Marseille, de notre envoyée spéciale
Après dix-neuf ans de mandat, les Marseillais viennent de signer ce 30 mars 2014 un chèque en blanc à Jean-Claude Gaudin (UMP) pour six ans supplémentaires. Le maire sortant, 74 ans, réélu dans son secteur au premier tour, remporte la ville avec 61 conseillers municipaux sur 101, soit sa plus large majorité depuis 1995. « Je n'en ai jamais eu autant », a réagi tout guilleret Jean-Claude Gaudin, élu au conseil municipal depuis 1965 (il faisait alors partie de la majorité de Gaston Defferre).
La droite aura également les coudées franches à la communauté urbaine, avec 90 élus sur 138. Un score inespéré au sein même de son équipe. « On sentait la vague, mais on ne pensait pas faire 61 conseillers municipaux », souffle une adjointe de Gaudin ravie, en sortant de l’hôtel de ville. Décomptant les villes alentour qui ont basculé, comme Salon-de-Provence et Aubagne, certains espèrent également voir la future métropole tomber dans l'escarcelle de l'UMP.
Au passage, la droite marseillaise s’est offert le luxe de reprendre la mairie des 1er et 7e arrondissements conquise en 2008 par Patrick Mennucci, cette fois devancé de 1 109 voix par le député UMP Dominique Tian. « Ça c’est le jackpot », glisse un militant UMP. Le Front national a, lui, fait tomber un bastion socialiste : Stéphane Ravier remporte la mairie des 13e et 14e arrondissements, avec 35,33 % des voix, devant le maire PS sortant Garo Hovsepian (32,51 %) et Richard Miron, le candidat parachuté par l’UMP (32,14 %). Un scénario qui a surpris jusqu’à Maurice Battin, chef de cabinet et expert ès sondages de Gaudin. « Il y a un moment où la progression du FN ne se fait plus sur la droite mais sur la gauche, mais nous n’avions pas prévu que la gauche s’effondre à ce point dans ce secteur », s’étonne-t-il.
Au lendemain du premier tour, Jean-Claude Gaudin avait demandé à plusieurs reprises à la gauche de retirer sa liste dans ce secteur où elle était arrivée en troisième position. « (Mennucci) a pris la responsabilité écrasante de faire élire le candidat du FN », a accusé Jean-Claude Gaudin dimanche soir. « J’ai pris cette décision en conscience avec l’ensemble de mes colistiers, nous avons estimé que la liste UMP aurait été battue », a justifié Patrick Mennucci dimanche soir. Avant de minimiser : « Il va avoir à gérer l'état civil et les centres d'animation », en oubliant un peu vite que le FN aura désormais une belle tribune. Dans l’arène municipale, le groupe FN jouera à jeu égal avec le groupe PS-EELV-FDG : 20 conseillers pour chacun.
« Quand il y a une vague comme ça, on ne peut pas l'inverser, après reste à savoir si la tendance se renforce ou s'il y aura un sursaut républicain », confiait le 27 mars Dominique Bouissou, directrice de la communication de Patrick Mennucci. Mais, malgré une hausse importante de la participation (57,28 %, soit 3,75 points de plus qu’au premier tour), il n’y a pas eu de miracle pour la gauche marseillaise. Des quatre mairies de secteur que le PS détenait, il ne conserve que celle de Samia Ghali, réélue dans les 15e et 16e arrondissements avec 3 510 voix d’avance sur le FN. En fournissant neuf des vingt conseillers municipaux de gauche de la ville, la sénatrice se trouve désormais en position de force au sein du PS marseillais.
Dans les 4e et 5e arrondissements, qui devaient faire basculer la ville à gauche, la ministre Marie-Arlette Carlotti est sèchement battue par le sénateur et maire sortant UMP Bruno Gilles qui la distance de 4 405 voix. Dans un communiqué, Marie-Arlette Carlotti s’en est pris aux primaires, un processus jugé « destructeur » qui « a créé plus de divisions que de rassemblement ». Dans les 2e et 3e arrondissements, l’alliance baroque entre l’UMP et Lisette Narducci (PRG), fidèle parmi les fidèles du président du conseil général, Jean-Noël Guérini, n’a pas franchement dérouté les électeurs. La liste UMP y récolte 2 278 voix de plus que celle du président de la communauté urbaine Eugène Caselli, qui avait dénoncé « un racket contre la démocratie ».
