Fin 2013, Jean-Claude Mas, patron-fondateur de PIP, et quatre dirigeants de sa société ont été condamnés pour tromperie aggravée par le tribunal de Marseille. Les médias ont décrit en détail la manière dont la société de La Seyne-sur-Mer, épinglée en mars 2010 pour avoir vendu des prothèses mammaires remplies d’un gel de silicone frauduleux, avait truqué les contrôles pour masquer l’utilisation d’un gel non médical. En revanche, on ne savait à peu près rien des relations entre PIP et sa clientèle de chirurgiens plasticiens, opérant dans des cliniques privées ou dans des hôpitaux publics, qui ont acheté et posé les prothèses frauduleuses, parfois au rythme de plusieurs centaines par an.
Mediapart a pu se procurer l’ensemble des rapports mensuels d’activité établis par la direction commerciale de PIP entre début 2005 et fin 2009, juste avant la liquidation de l’entreprise. A l'exemple de ces lignes, rédigées en novembre 2005 par un représentant commercial de PIP :
« La situation des ruptures (de stocks) est totalement incompréhensible et dure depuis… 2002. Le cas du docteur Delgove est symptomatique, plusieurs commandes non honorées, les prothèses commandées en MX remplacées par des TX (alors qu’il n’en souhaite plus…)… Tout ceci alors que la concurrence effectue le “forcing” pour nous déloger… Le Dr Delgove a posé plus de 180 paires PIP en 2004 !! À titre d’information, je viens de régler, la semaine dernière, pour lui près de 1100 € à l’occasion du congrès de la Sofcpre (société française de chirurgie plastique et reconstructrice)… ceci pour que la semaine suivante, il soit contraint de passer commande ailleurs faute de pouvoir se faire livrer par PIP. »
Ces documents internes, inédits jusqu’ici, éclairent l’affaire d’un jour nouveau. Ils montrent que lorsque la fraude a été découverte, le manque de fiabilité de PIP était depuis longtemps un secret de Polichinelle dans le milieu des chirurgiens plasticiens. Les rapports des commerciaux montrent de fortes tensions entre PIP et ses clients exaspérés par les dysfonctionnements chroniques de l’entreprise : mauvaise gestion des stocks, suivi irrégulier des commandes, qualité de fabrication instable, etc. Ils font apparaître que dès 2006 et surtout à partir de 2007, les commerciaux se sont sérieusement inquiétés de la multiplication des ruptures de prothèses. Ils révèlent que certains chirurgiens ont mis en cause le gel PIP dès 2007, et ont soupçonné une fraude aux contrôles au moins un an avant qu’elle ne soit mise en évidence, en mars 2010, par une inspection de l’Afssaps (Agence française pour la sécurité sanitaire des produits de santé, devenue l’Ansm). On découvre, enfin, que PIP a su s'assurer le soutien de certains experts et a entretenu des relations suivies avec les centres anti-cancer, qui ont continué d'acheter ses prothèses alors que de nombreux chirurgiens se détournaient de la société de Mas.
• Dès 2005, nombreux défauts de qualité ou dysfonctionnements de gestion chez PIP
En mars 2005, les commerciaux de PIP craignent de perdre un important client, le docteur Guy-Henri Muller, à Strasbourg : « Suite à de nombreux problèmes rencontrés avec PIP (extrusions, cas de formation de liquide séreux important lors de reconstructions, ruptures de stock à gérer), ce très gros client a laissé sous-entendre qu’il pourrait très prochainement aller à la concurrence. Ceci serait fort dommageable car Dr Muller a une très forte notoriété. »
Des clients de PIP protestent contre la présence, sur l’enveloppe de nombreuses prothèses, de cheveux, de bulles, de peluches, de taches ou de traces de silicone. En février 2007, à propos d’une réclamation d’un fidèle client – le docteur Dominique Antz, de Mulhouse –, concernant des défauts de texturation, le représentant pose la question : « Comment des enveloppes avec ce type de défaut peuvent-elles franchir le contrôle qualité ? » Le même rédacteur déplore que le chirurgien ait été réduit à « ouvrir 7 boîtes d’implants PIP… pour en éliminer 5… et en poser 2 !! ».
