Hasard du calendrier, le groupe socialiste avait prévu de longue date la tenue d’un colloque intitulé « Gens du voyage : quelles perspectives » afin de présenter la proposition de loi (PPL) du député Dominique Raimbourg visant à abroger la loi du 3 janvier 1969 relative au « régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe ».
Cette journée, organisée le 17 juillet à l’Assemblée nationale, ouverte par la ministre du logement Cécile Duflot et clôturée par le ministre de l’intérieur Manuel Valls, se voulait « consensuelle », indique l’élu SRC de Loire-Atlantique. Mais la polémique lancée par Christian Estrosi (UMP), appelant à « mater » les personnes occupant illégalement des terrains, suscite un malaise du côté des organisateurs qui s’inquiètent d’un « contexte explosif ». Les journalistes ont été prévenus tardivement, et le rapport du préfet Hubert Derache, qui doit servir de base aux débats, a été remis en toute discrétion au premier ministre le 12 juillet, sans qu’aucune communication soit prévue.
C’est que la majorité socialiste ne veut pas apparaître « laxiste » sur ce sujet hautement sensible, qui mobilise les maires et les collectivités territoriales à moins d’un an des élections municipales. Les différends surviennent généralement lors de la période estivale quand les déplacements sont plus nombreux. Malgré la loi du 5 juillet 2000 qui a fixé des règles, à peine la moitié des 44 000 places d’aires d’accueil qui auraient dû être réalisées le sont une décennie plus tard. Le retard est encore plus marqué pour les aires de grand passage (AGP), censées pouvoir loger temporairement jusqu’à 120 caravanes.
« Notre proposition de loi est équilibrée », assure son auteur, qui liste les quatre axes de son texte : l’alignement du statut des gens du voyage sur le droit commun (suppression du titre de circulation, de la municipalité de rattachement et du quota de 3 % limitant le nombre de gens du voyage par ville), la possibilité pour les préfets de consigner dans le budget des communes en infraction le montant nécessaire à la construction d’un lieu d’accueil, le rattachement aux schémas départementaux des aires prévues pour les « grands passages » et la possibilité pour les préfets d’évacuer les campements illégaux dans les 24 heures suivant l’installation sans que le juge soit saisi lorsque des aires existent dans un rayon de 20 kilomètres. « On ne peut pas proposer de saisir l’argent des communes sans protéger les maires qui respectent la loi », affirme-t-il, en référence à la troisième et à la quatrième mesure. « Nous assumons cet aspect répressif », ajoute-t-il, reconnaissant que ce texte a été élaboré « en concertation avec Manuel Valls ». À l’origine, la PPL du groupe socialiste ne contenait pas cette facilité d’expulsion. Elle s’en tenait, par un article unique, à abroger la loi de 1969 afin de « mettre fin au traitement discriminatoire des gens du voyage ».
Le rapport technique que l’ancien préfet de Mayotte vient de remettre à Jean-Marc Ayrault, supposé servir de base à la loi, ne prévoit d’ailleurs pas cette disposition, signe qu’elle correspond à un ajustement politique. Commandé en février 2013, il a été rédigé avant le déclenchement des hostilités par le député-maire de Nice. Se plaçant dans l’optique de la « longue marche » des gens du voyage « vers l’égalité républicaine », il se fixe comme objectif de tirer les conclusions législatives de la décision du Conseil constitutionnel du 5 octobre 2012 qui a supprimé le carnet de circulation en vigueur depuis 1912.
Dans une introduction qui apparaît rétrospectivement décalée, l’auteur estime que le sujet n’est « pas clivant politiquement ». Mais son propos n’en est pas moins d’actualité. « Les préjugés culturels restent encore très forts entre la communauté des “gadjé” et celle des voyageurs », qui, regrette-t-il, « ont trop longtemps été considérés comme des Français entièrement à part et non comme des Français à part entière ». « Seule une politique volontariste des pouvoirs publics (État, collectivités territoriales et opérateurs publics) est de nature à aplanir les difficultés et à mettre fin au rejet dont sont victimes les membres de cette communauté, partie intégrante de notre ensemble national », estime-t-il.