À 23 h 15, Patrick Mennucci a fini par prendre la parole, les larmes aux yeux, pour féliciter son adversaire et lui souhaiter bonne chance. Aux côtés de ses têtes de liste, à l’exception notable de Samia Ghali et Marie-Arlette Carlotti, restées dans leurs secteurs. « Manifestement les Marseillais ne sont pas rentrés dans le débat que nous proposions qui était un débat programmatique », a-t-il constaté. Rappelant le contexte national, « très dur pour le PS », et le marseillais, « brouillé par l’alliance entre deux systèmes, celui du conseil général et celui de la mairie », le député PS a appelé les « forces du progrès » à trouver « les capacités de renouveler la gauche marseillaise », plombée par les affaires et le clientélisme.
« Nos choix étaient courageux, a dit le candidat PS-EELV-FDG aux militants. Même si la victoire n’est pas au rendez-vous, ils n’ont pas à rougir des combats menés. » Vendredi, Patrick Mennucci a menacé de suspendre son adhésion au PS si celui-ci n'excluait pas le sénateur Jean-Noël Guérini, mis en examen à trois reprises dans une affaire de marchés truqués et renvoyé en correctionnelle fin 2014 dans l’un de ces volets. Dimanche soir, il a dit espérer que cette question « soit réglée d'ici quinze jours ».
Le PS marseillais paie cher une rénovation restée à mi-gué. « Je crains que le parti ne subisse encore longtemps l’héritage calamiteux de l’affaire Guérini et de ses influences », redoute la conseillère régionale EELV Laurence Vichnievsky, qui était pressentie comme première adjointe en cas de victoire. Elle regarde également EELV, également laminé au passage. « Tout est à reconstruire là aussi », dit Laurence Vichnievsky. La magistrate ne s’attarde pas après le discours. Des audiences l’attendent dès lundi à la cour d'appel de Paris dont elle est avocate générale.
Vendredi, pour le premier conseil municipal de la quatrième mandature Gaudin, Patrick Mennucci sera simple conseiller municipal. Qui dirigera le groupe PS ? « Une nouvelle », indique-t-il. Annie Levy-Mozziconacci, médecin généticienne de 51 ans qui a remporté trois sièges dans le secteur de Gaudin. « Elle a fait un très beau score, elle a le profil », estime Maud de Bouteiller, la compagne de Patrick Mennucci. Une façon, selon l'ex-directrice de cabinet de Mennucci, de « donner un signe aux militants que Patrick (Mennucci) n’est pas un Guérini bis, qu’il n’écrasera pas tout le monde ».
« On est partis sur une ligne de transparence, de rupture, peut-être qu'il y avait un peu trop d’utopie, se demande Brigitte Iozia, militante PS et employée dans une banque. À Marseille, quand vous avez besoin de quelque chose, on vous dit "Tu ne connais pas quelqu’un à la mairie ?", c’est de ce système dont on veut sortir. Ce n'est pas fait ce soir, ce sera pour plus tard. » « Nous étions à un tournant, renchérit son mari Jean Iozia, 54 ans, candidat dans le 3e secteur et consultant dans l'économie sociale et solidaire. Nous avions travaillé en intelligence sur un véritable programme, avec des commissions, chacun se spécialisant sur son domaine de compétences pour se projeter, concevoir, comme un homme politique du XXIe siècle... et ça n’a pas marché à Marseille. » Il est tout de même fier d’avoir mené cette campagne « courageuse », « même si c’est un échec ».
Même dans les 15e et 16e, « on a tremblé », assure Toufik, militant PS de 48 ans et chef de chantier chez Vinci, furieux contre Hollande, qui « a fait perdre Mennucci ». « En porte-à-porte, je disais "Faites la distinction entre le national et le local", raconte-t-il. Mais les gens remettent en question le mariage pour tous, les heures supplémentaires taxées, etc. Aux Aygalades (15e arrondissement, ndlr), même les petites vieilles me fermaient la porte au nez en me disant "Vous trouvez normal que ma retraite soit gelée, que je paie des impôts dessus pour la première fois ?" » Très critique sur l'après-primaire, Hafid Abdelkrim (qui n'avait pas réuni assez de parrainages pour y participer) impute lui aussi la défaite au « contexte national et au gouvernement qui n'a pas mené de politiques en faveur des plus faibles, avec un effet décuplé à Marseille où la misère est plus forte ».
À l’hôtel de ville, c’était le défilé des anciens et actuels patrons de Force ouvrière (FO) Territoriaux, syndicat ultramajoritaire à la ville et à la communauté urbaine. FO Territoriaux avait offert une carte de membre d’honneur à Jean-Claude Gaudin en janvier 2014 avant de diffuser, dans l’entre-deux-tours, un tract contre le « candidat socialiste » qui avait eu le tort de vouloir mettre fin à la cogestion avec le puissant syndicat.