Les représentants signalent de nombreux retards de livraison et des problèmes récurrents de conditionnement ou d’étiquetage. En septembre 2005, le docteur Richard Abs, de la clinique Phénicia à Marseille, « est très mécontent de ne pouvoir obtenir des prothèses de fesses (xième relance) ». En novembre 2007, le CHU de Toulouse reçoit des « livraisons catastrophiques » de gabarits gonflables, conditionnés de façon anarchique : « Parfois, on en met 2 dans une mallette en plastique, parfois 1 seul. Ils sont parfois envoyés dans des valisettes transparentes à fond bleu. Sur une même livraison, les 2 mallettes différentes peuvent être utilisées ! Parfois, ils sont livrés sans valisette, en vrac, dans des cartons. » Avril 2008 : « Le docteur Mage a ouvert une 205 cc à la clinique Antoine de Padoue à Bordeaux. À l’intérieur, une 470 cc !… » Moins d’un an après, le même médecin subira la même mésaventure…
En avril 2005, un problème d’une autre nature : le docteur Alfred Fitoussi, qui travaille à l’institut Curie et à la clinique Saint-Jean-de-Dieu, « a réclamé à nouveau ses honoraires concernant une communication faite au congrès d’Israël en accord avec le distributeur local ». Fitoussi n’en continue pas moins à travailler sur des présentations ou des ateliers pour PIP, même si, en février 2006, il est toujours « très mécontent » de n’avoir aucun règlement.
Dans le compte rendu de mai 2005, on apprend que le docteur Fitoussi « a réitéré sa demande sur les tailles réelles de prothèses asymétriques ». Exclusivité PIP, les prothèses asymétriques sont surtout destinées à le reconstruction mammaire pour les patientes opérées lors d’un cancer du sein. Elles permettent parfois d’obtenir de meilleurs résultats que les prothèses classiques rondes, mais les clients de PIP se plaignent souvent du fait que la gamme soit trop étroite et ne comporte pas assez de tailles. Qui plus est, dans certains cas, ces prothèses asymétriques deviennent rondes…
La raison pour laquelle Fitoussi demande les tailles réelles de ces prothèses apparaît dans le rapport d’octobre 2006, qui mentionne un échange entre chirurgiens lors d’un congrès organisé par Astra Zeneca. Un chirurgien expose qu’il a choisi un certain modèle de prothèse en se basant sur le catalogue PIP : « Le Dr Fitoussi répond que PIP lui a dit que les cotes des implants étaient fausses et que le cotes officielles avaient été définies pour l’homologation à l’Afssaps sans tenir compte des mesures réelles. » Si l’on comprend bien, le catalogue ne donne pas les vraies mesures des prothèses. L’incident en dit long sur le sérieux avec lequel la société PIP traite les aspects réglementaires.
Les rapports des commerciaux mentionnent plusieurs études cliniques sur le gel de silicone des prothèses PIP. En mai 2005, le représentant indique : « Il devient urgent de faire un point sur les dossiers d’études cliniques (gel de silicone). Médecins concernés : Dessapt et Muller. Les études ont débuté en 2001 pour une durée de deux ans ! Plusieurs demandes ont été faites au service qualité, sans succès… » En juillet, rien n’a changé : « Je relance ce jour le service Qualité pour avoir une situation des études cliniques en gel de silicone sur ce secteur (toujours pas de réponse…). »
Le gel a aussi été étudié par le docteur Maurice Félix, de la clinique Phénicia à Marseille, l’un des plus gros clients de PIP. En septembre 2005, le docteur Félix « a rendu ses dossiers “suivi patientes” concernant l’étude des gels. Demande le règlement (305 € par dossier × 29 soit un total de 8845 € ». Cette étude n’a manifestement pas détecté la composition frauduleuse du gel. En février 2006, une des patientes de Félix est victime d’une rupture de prothèse avec siliconome (inflammation due au gel), et menace d’un procès, ce qui conduit PIP à prendre en charge tous les frais de réintervention. Début 2007, Maurice Félix sera l’un des premiers à mettre en cause le gel PIP, qu’il juge insuffisamment « cohésif ».
Pour conserver sa clientèle, la société de Jean-Claude Mas a accordé à un certain nombre de chirurgiens des rabais très importants ou des délais de paiement. Les commerciaux de PIP se plaignent de l’incohérence de la politique tarifaire de l’entreprise et de l'absence de grilles de tarif en fonction des quantités commandées. En septembre 2005, PIP a des difficultés avec deux de ses clients parisiens, les frères Sidney et Jacques Ohana (clinique Pétrarque) : le représentant se plaint du fait que les frères Ohana font travailler d’autres chirurgiens avec les tarifs préférentiels que PIP leur a accordés. L’affaire finit par s’arranger. En janvier 2008, le docteur Sidney Ohana est toujours client de PIP, mais un autre incident se produit : alors que le chirurgien « enregistrait une intervention pour une émission télévisée, un implant PIP s’est rompu à l’implantation… il a finalement posé une paire d’implants de marque Sebbin ».