Les gens du voyage, dont le nombre est estimé à 350 000 personnes, dont 60 000 à 70 000 « voyageurs » permanents, sont français depuis le XVe siècle pour les premiers d’entre eux et attachés à l’itinérance, rappelle ce rapport, à la différence des Roms, environ 20 000 en France, principalement de nationalité roumaine et bulgare, sédentaires dans leur pays d’origine, qui ne migrent que pour fuir les discriminations dans l’espoir d’une vie meilleure.
Pour Hubert Derache, comme pour Dominique Raimbourg, la priorité est de supprimer toute forme de discrimination subsistant à l’égard des gens du voyage. Le Conseil constitutionnel avait supprimé le carnet de circulation, réservé aux itinérants sans ressources, qui devait être visé tous les trois mois, et dont l’absence était passible de prison.
Les sages avaient considéré que ce document impliquait un traitement différencié des personnes selon leurs moyens et qu’il portait une atteinte disproportionnée à l’exercice de la liberté d’aller et venir. Mais ils n’avaient pas invalidé le livret de circulation délivré aux personnes logeant de façon permanente dans un habitat ou un abri mobile et justifiant de ressources régulières au motif qu’il permettait « l’identification et la recherche de ceux qui ne peuvent être trouvés à un domicile ». Le préfet et l’élu se proposent d’aller plus loin en abrogeant ce livret pour ne laisser subsister que le document demandé aux forains pour des raisons professionnelles. En parallèle, ils insistent sur la nécessité d’encourager la délivrance des pièces d’identité.
Le système de la commune de rattachement et du seuil de 3 % visant à limiter la présence des gens du voyage dans une ville induit des restrictions de droits, non seulement civiques puisque les personnes concernées ne peuvent s’inscrire sur les listes électorales qu’après trois années d’installation contre six mois, mais aussi de liberté de circulation, dans la mesure où les requérants doivent justifier d’« attaches » sur place et recueillir l’avis favorable du maire et l’accord du préfet. Le droit commun serait désormais privilégié : les gens du voyage devraient pouvoir demander une domiciliation dans les communes de leur choix.
Dans son rapport, le préfet rappelle l’insuffisance du nombre d’aires d’accueil. « Le “laissez faire faire” au voisin outre son caractère inqualifiable conduit nécessairement à une impasse », note-t-il, tout en regrettant que les gens du voyage, quand ils se voient opposer un refus, optent pour le « rapport de force » avec les autorités locales. Comme le prévoit la proposition de loi socialiste, Hubert Derache propose de créer une « procédure de consignation » sur les fonds communaux ou intercommunaux lorsque les aires d’accueil ne sont pas réalisées et de confier à l’État la responsabilité de déterminer les implantations des aires de grand passage dans le cadre du schéma départemental. Le préfet envisage même la régularisation foncière des familles propriétaires sur des terrains privés en situation irrégulière dès lors qu’aucune des parties concernées ne s’y oppose.
De manière consensuelle, il souhaite associer plus systématiquement les associations de gens du voyage dans la définition des cahiers des charges et mettre en place des chartes d’accueil visant à responsabiliser les personnes accueillies pour éviter les « dégradations des aires encore trop fréquentes ». Observant que pour des raisons économiques et de scolarisation de plus en plus de personnes de cette communauté se sédentarisent, il rappelle la nécessité de mettre en place des « parcours résidentiels » démarrant du terrain familial jusqu’au logement de droit commun en passant par les étapes intermédiaires.
La proposition de loi, selon le député, devrait être déposée à l’Assemblée nationale « à la fin du mois de juillet ou début septembre » avant un examen à la rentrée. Alors que Christian Estrosi vient de diffuser un « guide pratique » à l’attention des maires pour expulser les campements de fortune, la tonalité des débats lors du colloque s’annonce moins agressive, dans la mesure où les élus de l’opposition invités, notamment le sénateur Pierre Hérisson et Didier Quentin, connaissent dans leur complexité les enjeux liés aux conditions de vie des gens du voyage.
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