Branle-bas de combat dans la majorité. Dimanche soir, les parlementaires socialistes ont été choqués par l’ampleur de la défaite. Dans leurs circonscriptions, tous ont vu fondre les suffrages accordés au PS. Dans l'attente d'un remaniement, beaucoup exigent un changement de cap.
Lundi soir, aubrystes, élus de la gauche populaire et de l’aile gauche du PS se retrouvent à l’Assemblée nationale. « Une coalition des courages pour ne pas subir », assure Christian Paul, proche de Martine Aubry. « Les maires ont payé très cher la facture de l’indifférence du pouvoir de gauche à l’égard des gens d’en bas. La rébellion parlementaire s’impose, affirme Laurent Baumel de la Gauche populaire. Pas de confiance au prochain gouvernement sans changement de fond. » Bastions socialistes, Ile-de-France, désaveu des maires cumulards… Le cœur du système PS est atteint.
- Ces fiefs PS qui tombent
Et la « Rome du socialisme » bascula. Personne ne s’attendait à ce que Limoges, capitale de la Haute-Vienne, passe à droite. La ville, où naquit la CGT en 1895 et où la SFIO tint un de ses premiers congrès, était à gauche depuis 1912. Dans ce Limousin dont Hollande est l’élu, le député et maire Alain Rodet, digne héritier du système socialiste – le parti tient la région, le département, tous les sièges de parlementaires – est défait.
Certes, ces municipales marquent pour le PS la perte de toute une série de villes, culturellement de droite, qui avaient été conquises en 2008. Mais en même temps, c’est le socialisme qui est touché au cœur. Limoges est sans conteste le symbole de la déroute, ou en tout cas du début de déclin, de plusieurs systèmes socialistes locaux qui faisaient figure de bastions inexpugnables. « Il y a un problème de rapport au pouvoir et de pratique du pouvoir chez certains nos élus », se désole Jean-Marc Ayrault en privé.
À Niort (Deux-Sèvres), que le PS détenait depuis 60 ans, Geneviève Gaillard (une députée et maire, elle aussi) a été éliminée dès le premier tour. Tours, détenue depuis 1995 par le sénateur socialiste Jean Germain, passe à droite. Nevers, ancienne ville de Pierre Bérégovoy, socialiste depuis 1971, se donne à la droite. Ribérac (Dordogne), tenue pendant trente ans par le puissant sénateur socialiste Bernard Cazeau, bascule. Brive-la-Gaillarde (Corrèze), tenue par Philippe Nauche (autre cumulard) repasse à droite.
Narbonne et Carcassone (Aude, une grosse fédé PS) virent à droite. Comme Pau, socialiste depuis 1971. À Grenoble, la victoire des écologistes est une gifle pour Michel Destot, député et maire depuis 1995, qui a échoué à faire élire son dauphin. Un chapelet de villes de Drôme, d’Ardèche, de la Loire basculent : Roanne, Saint-Chamond, Saint-Étienne, Valence, Privas, Romans-sur-Isère… En Ariège, où tout est rose, le premier fédéral socialiste, fils (et héritier potentiel) du potentat Augustin Bonrepaux est défait.
Le socialisme municipal de l’Ouest vacille lui aussi : Angers et la Roche-sur-Yon, conquises en 1977 et conservées depuis, basculent. Quimper, la ville du conseiller de l’Élysée Bernard Poignant, aussi. À Caen, Philippe Duron, un des plus gros cumulards de France est défait. Le reflux n’épargne pas le Nord et le Pas-de-Calais, grosses fédés socialistes : Michel Delebarre, seigneur de Dunkerque depuis 1989 et coiffé de multiples casquettes, est sorti par son ancien adjoint (divers gauche) ; Roubaix, Maubeuge et Tourcoing basculent à droite.
Dans l’Est, Charleville-Mézières, à gauche depuis la Seconde Guerre mondiale, passe à droite. Comme Belfort, ex-bastion de Jean-Pierre Chevènement. Dans la vallée de la Fensch-Lorraine, où ArcelorMittal a fermé ses derniers hauts-fourneaux, le système PS, jadis tout-puissant, montre son épuisement. Hayange, l’ancienne capitale de l’acier, se donne au Front national. À quelques kilomètres, Florange a basculé à droite au premier tour.
