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Cahuzac: les silences de Taubira, Valls et Moscovici

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Chacun dans son style, ils ont fait le dos rond. Ce mardi, trois des plus importants personnages de l'État étaient auditionnés par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur l'affaire Cahuzac : la garde des Sceaux Christiane Taubira, le ministre de l'intérieur Manuel Valls et celui de l'économie et des finances Pierre Moscovici, dont Jérôme Cahuzac était le ministre délégué au Budget.

Cliquez ici pour voir la vidéo de Christiane Taubira sur le site de l'Assemblée. Et ici pour celle de Manuel Valls et Pierre Moscovici.

Face à une commission d'enquête clairsemée (au plus 15 députés sur 40 membres au plus fort de la journée, une habitude depuis le début des auditions le 21 mai), ces membres éminents du gouvernement n'ont pas fait de révélations fracassantes. Ils ont surtout martelé une ligne, la même : entre l'article de Mediapart du 4 décembre 2012 sur le compte suisse de Jérôme Cahuzac et ses aveux le 2 avril 2013, il n'y a pas eu le moindre dysfonctionnement au sein de l'appareil d'État. Un peu comme les trois singes des contes asiatiques, ils n'ont rien vu, rien entendu, et se sont d'ailleurs à peine parlé pendant ces longues semaines où leur camarade Cahuzac s'enfonçait chaque jour un peu plus dans son mensonge. Certes, ils n'ont pas hâté la manifestation de la vérité mais comment l'auraient-ils pu ? Au contraire, ils revendiquent fièrement d'avoir laissé la justice travailler, sans l'entraver ni mené d'« enquêtes parallèles ».

Ressassés tout au long de la journée, ces arguments n'ont pas convaincu les députés de droite, tandis que ceux de gauche restaient à quelques exceptions près, fort discrets. « On se moque de nous ! s'emporte l'UMP Daniel Fasquelle. Les ministres concernés n'en auraient pas parlé entre eux ? Il y a eu de très graves dysfonctionnements. Cette affaire aurait pu être réglée plus vite. La lumière aurait pu être faite dès la fin décembre. » « Personne ne parlait donc de rien dans une situation aussi grave ? C'est un problème politique et on n'en parle pas pendant quatre mois ? N'est-ce pas cela le dysfonctionnement ? » s'interroge son collègue Philippe Houillon. Marie-Christine Dalloz évoque même une « loi du silence » au sein du gouvernement. Ironie de l'histoire, les députés UMP ont passé leur journée à vanter les mérites journalistiques de Mediapart… que des responsables de leur parti injuriaient au moment de l'affaire Woerth.

Christiane Taubira devant la commission Cahuzac, le 13 juillet 2013Christiane Taubira devant la commission Cahuzac, le 13 juillet 2013© capture d'écran LCP

Première à entrer en scène, la garde des Sceaux Christiane Taubira répond d'abord avec calme. « Comme vous tous, je n'avais pas de raison d'interroger les déclarations de Jérôme Cahuzac », lance-t-elle. Avant de souligner « la diligence du parquet dans cette affaire : c'est quand même la justice qui a apporté la preuve de la non-diffamation. Ça n'a pas souvent été le cas ».

Christiane Taubira sert aux députés une histoire difficile à gober : cette affaire, dit-elle, c'était le cadet de ses soucis, rien de plus qu'un dossier parmi tant d'autres d'une ministre qui « travaille 20 heures par jour ». « Ce n'était pas pour moi une préoccupation. Je ne me suis pas posé la question pour savoir si Cahuzac était coupable ou non. La justice avançait, Cahuzac niait, je n'ai pas fait d'analyse philosophique. »