Or attaquer FO, c’est attaquer les employés territoriaux selon Patrick Rué, actuel secrétaire général, qui cite ses classiques : « On ne gagne pas la ville de Marseille contre ses employés municipaux, comme disait Gaston Defferre. » Où est passée l’« indépendance syndicale » que le candidat aux élections professionnelles prônait en 2012 ? « Personne ne pouvait alors prévoir que nous serions l’objet d’attaques d’une violence aussi inouïe », balaie le secrétaire général, gardien d’un ordre immuable.
Pas question par exemple de toucher aux horaires des bibliothèques, dont l'amplitude annuelle est inférieure d'un mois à celles de Lyon et Paris. « Ouvrir L’Alcazar jusqu’à 23 heures (comme le proposait Mennucci, ndlr) ? Quand vous connaissez le quartier de Belsunce, il faudrait une centaine de policiers municipaux », rembarre-t-il. Avant de conclure, fataliste : « Marseille est une ville pauvre. »
Son prédécesseur Claude Argy, rattrapé par l’affaire Guérini et écarté en 2012, indique que « les instances de FO ont fait un rappel à l’ordre ». Le secrétaire fédéral adjoint, toujours responsable de la gestion du Dôme (le Zénith marseillais) et du Palais des sports défend, lui aussi, le « fini-parti », un système qui permettra aux éboueurs de cumuler leur journée avec un travail au noir et que Mennucci voulait supprimer. « C’est un acquis, donc il faut le défendre. » Dans la foulée, François Moscati, patron de FO Territoriaux sous Defferre, nous explique que le fini-parti est bon pour la circulation. « Si l'on supprime le fini-parti, au lieu d’aller vite, les employés prendraient le temps nécessaire et ça bloquera la Ville. »
Parmi les militants scrutant les écrans, on croise aussi Mourad Kahoul, patron du syndicat des thoniers méditerranéens, qui fait sonner la corne de brume à ses gars à l’extérieur à chaque avancée pour le camp Gaudin « qui a maintenu nos emplacements sur le Vieux-Port alors que Mennucci veut y faire des yachts ». Devant l'entrée se trouve aussi un ex-militant guériniste, Omar Djellil, qui a présenté une liste au premier tour dans les 2e et 3e arrondissements pour « faire acte de présence » et a ensuite rallié la droite contre « l'ennemi commun » Mennucci.
Que vont faire Jean-Claude Gaudin et Guy Teissier, qui devrait être nommé premier adjoint et présider la communauté urbaine, de cette confortable majorité ? Quel projet porteront-ils pour la deuxième ville de France, où les inégalités ne cessent de se creuser ? Impossible dimanche soir d’obtenir ne serait-ce qu’un début de réponse de l’équipe Gaudin, tout à la joie de sa victoire. Se réclamant « démocrate chrétien », Jean-Claude Gaudin a mené une campagne à son image, riche en anecdotes et en moments pittoresques, mais en refusant tout débat dans les médias. « Au début, on n’avait pas trop noirci son agenda par prudence, mais finalement il a été partout », raconte amusé un proche.
« Les problématiques qui se posent à Marseille restent en l’état (propreté, sécurité, etc.) », a rappelé dimanche soir Patrick Mennucci en souhaitant bonne chance à son adversaire, car son « 4e mandat est fondamental pour notre ville ». Retour ce lundi pour certains Marseillais à la dure réalité du quotidien, celle que nous décrivait le 27 mars Lynda, une jeune mère de famille habitant la Canebière :
« Le centre-ville concentre tous les problèmes : le nombre d'élèves par classe, pas de crèche, la saleté, la sécurité, expliquait cette jeune femme de 34 ans. Comment on fait pour les mamans célibataires qui font des démarches pour l'emploi ? Quand on cherche un logement, on nous demande nos fiches de paie ; quand on cherche un travail, on nous demande notre adresse ; quand on demande la naturalisation, on nous demande notre contrat de travail. Et le racisme, on le subit tous les jours à l'administration. Nous avons le courage, mais on nous met tout le temps des bâtons dans les roues. Ici c'est devenu comme les quartiers blacks aux États-Unis. Alors que dans le 6e arrondissement (quartier plus au sud dont Gaudin est maire, ndlr), on sait qu'on est bien en France : c'est propre, entretenu. » Heureusement pour Jean-Claude Gaudin, Lynda n'a pas pu voter dimanche : elle est algérienne, arrivée depuis 13 ans en France.
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