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Comment Hollande a choisi Valls

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C’est une véritable OPA. Lundi 31 mars 2014, François Hollande a annoncé la nomination de Manuel Valls à Matignon, en remplacement de Jean-Marc Ayrault, carbonisé par la débâcle des municipales. Un choix à rebours du message envoyé par les électeurs de gauche qui ont massivement sanctionné la politique menée depuis bientôt deux ans. Mais la bulle sondagière et médiatique a fait de l’ex-ministre de l’intérieur le seul recours possible pour un président de la République pris au piège de ses propres errements.

« En votant ou en vous abstenant, vous avez exprimé votre mécontentement et votre déception. J’ai entendu votre message, il est clair », a dit d’emblée le président de la République. Parlant de « trop de lenteur », de « trop de chômage », de « trop d’impôts », de « pas assez de justice sociale » et même, diagnostic improbable, de « pas assez de simplification ». « Je n’oublie pas qui m’a fait confiance, qui m’a élu, ni pourquoi je suis dans cette responsabilité », a-t-il également promis, tout en estimant que Manuel Valls est le mieux à même d’y répondre.

« Il est temps aujourd’hui d’ouvrir une nouvelle étape. J’ai donc confié à Manuel Valls la mission de conduire le gouvernement de la France. Il en a les qualités. Ce sera un gouvernement resserré, cohérent et soudé. Un gouvernement de combat », a annoncé François Hollande, lors d’une allocution enregistrée à l’Elysée et diffusée à 20 heures.

Sur le fond, le président de la République a sans surprise confirmé l’orientation fondamentale de sa politique, celle d’une politique économique de l’offre incarnée par le pacte de responsabilité annoncé le 14 janvier dernier. « Ce sont les entreprises qui créent les emplois. (...) La première des injustices, c’est le chômage », a résumé Hollande en deux phrases que l’Elysée répète depuis des semaines comme le cœur de son analyse.

S’il n’a fait que mentionner rapidement la transition énergétique, le président a repris la proposition de Claude Bartolone d’assortir le pacte de responsabilité d’un « pacte de solidarité ». Sans beaucoup de détails quant à son contenu, hormis la promesse d’une baisse des impôts pour les ménages (comme sous Jospin!) et des cotisations payées par les salariés. Sur le front européen, Hollande a également fait le service minimum mais réutilisé une de ses expressions presque tombées en désuétude depuis dix-mois, « réorienter l’Europe ». Résultat, les deux ministres écologistes Pascal Canfin et Cécile Duflot, qui ont plaidé en vain pour une réorientation de la politique menée et pour la nomination de Bertrand Delanoë à défaut d’une reconduction d’Ayrault, ont annoncé qu’ils ne participeraient pas à une nouvelle équipe dirigée par Valls (lire notre article).

Quelques minutes auparavant, Jean-Marc Ayrault disait au revoir à ses équipes à Matignon, en train de faire leurs cartons. L’ancien maire de Nantes, choisi par Hollande avant la présidentielle, paie évidemment la débâcle historique des socialistes aux municipales qui ont perdu plus de 150 villes de plus de 10 000 habitants, dont certains bastions historiques. Les élus du PS étaient furieux et réclamaient une tête. Certains députés, en plus de Pouria Amirshahi et Barbara Romagnan, menaçaient de ne pas voter le pacte de responsabilité de Hollande si c’était l’ancien maire de Nantes qui venait le leur présenter en réunion de groupe le 8 avril.

En coulisses, l’affrontement a été violent au sein du gouvernement et a maintenu le suspense de longues heures lundi. « Tout s’est accéléré en cinq heures. On a tous été pris de court et les socialistes ont l’air de l’avoir été plus encore », dit un dirigeant écologiste. Quand le premier ministre est reçu à l’Elysée lundi matin, rien ne filtre de leur échange. Selon un proche, Hollande n’a pas dit à Ayrault le sort qu’il lui réservait. « Il semblait encore hésitant », dit-il.

Mais depuis de longs mois, plusieurs ministres importants témoignaient de leur agacement vis-à-vis de Matignon et dénonçaient l’incapacité chronique de Jean-Marc Ayrault à animer politiquement le gouvernement. « Il faut quelqu’un qui tienne l’équipe gouvernementale. Aujourd’hui, les discussions sur les grandes orientations politiques se font à l’Elysée, autour du président de la République, de façon constructive. Ce sont des réunions où il y a un vrai débat politique. Avec Ayrault, on a des discussions d’arbitrage, mais seulement en face-à-face… Il a un problème de personnalité. L’ossature d’une politique gouvernementale, ce n’est pas l’addition de dialogues en tête-à-tête », expliquait récemment Marisol Touraine, ministre sortante.

