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« La démobilisation électorale gagne du terrain »

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Spécialiste des politiques locales et des mondes ruraux, Sébastien Vignon, maître de conférences à l'université de Picardie, analyse les ressorts de cette abstention, annoncée comme massive, qui pétrifie depuis plusieurs semaines les responsables politiques, à commencer par les élus socialistes. À raison, car l'ampleur de l'abstention et de la démobilisation électorale, sous-estimée par les sondeurs, est très difficile à anticiper. Localement, une abstention élevée pourrait réserver quelques surprises dès dimanche 23 mars, premier tour des élections municipales. Elle serait aussi annonciatrice d'une très grande démobilisation aux européennes. Explications.

Mediapart. Avec 66,5 % de participation au premier tour, les municipales de 2008 avaient été les moins mobilisatrices de la Ve République. Six ans plus tard, tout le monde s’attend à une abstention très importante dimanche…
Sébastien Vignon. On assimile souvent les municipales à des élections de proximité. Mais on oublie qu’elles ne sont plus épargnées par l’abstention. Certes, elles restent après la présidentielle le scrutin le plus mobilisateur. Mais en réalité, le taux de participation moyen, celui que l’on retiendra dimanche soir à la fermeture des bureaux de vote, dissimule des écarts très importants lorsqu’on regarde les résultats par taille de communes. Le nombre de votants dans les communes de 3 500 habitants n’était que de 62 % en 2008. Et le taux d’abstention ne cesse de progresser dans les très grandes villes.

Le taux de participation national est dopé par le nombre de petites ou très petites communes (33 000 communes sur 36 000 ont moins de 3 500 habitants – ndlr). Les électeurs continuent d’y voter plus qu’ailleurs, notamment parce que ces élections n'y sont pas, dans une écrasante majorité de communes, politisées. On atteint traditionnellement des scores de participation très élevés dans les territoires ruraux : on connaît mieux ses élus, qui sont parfois des voisins, des proches, les scrutateurs du vote connaissent les habitants, il y a un contrôle social incitant au vote, etc. : s’abstenir est beaucoup plus visible que dans les grandes villes et peut faire l’objet d’une stigmatisation sociale.

Par ailleurs, les enjeux en présence sont plus saillants pour les électeurs les moins politisés dans la mesure où ils sont connectés à leurs préoccupations immédiates : ils renvoient à la création d’une crèche, la voirie, l’éclairage public, la réfection d’une école, etc., et parfois à des enjeux très personnalisés (rivalités familiales, professionnelles, de voisinage, etc.). Bref, les électeurs des zones rurales ont une meilleure connaissance de l’offre électorale que ceux des grandes villes. Cela dit, en reconstituant le taux d’abstention dans 270 communes de moins de 2 000 habitants de la Somme, on s'aperçoit que le taux moyen de participation ne cesse de baisser au fil du temps, quelle que soit d’ailleurs la catégorie de communes retenue, périurbaine ou rurale. Les liens sociaux ont tendance à se “dépersonnaliser”, sous l’effet notamment de la périurbanisation, de l’arrivée dans les campagnes de nouveaux résidents issus des centres urbains, de la mobilité résidentielle plus grande.

Cette fois, le taux d’abstention risque aussi de progresser à cause du contexte national. Sur le terrain, de nombreux élus de gauche, socialistes surtout, s’inquiètent d’une démobilisation de leur électorat…
Il y a deux types d’abstention. Une abstention “sociologique”, liée à un déficit d’intégration sociale. Comme le démontrent régulièrement les enquêtes de l’Insee, bien plus fiables que les enquêtes d’opinion car elles confrontent les listes électorales avec les caractéristiques sociales et démographiques des électeurs (emploi ou non, stabilité de l’emploi, niveau de diplôme, vivent-ils seuls ou pas, etc.), il y a des facteurs sociaux qui expliquent la mise à l’écart de certains citoyens par rapport au jeu électoral. Les catégories populaires sont beaucoup plus abstentionnistes et moins souvent inscrites sur les listes électorales que les cadres, les professions intellectuelles supérieures ou les chefs d’entreprise.

Il y a par ailleurs une abstention “politique”, liée au contexte de l’élection, à l’offre électorale, aux enjeux discutés. Si on peut anticiper l’abstention “sociologique”, il n’y a pas d’indicateur capable de prévoir comment vont peser sur les électeurs les affaires politiques dont on a eu encore un écho depuis quelques semaines, le scepticisme ou la déception des électeurs qui ont voté Hollande en 2012. Alors même que cette abstention politique peut avoir une influence réelle sur le scrutin, il est très difficile de la quantifier à l’avance : il faudrait faire des enquêtes avec une batterie de questions, sur un large échantillon. Bien malin qui peut prévoir l'ampleur de l'abstention ! Les sondages pré-électoraux ont tendance à la sous-estimer. Ils reposent sur des réponses déclaratives et non sur des pratiques effectives. Une part importante des abstentionnistes préfèrent ne pas répondre aux instituts de sondage ou, s’ils acceptent de le faire, ont tendance à dissimuler leur comportement dans la mesure où dans certains groupes sociaux, l’abstention fait l’objet d’une stigmatisation.