Dès cette semaine, une série impressionnantes d’intercommunalités et d'agglomérations tenues par les socialistes vont basculer à droite, à commencer par Lille, Lyon, Bordeaux, Marseille. Et Paris. Dans les mairies et les intercommunalités, c’est une grande valse des personnels et des permanents qui s’annonce : outre sa bérézina, le PS va aussi devoir gérer un plan social massif.
- Ile-de-France : la déroute de la gauche
La fameuse “vague bleue” annoncée depuis plusieurs mois par Jean-François Copé a d’abord submergé la région Ile-de-France où l’UMP a conquis plusieurs bastions historiques de la gauche. En Seine-Saint-Denis, la droite a gagné trois fiefs du PC (Saint-Ouen, Bobigny et le Blanc-Mesnil) et récupéré la troisième ville de 93, Aulnay-sous-Bois, perdue en 2008. Le très sécuritaire Bruno Beschizza s’y est largement imposé face au maire socialiste sortant Gérard Ségura.
Au Raincy, l’UMP Éric Raoult est contraint de lâcher le fauteuil qu’il détenait depuis 1995. L’ancien ministre, qui était arrivé en tête au premier tour, s’est finalement incliné au second face à la liste divers droite menée par Jean-Michel Genestier. Avec les victoires de Villepinte et Livry-Gargan où le DVG Alain Calmat était élu depuis 1995, l’UMP compte désormais 21 mairies en Seine-Saint-Denis, contre 19 à gauche. Le président PS du conseil général du 93, Stéphane Troussel, a réagi dans Le Parisien, estimant que « le résultat de ces municipales (sonnait) comme un avertissement sévère à l'égard du gouvernement et du président de la République ».
La droite assoit sa suprématie dans les Hauts-de-Seine où Nicole Goueta, 76 ans, récupère Colombes, tombée aux mains du PS en 2008. Après six ans de parenthèse socialiste, l’ex-député et maire UMP Manuel Aeschlimann remporte Asnières, en battant le maire sortant Sébastien Pietrasanta de 70 voix. L’édile socialiste Gilles Catoire, réélu à Clichy avec plus de 31 % des suffrages exprimés, est désormais le seul maire des 36 communes du département.
Plusieurs villes du Val-d'Oise et du Val-de-Marne basculent également à droite. C’est le cas d’Argenteuil, de Beaumont-sur-Oise, de Méry-sur-Oise, de Taverny, de Montmorency, de Queue-en-Brie et de Jouy-le-Moutier, mais aussi et surtout, de Villejuif, emblème historique de la “banlieue rouge”. Communiste depuis 1925, cette commune du sud de Paris est tombée entre les mains d’une étonnante coalition UMP-UDI-EELV-DVG.
En Seine-et-Marne, l’UMP a également fait basculer plusieurs bastions comme Chelles et Roissy-en-Brie. Mais c’est en Essonne que le PS essuie ses plus lourdes défaites. La réélection du maire sortant UMP Jean-Pierre Bechter à Corbeil-Essonnes, bras droit du sénateur Serge Dassault mis en examen pour « recel d’achat de votes » et « financement illicite de campagne », symbolise la débâcle de la gauche dans l’ensemble du département, où les socialistes ont connu une véritable « hécatombe », selon les propres mots du président PS du conseil général du 91, Jérôme Guedj.
La gauche a ainsi perdu quelques-uns de ses fiefs historiques, comme Athis-Mons, Igny, Villabé ou encore Chilly-Mazarin. Palaiseau, la ville du ministre de la ville François Lamy, est elle aussi passée à droite. Le socialiste Francis Chouat est difficilement réélu à Évry au terme d'une triangulaire. Manuel Valls figurait pourtant en troisième position sur sa liste.