Ces derniers jours, et même dans la journée de lundi, plusieurs membres du gouvernement ont également menacé de claquer la porte si Jean-Marc Ayrault était maintenu à son poste. C’est notamment le cas d’Arnaud Montebourg qui avait rédigé une lettre de démission, au cas où. Depuis l’épisode Florange, au cours duquel il avait déjà menacé de partir en claquant la porte, l’ancien candidat à la primaire ne masquait pas sa détestation de l’ex-maire de Nantes, jugé trop faible, voire carrément nul.

Parallèlement, celui qui vantait en 2011 les vertus de la démondialisation, s’est rapproché de Manuel Valls. Tout comme le patron de l’aile gauche du PS, Benoît Hamon – Mediapart le racontait mi-mars. Vincent Peillon se disait lui aussi bien plus vallso-compatible que disposé à travailler avec Ayrault.

Entre les cabinets de François Hollande à l’Elysée et de Jean-Marc Ayrault à Matignon, les relations s’étaient fortement tendues ces derniers mois. A la fois sur la forme et sur le fond. Plusieurs conseillers du président de la République plaidaient en privé pour un remplacement du premier ministre et pour une nomination de Manuel Valls. « Il est populaire, volontaire, il incarne une ligne attendue par les Français. Il est déterminé dans sa politique et dans sa méthode. Et il est complémentaire avec François Hollande », expliquait l’un d’eux il y a un mois.

Manuel Valls sur le perron de l'Elysée avec François HollandeManuel Valls sur le perron de l'Elysée avec François Hollande © Reuters

Un des hommes forts de l’Elysée, Aquilino Morelle, est également un « ami », selon ses mots, de Manuel Valls. C’est lui qui a œuvré au rapprochement avec Arnaud Montebourg. « Ils partagent un même républicanisme intransigeant, un même volontarisme économique et un même réalisme du point de vue de la construction européenne », expliquait début mars à Mediapart le conseiller politique de Hollande.

A l’inverse, les collaborateurs de Jean-Marc Ayrault à Matignon ne se privaient plus de commentaires acerbes à l’égard de l’Elysée. C’est presque toujours le cas sous la Ve République. Mais le niveau de tension était monté jusqu’au premier ministre. En privé, l’ancien maire de Nantes s’est plusieurs fois plaint du fonctionnement de l’Elysée, et donc de celui de Hollande.

Dimanche soir, en petit comité, Ayrault s’est même « lâché sur la gouvernance du président ». « Il nous a dit que c’était difficile de faire quoi que ce soit avec cette instabilité permanente. Depuis le début, il y a un problème de fonctionnement. Hollande gère, puis lâche, puis reprend », explique un proche. « L’immense majorité des couacs étaient des couacs politiques, défend une autre proche d’Ayrault. C’étaient des désaccords exprimés par des ministres sans qu’ils soient recadrés par le président…»

Jusqu’au dernier moment, Ayrault s’est battu pour sa confirmation à Matignon. En novembre dernier, il était parvenu en tordant le bras de François Hollande sur la mise en œuvre d’une réforme fiscale. La semaine dernière, il a fait dire à son entourage qu’il fallait rééquilibrer la politique du gouvernement, sans évidemment la révolutionner, et qu’il incarnait une « ligne sociale-démocrate et pas sociale-libérale ». « Qui d’autre que Jean-Marc Ayrault peut trouver un équilibre entre toutes les composantes de la majorité ? Et faire le grand écart avec les socialistes, les écologistes et les radicaux de gauche », insistait encore un proche missionné pour délivrer la bonne parole à la presse. Ayrault s'est à plusieurs reprises confronté à Manuel Valls, sur les Roms ou sur l'expulsion de la jeune Leonarda et de sa famille.

© Reuters

D’où l’étrange déroulé de l’annonce de la démission d’Ayrault. Ce n’est que dans l’après-midi que plusieurs sources gouvernementales ont indiqué le choix de Manuel Valls, confirmé ensuite par son entourage à l’AFP, avant que Matignon, via le cabinet de Jean-Marc Ayrault, ne grille la politesse à l’Elysée. Et c’est un conseiller de Matignon qui a été remettre la lettre de démission du gouvernement à l’Elysée. « Ayrault a été démissionné », déplore un de ses amis.

