« Quel que soit le preneur retenu, Free sera le vainqueur. » C’est par ce tweet envoyé à ses troupes que Xavier Niel a commenté l’annonce de l’offre de Bouygues sur SFR, destinée à contrer celle de Numéricable. Le patron de Free n’en doute pas. Il est le maître du jeu dans la téléphonie mobile. Les autorités de régulation lui ont fait le cadeau magnifique de lui donner les clés du secteur. Rien ne peut se faire sans lui.
Les derniers rebondissements prouvent qu’il a vu juste. Samedi, à la surprise générale, Bouygues annonçait un accord inattendu avec Free, son adversaire de toujours. Si Bouygues emporte le contrôle de SFR, il est d’accord, pour lever tous les obstacles concurrentiels, de céder son propre réseau et ses fréquences à Free. Pour la société de Xavier Niel, c’est un cadeau providentiel. En dépit de tous ses engagements et ses promesses, le titulaire de la quatrième licence de téléphonie mobile n’a toujours pas construit un réseau suffisant en propre et dépend en grande partie du réseau d’Orange, dont il loue l’accès, pour acheminer les communications de ses abonnés. D’un seul coup, il hériterait d’un réseau sur tout le territoire pour la somme finalement modeste de 1,8 milliard d’euros, au moment où les échéances approchent et qu’il risque de devenir évident que Free ne respecte pas ses engagements. Une chance vraiment, saluée comme il se doit par Xavier Niel, qui a apporté un vibrant soutien à l’offre de Bouygues. « C’est le scénario qui serait le plus favorable à la fois pour les consommateurs, le marché et pour la France », a-t-il insisté en présentant, lundi, ses résultats.
Dans le monde de la téléphonie mobile, qui depuis plus de deux ans vit au rythme des bagarres incessantes, des déclarations tonitruantes, de menaces à peine voilées, l’annonce de cet accord a provoqué un réel étonnement. Car entre ces deux-là, la guerre semblait être sans merci. Depuis que Xavier Niel avait prédit, au moment du lancement de Free dans la téléphonie mobile en 2012, la mort de son concurrent Bouygues Telecom, Martin Bouygues avait juré de lui livrer un combat sans répit. Fin février, au moment des résultats du groupe, ce dernier annonçait encore une nouvelle guerre commerciale contre son adversaire : après la téléphonie mobile, le combat, disait alors Martin Bouygues, allait se porter sur la téléphonie fixe et internet, la seule source de profit d’Iliad, la maison-mère de Free.
Quinze jours plus tard, toutes les haines et les rancœurs paraissent s'être volatilisées. Le monde des affaires applaudit à ce que certains dénomment déjà le « grand Yalta de la téléphonie mobile » en France. Cette paix des braves lui semble de bon augure. Le gouvernement, de son côté, peine à feindre sa stricte neutralité. Même si le ministre des finances, Pierre Moscovici, rappelle que le gouvernement ne se détermine qu’en fonction de l’emploi, des investissements et des consommateurs, la solution de reprise de SFR par Bouygues, défendue depuis un moment par Arnaud Montebourg, a nettement sa préférence. Martin Bouygues a été reçu par François Hollande à l’Élysée pour lui présenter son plan. L’accueil réservé à son projet paraît avoir été très favorable.
Même l’autorité de la concurrence, qui avait été à l’initiative de la création d’une quatrième licence donnée à Free pour relancer la concurrence dans la téléphonie mobile, semble désormais acquise au projet, bien que celui-ci risque de remettre à plat toute sa politique, en ramenant le nombre d’opérateurs de 4 à 3 dans le secteur. « Je ne crois pas qu’il y ait de chiffre magique dans un marché idéal », déclarait Bruno Lasserre, président de l’autorité de la concurrence, samedi dans Le Figaro. Lundi, il reprenait la parole, d’une façon très surprenante, dans Les Échos pour commenter l’accord intervenu entre Bouygues et Free pendant le week-end. « Indéniablement, cet élément nouveau, dont j'ai été informé par les parties samedi matin sans disposer encore de tous les détails, est de nature à favoriser un examen peut-être plus rapide, et en tout cas plus simple, du dossier », expliquait-il.