Dans les Yvelines, l’ancienne ville des socialistes Michel Rocard et Jean-Paul Huchon, Conflans-Sainte-Honorine, est passée à droite après 37 ans de règne socialiste. Les résultats du second tour ont confirmé les bons scores réalisés par la droite dimanche dernier dans ce département où l’UMP avait gagné trois communes (Poissy, Bois d'Arcy et Rosny-sur-Seine) dès le premier tour.
Les Yvelines sont également le premier département de France à compter un édile FN. Il s’agit de Cyril Nauth, un enseignant de 32 ans, devenu maire de Mantes-la-Ville – commune historiquement à gauche – en devançant de 61 voix la maire sortante socialiste Monique Brochot, à l’issue d’une quadrangulaire.
La déroute de la gauche en Ile-de-France rebat les cartes du Grand Paris. Car même si la capitale est restée à gauche, la métropole, qui verra le jour au 1er janvier 2016, a désormais toutes les chances de passer à droite, la gauche ayant perdu dimanche soir la majorité au futur conseil métropolitain. « Ce qui est train de se passer en Ile-de-France est un séisme pour la majorité !, indique à Mediapart le sénateur et maire UMP de Pavillons-sous-Bois, Philippe Dallier. On n’aurait jamais imaginé reprendre tant de villes, il se passe vraiment quelque chose. »
Dès le lendemain du second tour, le secrétaire général des Hauts-de-Seine, Roger Karoutchi, s’est emparé du sujet en actant dans un communiqué que « les ambitions de Bartolone, Le Guen et autres socialistes pour présider la Métropole du Grand Paris ont été balayées par la débâcle du PS aux municipales en proche couronne parisienne ».
Fort des résultats obtenus en Ile-de-France par la droite et le centre, le vice-président de l’UMP appelle le gouvernement à « revoir sa copie ». « Il faut impérativement geler l’application d’un texte ne respectant pas l’autonomie des communes, la réussite des intercommunalités, l’existence des départements… », écrit-il.
- Une nouvelle génération ?
Des jeunes femmes maires à Rennes, Nantes et Avignon. Voilà sans doute la seule image positive que les socialistes vont retenir de la saignée. Nathalie Appéré, 37 ans, garde Rennes, fief PS depuis 1977. Johanna Rolland, 34 ans, alliée aux écologistes au second tour, prend la suite de Jean-Marc Ayrault à Nantes. Cécile Helle, 44 ans, gagne Avignon de peu face au FN et à l’UMP.
Pour le reste, le renouvellement n’est vraiment pas au rendez-vous. Pour ces municipales, le PS avait voulu jouer la sécurité, et avait peu renouvelé ses têtes de liste. Aurait-il mieux fait de le faire ? Pas évident que cela aurait suffi, au vu de la défaite : en Seine-Saint-Denis, les “bébés Barto”, dont plusieurs sont issus de la diversité, ont presque tous échoué à conquérir de nouvelles mairies. À La Rochelle, la jeune candidate investie par le PS est battu par un dissident, tandis qu'à Grenoble, le nouveau maire écologiste Éric Piolle, 41 ans, est entré en politique il y a quatre ans.
À droite, le succès des municipales ne se résume pas aux seuls scores d’Alain Juppé (68 ans) à Bordeaux et de Jean-Claude Gaudin (74 ans) à Marseille, puisque les élections ont également fait émerger toute une génération de nouveaux élus. Outre Jean-Didier Berger, 34 ans, qui a remporté dès le premier tour la ville de Clamart (Hauts-de-Seine) au duo socialiste Ramognino-Kaltenbach et Robin Reda, élu maire de Juvisy-sur-Orge (Essonne) à 22 ans, l’UMP devra désormais compter avec une poignée de figures montantes. Parmi elles, le député Gérald Darmanin, 31 ans, qui a ravi Tourcoing (Nord) au socialiste Michel-François Delannoy, mais aussi Christophe Béchu, 39 ans, président du conseil général de Maine-et-Loire, qui l’emporte à Angers, à gauche depuis 1977.