Son cabinet, informé en temps réel des avancées de l'enquête par le parquet, a pourtant suivi l'affaire en direct. Ainsi que cela a été rappelé à la fin de son audition par la commission, 54 des 56 rapports du procureur général écrits pendant le déroulement de l'affaire ont ainsi été transmis au cabinet de la garde des Sceaux. Mais à l'entendre, Chritiane Taubira n'avait pas « la disponibilité » pour s'intéresser elle-même à la procédure. « Trois ou quatre fois », « par SMS », elle dit avoir informé Jean-Marc Ayrault de ses évolutions, mais seulement quand l'enquête préliminaire a été ouverte, le 8 janvier. Juré, elle n'a en revanche jamais parlé de tout cela avec François Hollande, et pas davantage « avec M. Valls ni avec M. Moscovici, ni avec M. Cahuzac ». La plainte en diffamation de Jérôme Cahuzac contre Mediapart, déposée de façon abusive en tant que membre du gouvernement, et qui a suscité un débat au sein même de son ministère ? « Je ne l'ai pas lue. C'était un gros pavé. Je n'ai ni la disponibilité, ni la curiosité. Mon rôle, c'est de transmettre. (…) Et heureusement que je ne m'en suis pas mêlée, car cela signifierait que je me serais mêlée d'une plainte d'un ministre contre un média. Si je l'avais fait, j'aurais eu à répondre aujourd'hui d'un tel zèle… »

L'enquête fiscale parallèle des services de Bercy, dont le procureur de Paris s'est lui-même étonné et dont il n'avait même pas été informé par Bercy ? Là encore, elle n'y a pas vu malice. « Cette enquête fiscale a-t-elle entravé l'enquête pénale ? Incontestablement non. L'administration fiscale, en droit, était fondée de faire ce qu'elle a fait, c'est l'usage. »

Au bout d'une heure, pressée de questions insistantes, mais parfois baroques (l'UMP la lance ainsi sur la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, pas vraiment le thème du jour), la ministre perd son calme. « Ma responsabilité, c'est que la justice fonctionne. Et il se trouve qu'elle a bien fonctionné, qu'elle a été efficace, qu'elle a été diligente. (…) Il n'y a pas eu de dysfonctionnement dans la justice. S'il y a en eu, signalez-les moi ! » lance-t-elle à l'UMP Daniel Fasquelle.

Taubira se fâche aussi quand des socialistes lui demandent ce qu'elle savait. Le climat se tend. Face aux députés, la ministre flirte avec l'arrogance. Fin de l'audition. La garde des Sceaux esquive la presse : « J'ai déjà beaucoup parlé. »

« J'étais persuadée de son innocence… », lâche-t-elle tout de même hors micro à quelques députés. Enfin un peu de vérité dans ce discours de carton-pâte, si dépourvu de ces jaillissements verbaux inspirés dont la ministre est parfois capable.

Quelques heures plus tard, c'est au tour de Manuel Valls. Dossiers sous le bras, le ministre de l'intérieur est en avance. La séance prend du retard car les députés sont encore en train de voter dans l'hémicycle. L'homme pressé de la place Beauvau piaffe. Il expédie son propos liminaire en six minutes top chrono. Pas d'états d'âme, lapidaire : Valls le martèle, il ne savait rien, rien de rien.

Avant les articles de Mediapart, il n'avait « pas été informé » d'un compte à l'étranger de Jérôme Cahuzac, qu'il connaît depuis longtemps et a croisé au sein de la Rocardie. D'ailleurs, quand l'article de Mediapart est sorti, et « a plusieurs reprises » ensuite, Jérôme Cahuzac lui « a affirmé personnellement que ces informations étaient fausses ».

Manuel Valls devant la commission Cahuzac, le 13 juillet 2013Manuel Valls devant la commission Cahuzac, le 13 juillet 2013© capture d'écran LCP

Les services de renseignement ? Ils n'ont pas enquêté, jure Valls. Tout au plus une archive de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) sur la banque UBS a-t-elle été exhumée. Mais elle ne mentionnait pas le nom de Jérôme Cahuzac. « En aucun cas je n'ai demandé à la DCRI d'enquêter sur Jérôme Cahuzac et je n'avais pas à le faire. » Intervenir aurait été une pratique « d'un autre temps, révolu (…) une faute, une faute majeure ». Lui aussi dit n'avoir « jamais» eu « aucun contact » sur le sujet avec un autre ministre. Et s'il en a bien parlé à Hollande et Ayrault, « j'ai toujours dit au président de la République et au premier ministre que je ne disposais d'aucun élément sur la véracité des infos de Mediapart », dit-il encore, démentant donc toute “note blanche” adressée au chef de l'État, comme une rumeur plus qu'insistante l'affirmait à Noël.

