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Vivendi choisit Numericable comme repreneur de SFR

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Le coup de théâtre n'avait pas été prévu. En dépit des ultimes pressions d'Arnaud Montebourg pour orienter son choix vers Bouygues, le conseil d'administration du groupe a choisi de privilégier la candidature de Numericable comme repreneur de SFR. La société, qui avait surenchéri sur son offre initiale pour l'emporter face à Bouygues, a offert 11,75 milliards d'euros pour le deuxième réseau de téléphonie mobile français. Vivendi a décidé d'entrer en « discussions exclusives » avec lui pendant trois semaines. La décision bouscule tout ce qui avait été mis en place depuis quinze jours pour lancer la grande réorganisation de la téléphonie mobile en France.

Selon diverses sources, les administrateurs de Vivendi étaient partagés sur le nom du repreneur. Jean-René Fourtou, président du conseil de surveillance de Vivendi, soutenait la candidature de Numericable, bien que celle-ci ait été repoussée par Vivendi il y a dix-huit mois. Il avait engagé des négociations personnelles avec Patrick Drahi, le président du groupe, pour boucler l'opération. Jean-René Fourtou soutenait cette candidature car elle lui semblait la plus sûre d'un point de vue concurrentiel : le président du conseil de surveillance tient beaucoup à pouvoir faire état de l'avancement de la cession de SFR, voire de sa conclusion, au moment où il doit quitter le groupe lors de l'assemblée générale de Vivendi le 24 juin. Il aimerait, dans la mesure du possible, pouvoir même annoncer un dividende exceptionnel à ce moment-là, afin de quitter Vivendi en beauté, après douze ans de présidence.

En face, Claude Bébéar, soutien de toujours de Jean-René Fourtou, était pour une fois en désaccord avec son vieil ami. Il était favorable à l'offre défendue par Bouygues. Cette candidature lui semblait plus réaliste, compte tenu de la taille du repreneur. Numericable étant une petite société très endettée, et qui devra encore s'endetter lourdement pour racheter SFR. De plus, l'ancien président d'Axa aurait été assez sensible aux arguments du gouvernement, très engagé derrière l'offre de Bouygues, afin de réorganiser le marché des téléphonies mobiles, en ramenant le nombre d'opérateurs de 4 à 3. Cette réorganisation devait servir à mettre un terme à la guerre des prix qui sévit sur ce marché et permettre aux opérateurs de dégager les moyens pour investir dans la fibre optique, décrétée comme grand chantier du gouvernement. Toutefois, malade, Claude Bébéar n'a assisté au conseil que par téléphone. Finalement, le conseil d'administration a choisi « à l'unanimité » de se rallier à la position de Jean-René Fourtou et d'opter pour la candidature de Numericable, qui lui donnerait des garanties de rapidité et sur l'emploi. Il se donne trois semaines pour vérifier la solidité de la candidature de Numericable, et s'il « doit mettre un terme aux autres options envisagées ».

Même si sur le papier, le rachat de SFR par Numericable semble poser moins de problèmes qu'un rachat par Bouygues, il n'est pas sûr que cela se passe aussi facilement que prévu. En mettant à terre le plan qui avait été accepté par les opérateurs, les autorités de la concurrence et le gouvernement, Patrick Drahi risque de ne pas avoir la tâche facilitée. De nombreuses questions ont commencé à être soulevées sur l'état financier de Numericable et de sa société mère Altice, dont les bilans, avant le rachat de SFR, ressemblent à une structure de LBO (leverage buy out) : une pincée de capital pour une montagne de dettes. La société mère, qui est cotée, n'a que 80 millions d'euros de trésorerie, et n'a pas publié son résultat net. 

La cascade de sociétés intermédiaires logées au Luxembourg, pour finir à Guernesey, tandis que son président Patrick Drahi, qui aurait pris la nationalité israélienne selon Challenges, est fiscalement domicilié en Suisse, pose aussi de sérieux problèmes. Elles ont déjà été  critiqués par le gouvernement. Furieux, Arnaud Montebourg a agité, avant même la décision, la menace d'enquêtes fiscales.