À Ajaccio (Corse-du-Sud), le député Laurent Marcangeli, 33 ans, s’est imposé face au maire sortant divers gauche Simon Renucci, tandis que le député de la Marne Arnaud Robinet, 38 ans, a repris la ville de Reims, détenue par le PS depuis 2008. Ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Élysée, chargé du développement durable, Boris Ravignon, 38 ans, s’est imposé au second tour à Charleville-Mézières (Ardennes).
Par stratégie et par nécessité, le FN place de nouvelles têtes au sommet de certains des exécutifs locaux qu’il conquiert. À Fréjus (Var), David Rachline a 26 ans. Fabien Engelmann, nouveau maire d’Hayange, a 34 ans. Steeve Briois, le nouveau maire d’Hénin-Beaumont, a 41 ans.
- Une ambiguïté : des élus inquiétés par la justice ne s’en sortent pas mal
C’est un des paradoxes de ce vote. À bien des égards, il reflète une fatigue des Français vis-à-vis de leurs représentants politiques en général, et une colère envers les socialistes et certains “dinosaures” du parti. Mais paradoxalement, il conforte aussi des élus de gauche inquiétés par la justice : Jacques Mahéas à Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis) ; François Pupponi, réélu à Sarcelles (Val-d'Oise) dès le premier tour ; Jean David Ciot, ancien collaborateur de Jean-Noël Guérini, récemment mis en examen pour « recel de détournement de fonds publics », réélu au Puy-Sainte-Réparade (Bouches-du-Rhône).
De nombreux élus de droite condamnés par les tribunaux, mis en examen ou visés par des enquêtes judiciaires, ont ainsi été réélus dès le premier tour. C’est le cas d’Éric Woerth à Chantilly (Oise), trésorier de campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, inquiété par les affaires Bettencourt, Tapie, hippodrome de Compiègne, mais aussi de Patrick Balkany à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), de l’UDI André Santini à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) ou encore de Gérard Trémège à Tarbes (Hautes-Pyrénées).
Outre Jean-Pierre Bechter à Corbeil-Essonnes, de nombreux autres maires inquiétés par la justice sont passés au second tour, à l’instar de l’UMP Jean-Paul Fournier, à Nîmes (Gard), condamné en 2012 pour « prise illégale d’intérêts », du MoDem Ferdinand Bernhard à Sanary-sur-Mer (Var), de la socialiste Monique Delessard à Pontault-Combault (Seine-et-Marne) et de l’UMP Brigitte Barèges, accusée de détournement de fonds et pourtant réélue à Montauban (Tarn-et-Garonne).
- Les cumulards pas toujours désavoués
Malgré la future loi sur le cumul des mandats (qui n’entrera en vigueur qu’en 2017), de nombreux cumulards étaient candidats aux municipales. En parcourant la seule liste des députés et maires socialistes réélus dans des villes petites ou moyennes (entre 5 000 et 50 000 habitants), on s’aperçoit que beaucoup d’entre eux sont de parfaits inconnus. La liste de ces députés passe-muraille, parlementaires du “Marais” du groupe socialiste que l’on ne voit jamais à l’Assemblée, est longue :
Jean Pierre Fougerat, suppléant de Jean-Marc Ayrault réélu à Couëron ; Dominique Baert, qui rempile pour un 4e mandat à Wattrelos ; Philippe Kemel (Carvin) ; Jean-Claude Fruteau (Saint-Benoît de la Réunion) ; Anne-Lise Dufour-Tonini (Denain) ; Jean-Louis Bridey à Fresnes ; Jean-Pierre Blazy (Gonesse) ; Guy Michel Chauveau (La Flèche) ; Yves Gouasdoué (Flers) ; Michel Vergnier (Guéret) ; Marc Goua (Trélazé) ; Jean-Paul Dupré (Limoux) ; Pierre Aylagas (Argelès-sur-Mer) ; Jean-Louis Bricout (Bohain) ; Hervé Féron (Tomblaine).
À Feyzin, Yves Blein échappe au marasme socialiste dans le Rhône. Et Sophie Dessus, ancienne suppléante de François Hollande qui avait bataillé contre la loi sur le cumul des mandats, est réélue dès le premier tour à Uzerche. En plein marasme socialiste, les électeurs ne les ont pas désavoués.
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