• À partir de 2006, la multiplication des ruptures d’implants PIP
En première ligne face aux chirurgiens, les représentants sont les premiers à détecter l’augmentation des cas de ruptures d’implants PIP, qui donnent souvent lieu à des réinterventions dont le fabricant assume les frais. Mai 2006 : « Vu les cas de plus en plus fréquents de ruptures des pmi en gel, l’explication que l’épaisseur est conforme aux normes n’est pas appropriée ni justifiée. Les chirurgiens parlent entre eux », écrit le représentant. Plusieurs chirurgiens signalent des cas de ruptures de prothèses avec siliconomes.
La tendance s’accentue l’année suivante. En février 2007, un représentant exprime sa crainte d’une méfiance croissante des clients, chez qui « commence à faire son chemin » l’idée que les ruptures des prothèses PIP sont dues à des défauts de l’enveloppe. Le représentant redoute que certains chirurgiens soient, « je cite, intimement convaincus d’avoir implanté des dispositifs limite ou douteux… ».
En avril 2007, un autre commercial écrit : « Nous sommes handicapés par l’instabilité des produits PIP. Les nombreuses ruptures d’implants affectent gravement notre image de marque près des chirurgiens plasticiens. Sur le secteur sud-ouest un grand nombre de chirurgiens ne souhaitent plus recevoir PIP. »
Juin 2007 : un chirurgien évoque les ruptures de prothèses alors qu’il n’en a pas personnellement subi, « preuve, si besoin était, que les informations relayées de multiples manières circulent et qu’il serait en conséquence parfaitement inconscient de mésestimer leur portée », note un représentant.
Un de ses collègues enfonce le clou : « Depuis 2 ans, je tire la sonnette d’alarme sur les problèmes de ruptures d’enveloppes : plusieurs mails à la direction et aux services concernés (qualité, R et D, production). Pas une seule fois, on ne m’a répondu. Je pense que cette année, nous allons approcher la centaine de ruptures. C’est grave et les conséquences peuvent être dramatiques pour nous. À chaque fois il y a une DMV (déclaration de matériovigilance) : un jour l’Afssaps va trouver (cela) bizarre ! Plus grave, les chirurgiens parlent entre eux : au niveau national, ils ont maintenant un forum de discussion via le net et pour avoir pu chez un client lire un échange entre eux : ils y vont bon train !! Au niveau régional : l’ACPO (45 plasticiens de l’ouest) : 2 réunions par an, plusieurs de mes clients en ont déjà parlé ! Bref je vous laisse imaginer les dégâts… »
L’inquiétude des commerciaux de PIP contraste avec l’apparente sérénité de l’Afssaps qui ne s’étonne pas de l’augmentation des déclarations d’incidents. À noter que l’un des experts en matériovigilance de l’Afssaps, le professeur Jean-Pierre Chavoin, chef de service au CHU de Toulouse, est un client de PIP. Le représentant responsable du secteur sud-ouest le cite à plusieurs reprises. En novembre 2005, il rapporte que le professeur lui a dit être « l’objet d’une cour assidue (du concurrent) Mac Gahn qui lui présente des implants nouveaux à tester pour en devenir l’expert France, et lui fait miroiter une aide exceptionnelle pour sa manifestation de vidéo-forum de 2007 » ; en octobre 2006, le commercial mentionne une vidéo sur les prothèses asymétriques en cours de réalisation par l’équipe du professeur Chavoin au CHU de Toulouse ; en mars 2007, on apprend que le marché du Centre hospitalier d’Albi a échappé à PIP, « alors que sur les conseils de JP Chavoin le gynéco était prêt à poser des (prothèses) asymétriques en reconstruction » ; en septembre 2007, il est à nouveau question de réaliser un film au CHU de Toulouse.
Début 2008, le professeur Chavoin, qui était expert en matériovigilance depuis le début des années 2000, est nommé membre de la commission nationale de sécurité sanitaire des dispositifs médicaux de l’Afssaps. À la même époque, un médecin de son service, le docteur Dimitri Gangloff, vérifie l’état d’une prothèse PIP qu’il s’apprête à utiliser. L’implant lui éclate dans les mains. Une déclaration de matériovigilance est faite, et la prothèse rompue est envoyée à l’Afssaps. Mais l’agence ne réagit pas à ce signalement, pourtant effectué par l’un de ses experts ! Quant au professeur Chavoin, il finit par abandonner les prothèses PIP, son service ayant mis au point un logiciel pour réaliser des implants sur mesure fabriqués par la marque concurrente Pérouse.
