Une défaite historique, une masse de statistiques électorales, un remaniement en vue, la perspective des élections européennes, cette abondance d’événements majeurs autour du résultat des élections municipales laisse peu de place à l’analyse du comportement des électeurs, dans le secret de l’isoloir. Or, au-delà des causes politiques profondes de ce raz-de-marée (151 villes de plus de 10 000 habitants perdues par la gauche, dont 10 villes de plus de 100 000 habitants), l’analyse des reports entre deux tours révèle d’importants changements dans l’attitude des électeurs. À droite ils se rassemblent, à gauche ils s’éparpillent.
- Droite/extrême droite : vases communicants
Les triangulaires redoutées par la droite ont finalement été fatales à de nombreux maires classés à gauche, surtout des socialistes. L’une des raisons de ce phénomène tient naturellement à leur affaiblissement, dès le premier tour, mais elle s’explique aussi par un nouveau réflexe à droite. Jusqu’à présent, les électeurs du Front national et ceux de l’UMP, ou des divers droite, vivaient leur vie derrière des cloisons presque étanches. C’est fini.
Des “échanges” informels mais concrets ont eu lieu un peu partout. Ils sont sonnants et trébuchants.
Dans les quelques villes où le Front national était le candidat le mieux placé face à la gauche, y compris lorsque celui de l’UMP restait en lice, on note un transfert de voix de droite en sa faveur. À Carpentras, le député UMP Julien Aubert perd plus de trois points qui participent à la progression du candidat Bleu Marine, Hervé de Lépinau, finalement battu par le socialiste Francis Adolphe. Même phénomène à Avignon, où l’UMP Bernard Chaussegros, troisième à l’issue du premier tour, “offre” trois points et demi au Front national Philippe Lottiaux, dans une sorte de vote utile. Autre exemple à quelques kilomètres, au Pontet, où le Front national Joris Hebrard est élu en récupérant la quasi-totalité des électeurs d’un candidat divers droite, tandis que son adversaire UMP a rassemblé les suffrages du socialiste du premier tour, qui s’était retiré pour “faire barrage”.
À Hayange, à l’issue d’une quadrangulaire, l’UMP et le PS se partagent les réserves de voix de gauche, tandis que le Front national finalement élu, Fabien Engelman, paraît avoir récupéré près de quatre points sur le candidat divers droite qui en perd le même nombre. Encore les vases communicants : le “barrage” a cédé devant l’addition d’une partie de la droite classique et de la droite extrême.
Dans la plupart des villes, l’addition des deux droites s’est produite en faveur de l’UMP, ou de l’UDI, ce qui est logique puisque les candidats de ces formations devançaient presque partout ceux du parti lepéniste. À Ajaccio, Laurent Marcangelli a été rejoint par les électeurs FN du premier tour. Même chose à Angers pour Christophe Béchu, à Argenteuil pour Georges Mothron, à Aubagne où le FN perd 9 points dans la triangulaire tandis que l’élu UMP en gagne 5 entre deux tours, à Auxerre où le copéiste Guillaume Larrivée gagne 8 points entre deux tours quand le FN laisse 9 points dans la triangulaire. Il sera finalement battu par le sortant PS…
À Caen, Joël Bruneau fait un bond de 26 points en une semaine, et bat le sortant Philippe Duron. La progression correspond à l’intégralité des voix de l’UDI (18 %) et du FN (7,5 %). Ce transfert des électeurs FN vers ceux de la droite parlementaire provoque la chute de la gauche à Argenteuil, Chambéry, Corbeil, Laval, Limoges, Quimper, Reims, Roubaix, Saint-Étienne, et ce ne sont que des exemples.
- Parti-socialiste/gauche de la gauche : reports problématiques
La droite doit donc une partie de ses succès à une capacité de rassemblement plus grande entre les formations dites “républicaines” et le Front national. Mais elle remporte aussi des villes, notamment lorsque les scores sont serrés, quand le PS a rencontré certaines difficultés à rassembler les électeurs écologistes, communistes, Front de gauche, Parti de gauche, voire extrême gauche.
Lorsque le vase communicant entre la droite et l’extrême droite a fonctionné, et que les reports n’ont pas été parfaits à gauche, la ville a systématiquement basculé. C’est le cas des municipalités citées plus haut, Argenteuil, Saint-Étienne, ou Quimper.
Lorsque le sortant a réussi l’amalgame de toute la gauche, quelques sièges de maire sont sauvés ou conquis. Ça ne s’est pas passé à Aubagne, Caen ou Toulouse, le plus souvent parce que la participation supplémentaire a fait venir aux urnes des renforts favorables à la droite. Mais la capacité de rassemblement a fonctionné victorieusement à Auxerre, Avignon, Metz, Strasbourg… Là-bas, l’addition théorique des voix de gauche au premier tour se concrétise au second, quand elle ne s’amplifie pas…
- Le front républicain existe encore à gauche
Une dernière observation. Elle concerne le fameux front républicain, donné pour mort par l’UMP, par la presse, et par les politologues. C’est vrai qu’il n’existe plus à droite, et qu’un front inversé est même en voie de constitution. Un front Bleu Marine et Bleu Horizon pour faire barrage à la gauche, du rose clair au rouge foncé.
Mais le front républicain anti-Front national a pourtant la vie dure à gauche, et on en trouve des traces dans les résultats du dimanche 30 mars. S’il avait disparu, Brignoles aurait un maire Front national : entre deux tours Laurent Lopez, le candidat lepéniste ne progresse que de trois points alors que Josette Pons, la gagnante UMP, fait un bond de 24 points. Le candidat socialiste avait appelé à faire barrage à l’extrême droite. Il avait fait 27 % le 23 mars !
À Cavaillon, le PS s’est maintenu mais n’a pas conservé ses voix. Plus de 4 % sont allés vers le sortant UMP, qui a été réélu.
À Forbach, l’UMP ainsi qu’un divers droite se sont maintenus dans une quadrangulaire, mais l’un a perdu 7 points, et l’autre 8. Hasard ou raison de cause à effet, le PS en a gagné 14, et le bras droit de Marine Le Pen, Florian Philippot, a été battu.
À Perpignan, dans le duel opposant le frontiste Louis Aliot à l’UMP Jean-Marc Pujol, les “réserves” de droite pesaient 12 points, et celles de gauche 21 (dont le PS qui avait retiré son candidat). Résultat : Aliot a gagné 10 points entre deux tours, et l’UMP 24,4. Hasard ou nécessité ?
Le front républicain n’est donc pas mort. Il existe encore dans la tête des électeurs de gauche. La vérité, c’est que l’UMP a inventé un contrat d’un nouveau style pour l’abolir tout en le perpétuant : il stipule qu’elle n’en veut plus, sauf quand elle en bénéficie.
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