Les factures de Bygmalion sont décidément impayables. D’après des informations recueillies par Mediapart, l’entreprise détenue par des proches de Jean-François Copé, plus précisément sa filiale Doxeo spécialisée dans la formation des élus locaux, a osé adresser en 2011 une « convention » à 7 176 euros pour seulement douze heures de coaching au conseil général de l’Aisne. Le conseiller général qui prétendait bénéficier de cette formation, au tarif inattendu de 600 euros de l’heure, n’est autre que Jérôme Lavrilleux, le directeur de cabinet de Jean-François Copé à l’UMP, régulièrement présenté comme son âme damnée. Choquée, la collectivité a bloqué le contrat et refusé de débourser un centime.
Tous les élus locaux ont certes droit à des heures de formation dispensées par l’organisme agréé de leur choix, prises en charge par leur collectivité. « Mais là, c’était bien plus cher que les prix habituellement pratiqués », explique Philippe Mignot, le directeur de cabinet du président du conseil général socialiste, qui reconnaît avoir retoqué la « convention ». « En quinze ans, je n’avais jamais eu de problème avec les demandes des élus, jure-t-il. Ni de gauche ni de droite. »
Le contrat prévoyait pour Jérôme Lavrilleux six séances de deux heures en tête à tête avec un directeur de Bygmalion, organisées dans les locaux du groupe à Paris, étalées entre le 30 juin 2011 et le 8 décembre 2011. Au menu : « Prise de parole en public », « Training et mise en situation », « L’argumentation comme outil d’affirmation », ou encore la « communication sensible ».
Ce nouvel épisode pourrait intéresser le parquet de Paris qui a ouvert une enquête préliminaire le 5 mars sur d’éventuelles infractions pour « faux », « abus de biens sociaux » et « abus de confiance », confiée à l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales. D’après Le Point, le groupe de Bastien Millot et Guy Alves aurait « surfacturé » des prestations d’événementiel et de communication pendant la dernière présidentielle, au détriment de l’UMP et du candidat Nicolas Sarkozy.
Sollicité par Mediapart, Jérôme Lavrilleux, par ailleurs tête de liste UMP dans le Nord-Ouest pour les prochaines européennes, nous a raccroché au nez vendredi soir : « Je n’ai aucune réponse à donner à quoi que ce soit à Mediapart. Je me contrefiche de ce que vous pouvez marquer. Vous marquez ce que vous voulez, vous enregistrez ce que vous voulez. » Le président de son groupe UMP au conseil général, Hervé Muzart, le défend plutôt mollement. « Je n’ai pas à juger », se contente de glisser l’élu, qui a « vu passer le nom du prestataire Bygmalion en 2011 pour la première fois ».
Dans les rangs de l'opposition, on en profite surtout pour rappeler que Jérôme Lavrilleux « ne vient quasiment jamais siéger », selon Jean-Pierre Balligand (PS). D’après le pointage de la présidence, l'élu UMP se serait présenté « deux fois en trente et une séances » depuis mars 2011 (date de sa réélection).
De son côté, le "Copé boy" Bastien Millot, l’un des principaux actionnaires de Bygmalion, défend son tarif de 7 176 euros, qu'il ne juge « pas extravagant ». « Quand vous prenez des gens pour former des élus, ce sont des professionnels, ça se paye, balaye le communicant. Ces formations individuelles sont gérées par des intervenants spécialisés. J’aimerais bien savoir sur quoi se base le conseil général de l’Aisne pour dire que c’est trop cher. » Des formations de ce genre, Doxeo « en délivre des centaines par an », assure-t-il. Et Jérôme Lavrilleux, en fin de compte, n’en aurait « jamais suivi » une seule.
Si lui aussi trouve cette histoire « curieuse », c'est pour une tout autre raison. « Je ne comprends pas pourquoi ils ont retoqué cette demande, alors que Jérôme Lavrilleux, comme tout élu, a un droit à la formation, déclare Bastien Millot à Mediapart. Refuser une formation sans donner d’explication à l’élu et à l’organisme n’est pas légal ! Où est la lettre qui explique ce refus ? Je n’ai jamais eu la moindre réponse écrite. »
Agréé comme organisme de formation en 2009, Bygmalion a su profiter d’un marché très juteux dans tout l'Hexagone. Depuis 1992, les collectivités locales sont en effet tenues de dépenser, en formation, un montant équivalant à 20 % des indemnités de fonction de leurs membres. Financés sur deniers publics, ces stages sont régulièrement facturés plus de 1 000 euros par jour par les prestataires, nombreux d’un côté comme de l’autre de l’échiquier politique. Ainsi depuis 2009, Bygmalion ne vend plus seulement des prestations de communication aux collectivités UMP (voir l’article de Mediapart) ou du “coaching” au parti pour ses militants, mais commercialise avec sa filiale Doxeo des séances de formation pour les élus municipaux, départementaux et régionaux.
Plusieurs formateurs concurrents de la société expliquent à Mediapart que cet essor de Doxeo doit beaucoup à l'ascension de Jean-François Copé à l'UMP. « Lorsqu'il a pris la présidence du groupe à l'Assemblée en 2007, puis celle du parti fin 2010, Bygmalion a récupéré à chaque fois de nombreuses formations d'élus et de militants UMP », confie l'un d'eux. S'agissant des sessions payées sur les budgets des collectivités, un autre confirme qu'« il y a des zones entières de France où l’on sait que c’est Bygmalion. On n’a pas "le droit" d’y aller, on le constate quand on démarche par téléphone. » « Nous allons chercher nos clients nous-mêmes ! » nous avait rétorqué Bastien Millot, lors d’un entretien en juillet dernier.
Lui et Jérôme Lavrilleux se connaissent par cœur, tous deux originaires de l’Aisne, tous deux soutiens inoxydables de Jean-François Copé. Mais si Bastien Millot court les plateaux radio et télé depuis des années, Jérôme Lavrilleux n'a surgi devant les caméras qu'en novembre 2012, lors des élections internes pour la présidence du parti et la guerre Copé-Fillon. C’est lui qui avait brandi les fameux documents prouvant « le bourrage d’urnes massif » opéré, selon lui, par le camp de l’ancien premier ministre.
Pendant la présidentielle de 2012, Jérôme Lavrilleux avait également su se rendre indispensable à Nicolas Sarkozy en gérant la logistique de ses meetings, au point que l’ancien chef de l’État lui a remis, après la défaite, l’insigne de l’ordre national du mérite.
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