• En 2008, l’alerte des chirurgiens de Marseille
En avril 2008, le commercial qui s’occupe du secteur sud-est signale que le docteur Félix, de la clinique Phénicia de Marseille, ne posera plus les prothèses PIP « tant que nous ne lui aurons pas apporté la preuve de l’amélioration de nos enveloppes et de notre gel (car pour lui, non seulement nous devons résoudre le problème des ruptures d’enveloppes mais également celui du gel qui, selon lui, n’est absolument pas cohésif) ». Ce chirurgien avait mis en cause le gel des prothèses PIP dès janvier 2007. Cela n’a pas empêché la clinique Phénicia de rester l’un des gros clients de PIP : elle a acheté 150 paires d’implants en octobre-novembre et détient, en 2008, un stock de prothèses PIP pour environ 50 000 €.
Mais les ruptures d’implants se poursuivent chez les patients des trois chirurgiens opérant à la clinique Phénicia, les docteurs Richard Abs, Maurice Félix et Christian Marinetti (principal actionnaire de la clinique). Les rapports entre PIP et la clinique de Marseille se tendent. Marinetti indique à Jean-Claude Mas qu’il ne veut pas garder son stock de prothèses PIP. En mai 2008, une patiente du docteur Félix doit être opérée en urgence parce que les médecins craignent qu’elle n’ait des métastases. En fait, la patiente souffre de nombreux siliconomes, effet récurrent du gel.
À la même époque, le docteur Abs se propose de créer une base de données sur les incidents liés aux prothèses, qui serait consultable sur « Tam-tam », le forum internet des chirurgiens plasticiens. Sur ce forum, les commentaires négatifs à propos de PIP se multiplient. Les commerciaux sont de plus en plus inquiets : « Mon CA (chiffre d’affaires) s’est maintenu, mais jusqu’à quand ? » s’interroge l’un d’eux en juin 2008 ; un autre lui fait écho : « Mon CA ne tient qu’à mes relations avec (les) chirurgiens. »
En septembre 2008, Christian Marinetti parle d’un « gel toxique ». Il envoie un mail à l’Afssaps en novembre 2008, demandant à l’agence de faire une analyse physico-chimique du gel des prothèses PIP. Cet alerte n’aura pas plus d’effet que les signalements antérieurs, notamment celui de Jean-Pierre Chavoin.
Selon un rapport de février 2009, Jean-Claude Mas a racheté pour 42 000 € le stock de prothèses PIP de la clinique Phénicia. En mars 2009, Richard Abs, le collègue de Marinetti, rencontre un représentant de PIP. D’après ce dernier, Abs « a découvert qu’il existait différentes qualités de silicone médical et que les coûts étaient considérablement plus bas… ces différences (qu’il ignorait jusqu’à présent) lui ont mis un doute à notre sujet, il se demande si l’explication des siliconomes en grand nombre, à chaque rupture, n’est pas là… de ce fait ayant un certain doute il ne posera plus de PIP. Je lui ai expliqué que nous étions soumis à des contrôles rigoureux, ce à quoi il m’a répondu qu’il était possible de présenter des dossiers et des échantillons corrects et de faire ensuite différemment ! qu’il serait intéressant de faire analyser une prothèse rompue ayant entraîné des siliconomes, par un laboratoire spécialisé dans ce type de recherche, et non par nous-mêmes. Cependant, il m’a dit qu’il ne ferait pas part de ses soupçons sur Tam-tam. Le docteur m’a demandé que cette conversation reste entre lui et moi… ».
Ce récit suggère fortement que le chirurgien marseillais soupçonnait PIP de falsifier les contrôles. Mais il n’a pas ouvertement fait part de ses soupçons à l’Afssaps. En octobre 2009, Christian Marinetti envoie un courrier recommandé à la direction de l’agence, sans évoquer de fraude. À la même époque, l’Afssaps reçoit un courrier anonyme comportant des photos qui prouvent la présence sur le site PIP de produits non conformes. Il faudra encore attendre jusqu’à mars 2010 pour que l’agence se décide à effectuer une inspection sur place…
• Le marché des centres anti-cancer
En juin 2008, PIP remporte de haute lutte le marché des prothèses pour les centres anti-cancer (plus précisément, pour 14 CAC regroupés en une centrale d’achat qui a été créée début 2008). Ce succès inespéré survient alors que PIP est en train de perdre de nombreux clients, est en conflit avec la clinique Phénicia et fait l’objet d’une campagne de dénigrement sur le forum Tam-tam des chirurgiens plasticiens. On peut s’étonner que les centres anti-cancer, censés se montrer particulièrement rigoureux dans leurs choix de prothèses, aient retenu la candidature de PIP. Deux facteurs ont joué un rôle important : d’une part, PIP est le seul fabricant à proposer, en plus des prothèses rondes, des prothèses « asymétriques » ; d’autre part, l’entreprise de Jean-Claude Mas entretient de longue date des relations avec des chirurgiens travaillant ou ayant travaillé pour les centres anti-cancer.
