche Populaire. Parmi eux: les aubrystes, les représentants de l’aile gauche, les “montebourgeois”, la Gauche populaire et des députés sans chapelle précise.

Très critiques sur Ayrault, ils se gardaient lundi soir de tout jugement hâtif sur le nouveau premier ministre : « Ce n’est pas une question de personnes, mais de ligne », entend-on. Pas question de tancer, du moins pas encore, les positions sur l’immigration ou les Roms de Manuel Valls, ou encore ses prises de position très sociales-libérales (favorable à la TVA sociale, opposé aux 35 heures, etc.) « Ce n’est pas parce que Valls a été social-libéral à la primaire qu’il le sera toute sa vie », plaide Pascal Cherki, proche de Benoît Hamon. Des députés assurent que la ligne droitière de Manuel Valls était surtout un moyen pour lui de se distinguer au sein du PS. Ils racontent avoir de bons rapports de travail avec Valls – Ayrault, lui, était réputé cassant et ses services désorganisés. D’autres se souviennent aussi avoir vu Manuel Valls soutenir le “non” au référendum européen en 2005. Avant de défendre avec la même vigueur le “oui” du parti. 

Benoît Hamon et François HollandeBenoît Hamon et François Hollande © Reuters

A la sortie, les 50 « courageux » restaient prudents : pas de blanc-seing automatique au nouveau gouvernement, « la confiance, ça se mérite ». Sur le fond, ils réclament une « inflexion de la ligne » sur la politique européenne, plus d’investissements, un pacte de compétitivité avec des contreparties, plus de pouvoir d’achat. Dans le texte qu’ils sont en train de rédiger, ces députés pourraient demander le dégel du point d’indice des fonctionnaires ou des efforts pour les retraités modestes. « Il est temps de retrouver le discours du Bourget », plaide Philippe Baumel, un autre proche de Martine Aubry. Les parlementaires de la majorité espèrent aussi pouvoir peser, enfin, sur la politique gouvernementale.

Autre demande : un « contrat de majorité ». « Le temps du Parlement est venu. Il faut un dialogue loyal avec le président et le premier ministre pour élaborer la feuille de route du gouvernement », affirme Christian Paul. « Tout ne peut plus être décidé par un seul homme ou par un bout de patronat et quelques syndicats », explique Pouria Amirshahi. En réalité, tous attendent surtout de voir casting gouvernental, le discours de politique générale de Manuel Valls, et la réalité de la « nouvelle étape » promise par François Hollande. Déjà, les élus de la gauche populaire, qui souhaitaient le départ de Jean-Marc Ayrault et réclamaient depuis des mois un discours « républicain » plus affirmé, ne cachent pas leur satisfaction.

Mais des voix ouvertement plus critiques se font déjà entendre. « Si la réponse au vote FN qui monte c’est “rassurez-vous on va continuer à expulser comme sous Sarkozy”, je pense qu’on s’est trompé de signal, même si Manuel Valls ne se réduit pas à cela, explique Barbara Romagnan, proche de l’aile gauche du PS. Le sujet, ce sont les classes populaires qui ne votent plus à gauche. Je me demande si, au fond, ce n’est pas une façon structurelle de ne rien changer. »

Du côté du courant de Benoît Hamon, Un monde d’avance, on ne cache pas non plus son scepticisme. « En attendant les déclarations d’intention politique, ce que je ne comprends pas, c’est le choix du périmètre gouvernemental retenu, soupire Guillaume Balas, responsable du courant. Désormais, on a un gouvernement “PS contesté + PRG”. Donc l’interprétation des résultats des municipales, c’est un rétrécissement de la majorité, autour d’un socialiste qui a fait 5,6% à la primaire, sur la ligne la plus à droite ? » Ce “passif” interroge aussi dans le camp écologiste : « Prendre un mec qui a été le dernier des socialistes à la primaire pour répondre à une crise de la représentativité, c’est étonnant… », dit ainsi un député EELV. Quant à l’attitude de Benoît Hamon, qui pourrait être nommé à la tête d’un grand ministère sous Valls, elle ne suscite pas un enthousiasme effréné chez Balas : « Il fera son choix. La sortie des Verts rend le scénario compliqué, mais c’est à lui de voir. »

« La nomination de Manuel Valls est précipitée. Je ne suis pas sûr que Valls permette de répondre aux électeurs de gauche qui ne se sont pas déplacés parce qu’ils contestent la ligne économique du gouvernement, s’étonne quant à lui Emmanuel Maurel, dirigeant de l’autre aile gauche du parti, le courant Maintenant à gauche. Ce choix est étrange. Manuel Valls a une histoire : il a défendu une ligne économique et sociale minoritaire au PS. » « Même s’il est très bien dans les sondages, il incarne l’aile droite du PS, qui n’est déjà pas très de gauche », résume Marie-Noëlle Lienemann.

Au Front de gauche, l’heure est à l’abasourdissement. Côté communiste, la perspective de ramener le PS plus à gauche s’éloigne un peu plus. « François Hollande n'a pas écouté le message des Français. A part le premier ministre, rien ne change », a déploré Pierre Laurent. Le secrétaire national du PCF voit dans la désignation de Valls « une fuite en avant, un choc pour les électeurs de gauche qui ont manifesté leur mécontentement et leur désarroi lors du scrutin municipal ». Et d’estimer que « François Hollande tourne le dos à la gauche ».

Lui comme Jean-Luc Mélenchon (et le NPA) appellent à marcher le 12 avril, contre l’austérité et, aussi, ce gouvernement, même si les mots d’ordre diffèrent toujours. L’ancien candidat à la présidentielle du Front de gauche estime ainsi qu’« une alternative éco-socialiste existe dans ce pays » et souhaite rejeter « l’imbroglio droitier Hollande/Valls ».

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