Ces dernières heures ont aussi montré jusqu’à l’absurde les limites du régime présidentiel de la Ve République, renforcé par le quinquennat où les électeurs ont sanctionné le seul homme qui ne peut pas être remplacé : François Hollande. Le premier ministre, aussi critiquable soit-il, n’est qu’un fusible. Sans compter que le président de la République a choisi pour le remplacer le ministre le plus populaire, favori des sondages et de certains médias. Un soutien bruyant qui ne repose pourtant ni sur une assise à l’Assemblée nationale, ni sur un courant puissant au parti socialiste, ni sur un soutien chez les sympathisants de gauche. Lors de la primaire de 2011, Manuel Valls n’avait même pas recueilli 6% des suffrages.  

Sur le fond, le choix du ministre de l’intérieur sortant confirme que l’Elysée reste convaincu que la déroute électorale des municipales ne signe pas un démenti de sa politique. Concrètement, depuis le premier tour, deux analyses s’affrontaient au sein de l’exécutif : pour les uns (dont les proches de Manuel Valls), les électeurs avaient essentiellement sanctionné le manque de lisibilité de l’action gouvernementale, les “couacs”, et le déficit d’animation politique de Jean-Marc Ayrault, dont l’intervention catastrophique au soir du premier tour des municipales semblait le symbole.

« Pas de problème de ligne, mais un problème de forme », a expliqué en privé Yves Colmou, proche collaborateur de Valls. « Avec le choix de Valls à Matignon, Hollande répond au besoin de cohérence dans l'action gouvernementale et à la nécessité de l'énergie dans l'action », a tweeté le président de la commission des lois, le député Jean-Jacques Urvoas, « ami » revendiqué de Manuel Valls. Une partie du PS, et du cabinet de François Hollande à l’Elysée, sont aussi convaincus de la droitisation profonde de la société française à laquelle le républicanisme intransigeant voire autoritaire de Valls pourrait répondre.

Pour les autres, les plus nombreux, les électeurs ont exprimé une demande de gauche et d’écologie – c’est l’analyse faite par EELV, par Jean-Marc Ayrault, Claude Bartolone, l’aile gauche et les aubrystes. « Les citoyens ont légitimement le sentiment que ce gouvernement a renoncé à transformer la société. Qu’une oligarchie politique et économique dirige le pays et que le gouvernement n’y a pas mis fin », explique l’eurodéputé EELV Yannick Jadot. Avant d’ajouter: « Dire que les Français n’ont pas compris est insupportable. Ils ont compris que jusqu’à maintenant, le gouvernement s’était plus inquiété de convaincre le Medef de sa crédibilité que de combattre le chômage hors du logiciel libéral européen. Et le symbole Valls, ce n’est pas celui de plus de social et de plus d’écologie. » « Si c’est Valls, Hollande nous fait Guy Mollet », soupirait dès dimanche un conseiller ministériel.

Sur le papier, Valls ne dispose donc pas d’une majorité politique sur sa ligne. D’où l’idée de certains aubrystes, des proches d’Arnaud Montebourg ou même de Benoît Hamon que le nouveau premier ministre va revenir sur sa gauche en composant son gouvernement et en préparant son discours de politique générale avant le vote de confiance des députés attendu fin avril. Montebourg pourrait monter en grade, avec un ministère économique élargi au commerce extérieur, et Hamon pourrait devenir ministre d’Etat. Valls va aussi tenter de débaucher des écologistes.

« Le seul avantage de Valls, c’est qu’il n’a pas de pensée économique. Comme il ne pense rien, il va travailler avec sa majorité. Cela ne peut pas être pire que ce qu’on a fait ces deux dernières années où les députés étaient menacés de sanctions dès qu’ils étaient en désaccord », décrypte un conseiller ministériel, peu suspect d’amitié vallsiste. Selon la même source, Valls est aussi « assez intelligent pour ne pas abîmer son image » : « Sa popularité aujourd’hui est à droite. Elle va s’effondrer quand il sera premier ministre. Donc il va vouloir gagner à gauche sur la question économique. » Une prédiction partagée par les amis de Montebourg, qui parient aussi sur une plus grande association des parlementaires et un affranchissement plus net des injonctions élyséennes.

La passation des pouvoirs entre Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls est prévue mardi, avant la nomination du nouveau gouvernement mercredi pour un premier conseil des ministres jeudi.

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