Parfois, Valls se montre agacé, voire agressif envers les députés. « Où se sont passées vos rencontres avec le président de la République et le premier ministre ? » lui lance Fasquelle (UMP). « À l'Élysée et Matignon… je peux vous donner les adresses... », lance Valls, ironique. Du coup, certaines questions passent aux oubliettes. Le nom de Stéphane Fouks, le président d'Havas Worldwide (ex-EuroRSCG) qui a géré la communication de Jérôme Cahuzac pendant toute l'affaire (et sera auditionné mercredi par les députés) ? Il est évoqué en passant, Valls confirmant juste qu'il a été en contact avec lui pendant cette période. On n'en saura pas plus, aucun député n'ayant relancé sur ce sujet. Quant au nom d'Alain Bauer, ami très proche de Valls et Fouks depuis les années 1980, il n'est même pas cité, alors que celui-ci affirmait dans Le Monde avoir connaissance du compte en Suisse du ministre du budget….

La journée se termine par l'audition de Pierre Moscovici, de loin le plus touché par l'affaire Cahuzac (certains le disent même « carbonisé »). Les explications du ministre de l'économie et des finances étaient donc très attendues. “Mosco” commence fort : « Quatre reproches m'ont été faits : complicité, duplicité, incompétence et manipulation. » Il les dément l'un après l'autre. « Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir », jure-t-il.

Pierre Moscovici devant la commission Cahuzac, le 13 juillet 2013Pierre Moscovici devant la commission Cahuzac, le 13 juillet 2013© capture d'écran LCP

Pour résumer son attitude durant ces longs mois, Moscovici a trouvé chez le philosophe René Descartes une « formule qui vaut ce qu'elle vaut » : le « doute méthodique ». Il se vante à plusieurs reprises fois d'avoir installé une « muraille de Chine » autour de son ministre du budget. Et lui aussi affirme ne pas avoir discuté de l'affaire avec d'autres ministres.

Pourtant, quand les députés évoquent l'enquête administrative parallèle lancée en janvier dans le dos du procureur par les services de Bercy (elle aboutira à une réponse négative de la Suisse fin janvier), Pierre Moscovici commence à se prendre les pieds dans le tapis.

D'abord parce qu'il en revendique avec force la paternité... alors que François Hollande et Jean-Marc Ayrault viennent eux aussi de le faire dans le livre de la journaliste Charlotte Chaffanjon, Les Yeux dans les yeux. Si bien qu'on ne comprend plus vraiment qui a décidé de quoi au sommet de l'État.

Mais surtout parce qu'il a du mal à justifier une autre information contenue dans le livre : l'existence d'une réunion « de quelques minutes », le mercredi 16 janvier 2013, à l'issue du Conseil des ministres, « dans la salle attenante au Conseil », à l'Élysée. Une réunion au sommet, rassemblant François Hollande, Jean-Marc Ayrault, Pierre Moscovici et… Jérôme Cahuzac. Au cours de cette rencontre, Cahuzac a été « informé » qu'une enquête administrative allait être ouverte, confirme Moscovici. Mais « il n'a pas été associé à la rédaction de la question et n'a jamais eu la réponse suisse », précise-t-il. Lors de son audition le 26 juin, Jérôme Cahuzac avait pourtant démenti avoir été informé de l'ouverture de l'enquête administrative.

« Il n'y a plus de muraille de Chine, le mur est fissuré », a ironisé le député UMP Georges Fenech. Pour Pierre Moscovici, cette enquête ressemble à un boulet qu'il traîne depuis des mois. La question aux autorités suisses étant trop restreinte et, n'évoquant pas la banque Reyl & Cie mais la seule UBS, la réponse suisse avait été négative. Immédiatement, l'information avait été publiée dans le Journal du Dimanche. « Les Suisses blanchissent Cahuzac », titrait alors l'hebdomadaire. À l'époque, Pierre Moscovici avait clairement laissé entendre qu’il n’avait aucun doute sur l’innocence de Cahuzac. Mal lui en a pris. Mardi, le ministre est d'ailleurs apparu plus désolé qu'énervé. Voilà au moins qui le distingue de ses collègues Valls et Taubira.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Le PC est il mort?


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