On peut toutefois émettre quelques hypothèses. D’abord, l’abstention risque d'être supérieure à celle de 2008. Ensuite, l’UMP, qui a un électorat plus âgé, risque d’être moins affectée car les enquêtes de sociologie politique montrent bien que les seniors votent davantage. Enfin, l’abstention “politique” risque de concerner les listes de la majorité présidentielle. On sait qu’il existe à chaque scrutin une abstention dite « différentielle », qui pénalise un camp partisan plutôt qu’un autre. Cette fois, il est probable qu’elle sera plus préjudiciable au parti au pouvoir qu’à l’UMP, même si le FN prend surtout des voix à droite et que le PS et ses alliés peuvent espérer garder, voire conquérir quelques nouvelles villes si droite et FN se neutralisent. Ces municipales sont le premier scrutin depuis l’élection de François Hollande et les législatives. Si certains trouvent que la politique du gouvernement n’est pas suffisamment orientée à gauche, ils peuvent décider de sanctionner le gouvernement, et cela peut passer par de l’abstention.

Mais on ne sait pas dans quelle proportion…
Non, car beaucoup de gens se décident au dernier moment. Des électeurs peuvent dire dans les enquêtes d’opinion qu’ils comptent voter et ne pas y aller finalement. Ils peuvent aussi avoir décidé de ne pas voter et y aller finalement : il y a souvent un « rappel à l’ordre » civique de la part des proches, comme l’ont montré Céline Braconnier et Jean-Yves Dormagen, ne serait-ce que parce qu'on va souvent voter en famille. Par ailleurs, ces municipales sont marquées par une offre électorale non homogène, avec des alliances à géométrie variable. Dans certaines villes, par exemple, une frange du Front de gauche s’allie avec le PS, dans d’autres villes ce n’est pas le cas : un électeur qui estime que le Front de gauche ne doit pas s’allier avec le PS peut décider dans une ville de ne pas voter, alors qu’il voterait peut-être s’il habitait ailleurs. Enfin, il y a le contexte local. Même dans les grandes villes, certains électeurs peuvent opérer un vote aux municipales qui peut être différent de celui qu’ils ont exprimé en 2012 car il privilégiera des enjeux locaux.

Il y a donc énormément d’incertitudes.
Oui, c’est un peu l’inconnu. Il y a d’ailleurs une autre zone d’incertitudes : les résultats du Front national (qui présente près de 600 listes, revenant ainsi à son niveau de 1995  ndlr). A priori, on peut penser que l’abstention “sociologique” devrait pénaliser davantage le FN, car son électorat est supposé moins diplômé, plutôt d’origine populaire. En réalité, c’est plus compliqué. D’abord parce que contrairement à ce qu’on entend souvent, le Front national n’est pas le parti des ouvriers (lire aussi notre article). Le premier parti des ouvriers, c’est l’abstention !

Ensuite, parce que l’on s’aperçoit que le Front national élargit sa base électorale, numériquement et socialement. Agriculteurs, classes moyennes, professions intermédiaires, cadres, professions libérales, chefs d’entreprises, etc. : il arrive désormais à mobiliser des populations qui participent beaucoup, et s'en sort donc, que l’abstention soit faible ou élevée. Il fait des scores importants aux cantonales de 2011, alors que l’abstention était élevée, et que ces élections étaient censées donner une prime aux candidats les mieux implantés localement. À l’inverse, Marine Le Pen a atteint 17,90 % des voix à la présidentielle de 2012 alors que la participation était forte.

Aux élections nationales, le parti de Marine Le Pen fait des scores importants dans les petites communes. Mais, sauf exception, il n’y a pas de listes FN constituées dans les petits villages ruraux, là où ce parti est fort lors de l’élection présidentielle. Paradoxalement, c'est là où son succès électoral est moindre que le FN a pu constituer des listes aux municipales. Ce qui ne veut pas dire que ce parti ne réalisera pas, à Hénin-Beaumont ou dans certaines villes du sud, des scores très élevés qui lui permettront de faire son entrée dans les assemblées municipales, voire de remporter des mairies.

Si l'abstention est forte aux municipales, ne peut-on pas déjà être certain qu'elle explosera aux européennes du mois de mai ?
S'il y a une forte abstention aux municipales, elle sera encore amplifiée aux européennes. Entre ces deux élections, il y a toujours de gros écarts de participation. Dans le cas d'une élection municipale, même les électeurs les plus éloignés de la politique peuvent estimer qu'ils ont leur mot à dire car les enjeux sont locaux et les conséquences du vote concrètes. Les enjeux des élections européennes paraissent à l’inverse très éloignés. Les électeurs ne s’y retrouvent pas et vont donc moins voter. Il y a un mode de scrutin complexe, peu de citoyens sont en mesure d'identifier les institutions européennes, leur rôle, et qui les représente. Les enquêtes indiquent que les inégalités sociales en matière de participation se creusent lors des élections européennes. Les catégories populaires, et notamment celles qui sont les plus exposées à l'insécurité économique et sociale (chômeurs, intérimaires, salariés en CDD), se mobilisent encore moins. Si l’abstention peut avoir chez certains citoyens très politisés et très diplômés une dimension politique, la démobilisation électorale, dans la très grande majorité des cas, s’explique encore actuellement par un faible intérêt pour la politique, une précarisation professionnelle croissante et un faible niveau de diplôme. Le taux de participation aux européennes de 2009 était de 40,63 %. Il sera sans doute encore moins élevé en mai.

Lire aussi sous l'onglet Prolonger

BOITE NOIREL'entretien, mené lundi 17 mars par téléphone, a été relu et légèrement amendé.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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