Les prothèses asymétriques sont une invention de deux chirurgiens, Marie-Christine Missana et Arnaud Rochebilière. La première a exercé dans le plus grand centre anti-cancer français, institut Gustave-Roussy (IGR) de Villejuif, avant de rejoindre une clinique à Monaco ; le second possède un cabinet à Toulon. L'invention étant brevetée, PIP a régulièrement versé des royalties aux deux médecins (d’après un document comptable que Mediapart a pu consulter, ces royalties s’élevaient en 2005 à 19 700 € pour chacun des deux inventeurs).
Par ailleurs, l’entreprise de Jean-Claude Mas a entretenu des relations suivies avec plusieurs centres anti-cancer. Ainsi, PIP a travaillé avec des chirurgiens ayant exercé à l’institut Curie (Paris), notamment le docteur Alfred Fitoussi, déjà mentionné, et le docteur Krishna Clough, qui a créé l’Institut du sein à Paris. Les comptes rendus des commerciaux montrent que le docteur Fitoussi a effectué des présentations ou des ateliers pour PIP. Par exemple, à propos d’un congrès tenu en juin 2006 au Centre anti-cancer Léon-Bérard, à Lyon, le commercial de PIP note : « Lors de ce congrès, le docteur Fitoussi a fait une très bonne présentation sur nos prothèses asymétriques. Le professeur Chavoin a pris la parole pour dire qu’il était pleinement satisfait de ces implants. »
Lors d’un séminaire d’oncoplastie en mars 2007, dont PIP a subventionné le buffet, le docteur Fitoussi a fait un exposé, de même que ses collègues de l’IGR, les docteurs Marie-Christine Missana et Lise Barreau. Ces exposés ont été accompagnés de films d’interventions chirurgicales.
Il semble que PIP ait eu quelques difficultés à s’implanter à l’institut Gustave-Roussy, malgré la présence du docteur Missana, associée par son brevet à l’entreprise de Mas. D’après les rapports des commerciaux, le service pharmacie de l’IGR s’est dans un premier temps opposé au choix de PIP. Le rapport de décembre 2005 indique que le docteur Missana et sa collègue Lise Barreau avaient d’abord refusé de recevoir le représentant de PIP, qui a finalement pu présenter sa gamme de produits après une intervention de Rochebilière. Le feu vert est donné en 2006 et, en mai 2007, l’IGR est devenu le client n°1 de son secteur, avant la clinique Pétrarque du docteur Sidney Ohana…
Un troisième centre anti-cancer client de PIP est l’institut Claudius-Regaud (ICR), à Toulouse. Des chirurgiens de cet institut, le docteur Ignacio Garrido et le docteur Hélène Charitanski, ont travaillé avec PIP. Garrido a dirigé un atelier sur les prothèses asymétriques lors d’un congrès en 2006.
Par ailleurs, Françoise de Crozals, pharmacienne à l’ICR, était la coordinatrice de la centrale d’achat des centres anti-cancer en 2008. Le service commercial de PIP est entré en relation avec elle début 2008, et a ainsi pu obtenir les informations nécessaires pour répondre à l’appel d’offres.
Si PIP a remporté cet appel d’offres, la situation se gâte début 2009. Un rapport de janvier note que l’institut Claudius-Regaud « ne pose quasiment plus d’asymétriques », notamment parce que les implants se déforment et sont sujets à des rotations « en aussi grand nombre que les anatomiques ». En novembre 2009, Françoise de Crozals, la pharmacienne responsable de la centrale d’achats, se fâche. Lors d’une réunion avec les cadres de PIP, elle se plaint de ce que le gel des prothèses ne serait plus le même qu’au début du marché. Puis elle adresse à la direction de l’entreprise une lettre dans laquelle elle demande, « suite à certaines rumeurs », les éléments complets du dossier, comportant « l’assurance qualité relatif à l’origine des gels de silicone constitutifs de vos prothèses ». Bref, la confiance n’est plus au rendez-vous. Mais le marché avec les centres anti-cancer aura tout de même fonctionné plus d’un an, après avoir été conclu au moment précis où bon nombre des clients de PIP se tournaient vers la concurrence. Une anomalie parmi de nombreuses autres dans cette affaire tortueuse que la justice n’a fait jusqu’ici qu’effleurer.
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