De son côté, l'Autorité de la concurrence pourrait aussi demander des gages au nouvel opérateur, afin de lui accorder l'autorisation de racheter SFR. Car Numericable va devoir démontrer comment il peut vivre avec ses dettes, tout en investissant, sans extraire des montants exorbitants auprès des consommateurs.

Durant les trois semaines, les pressions sur le conseil de Vivendi, sur Numericable s'annoncent donc multiples. « Rien n'est joué », dit un proche du dossier. « Bouygues a encore toutes ses chances. »

En l'état, l'épisode en tout cas met en lumière bien des désastres. Celui de la gestion de Vivendi en premier. Sans cap depuis plus de deux ans, si ce n'est d'assurer le maintien de ses dirigeants, le groupe en est réduit à choisir en catastrophe le repreneur qui peut lui offrir le plus de cash tout de suite afin d'offrir un bilan présentable aux actionnaires. À l'assemblée générale, le conseil va enfin pouvoir expliquer qu'il a diminué l'endettement de Vivendi, lequel dépasse depuis des années les quinze milliards d'euros. Au dernier moment, il va ainsi pouvoir  justifier douze années de présidence dérisoire après le putsch de Jean-Marie Messier en juin 2002. Douze années dont il n'a rien fait, si ce n'est enrichir personnellement ses dirigeants.

Mais les discussions de ces dernières semaines ont aussi mis en relief l'état du marché de la téléphonie mobile et de ses opérateurs. Pendant quinze jours, les opérateurs ont parlé sans fard et, à travers leur projet d'accord, ont mis en lumière leurs faiblesses. Les aveux ne pourront pas s'oublier. Après l'annonce du choix de SFR, les cours des trois opérateurs affichaient des baisses supérieures à celle du marché : l'action de Bouygues perdait 2,80 %, celle d'Orange 2,04 %, celle d'Iliad 4,41 %. Car tous sont considérés comme perdants.

En se portant comme candidat pour la reprise de SFR, Martin Bouygues a souligné combien la guerre des prix qui sévissait dans le secteur était en train de mettre à mal sa filiale et de peser sur son groupe. Le rachat de SFR et la mise en Bourse de la nouvelle entité, tout en gardant le contrôle, lui permettaient de partager le fardeau et d'engager une consolidation demandée désormais par les trois opérateurs. S'il ne parvient pas à retourner la situation en sa faveur, pourra-t-il tenir encore longtemps ? Ou sera-t-il à un moment ou à un autre obligé de jeter l'éponge ? Les personnes familières de Martin Bouygues pensent qu'il ne renoncera jamais à cette activité qu'il a créée dans le groupe. Mais il est des moments où, même au nom des principes, il est difficile de s'entêter. En tout cas, cela risque de donner lieu à de sérieuses empoignades.

De son côté, en acceptant très vite de faire alliance avec son ennemi d'hier pour récupérer son réseau, Free a révélé combien l'insuffisance de réseaux en propre et le contrat d'itinérance avec Orange lui pesaient. Désormais, s'il ne parvient pas à récupérer le réseau Bouygues, il devra lui aller à toute vitesse pour satisfaire aux engagements d'un taux de couverture de 75 % du territoire en janvier 2015, engagement pris auprès de l'autorité de régulation des communications et des postes (ARCEP) au moment de l'attribution de la quatrième licence en 2009. Son réseau aujourd'hui atteint un taux de couverture de 60 %.

Enfin, le président d'Orange, Stéphane Richard, bien que très discret pendant toute cette négociation, a insisté lui aussi sur la nécessaire consolidation du secteur. Toujours très endetté, le groupe souffre de l'effondrement sur son marché domestique. Il a aussi montré qu'il était prisonnier de ce contrat d'itinérance.

Tous ont donc de grands intérêts à ce que ces trois semaines prouvent la non-viabilité de la candidature de Numericable. Gouvernement, autorité de la concurrence, monde des affaires sont prêts à se coaliser pour les y aider. La période risque d'être riche en rebondissements. « Cette affaire est lamentable. Dans aucun pays, que ce soit aux États-Unis, en Grande-Bretagne ou en Allemagne, un groupe seul ne pourrait s'opposer à une décision du gouvernement dans un secteur aussi stratégique. Le patrimoine public est mis à l'encan pour le seul bénéfice de personnes physiques », s'énerve un connaisseur du dossier.

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