La Bourse saluait à son tour avec enthousiasme lundi l’accord annoncé entre les deux ennemis de naguère. Le cours de Bouygues gagnait plus de 5 %, celui d’Iliad plus de 11 %. « Le marché a parlé. Il a approuvé », dit un observateur.
La direction de Numéricable a tenté de renverser le courant, mercredi, en relevant son offre sur SFR pour la porter 11,75 milliards d'euros. Mais avant même que Bouygues ait lancé sa contre-proposition, le projet de Numéricable peinait à convaincre. La société apparaît trop petite et surtout trop endettée. La cascade de sociétés de contrôle entre Luxembourg et Guernesey ne plaît pas au gouvernement. Sa présence, toutefois, sert bien Vivendi qui l’utilise pour faire monter les enchères.
Mercredi, Bouygues a augmenté une dernière fois son offre pour être assuré de l’emporter. Il lui a donné aussi de nouvelles assurances sur l’avenir. Le rachat de SFR doit se faire par le biais d’une fusion avec Bouygues Telecom, la nouvelle entité doit être introduite en bourse dès sa création. Bouygues s’engage à verser dès la prise de contrôle 11,3 milliards d’euros en numéraire. Dans le cadre de la fusion, Vivendi, qui doit recevoir 42 % du capital de la nouvelle entité, a obtenu l’assurance de pouvoir en vendre une partie à des investisseurs financiers, avant même l’introduction en bourse. Par la suite, Vivendi bénéficiera d’une garantie de rachat de 15 % du capital auprès des investisseurs financiers, dont les noms ne sont pas connus pour le moment.
Dans le langage des affaires, cela revient à faire « une proposition qu’on ne peut pas refuser ». Le groupe Bouygues connaît les impératifs de Vivendi. Ce dernier a annoncé sa volonté de se désengager de SFR depuis plus de 18 mois. Sa détermination à abandonner la téléphonie mobile est encore plus affichée depuis que Vincent Bolloré, à l’issue d’un putsch à l’automne dernier, s’est imposé comme le prochain dirigeant de Vivendi : l’homme d’affaires ne croit pas à la téléphonie mobile depuis des années. C’est lui qui a accéléré le processus de cession en novembre. Il entend donc en sortir de la façon la plus rapide et la plus sûre possible.
À toutes ces explications, s’ajoute une plus particulière mais peut-être plus déterminante que toutes les autres : Jean-René Fourtou, qui doit quitter la présidence de Vivendi le 24 juin lors de l’assemblée générale du groupe, entend terminer son mandat sur cette vente. Ce serait pour lui une façon d’enregistrer au moins un succès, une possible hausse du cours de Bourse et peut-être d’annoncer un dividende exceptionnel, histoire de partir en beauté. Après douze années de présidence médiocre, Jean-René Fourtou le vaut bien.
Dès lors, la décision du conseil d’administration de Vivendi, prévue vendredi 16 mars, semble être prédéterminée. Tout est en place pour que le conseil préconise la vente de sa filiale historique à Bouygues plutôt qu’à Numéricable. Difficile de résister à une offre financièrement élevée et soutenue de toutes parts.
Mais pourquoi aucun opérateur étranger ne vient donc perturber ce petit jeu franco-français ? Au moment où les grandes manœuvres de consolidation sont en cours dans toute l’Europe, n’y a-t-il aucun opérateur extérieur intéressé par SFR, deuxième opérateur de téléphonie mobile en France avec 22 millions d’abonnés ? L’activité est pourtant censée être une rente garantie. La réponse à cette absence ne tient pas à l’État. Pour une fois, il n’est pas accusé de protectionnisme. Simplement, les opérateurs étrangers ne veulent pas mettre les pieds en France. « La France est vue comme un territoire dévasté pour les télécommunications par les investisseurs en raison d’une concurrence meurtrière », écrit le Wall Street Journal.
Il y a plusieurs manières d’établir la concurrence dans des métiers de réseau, où par nature la contrainte physique – dans le cas des télécommunications mobiles, les fréquences – limite l’accès à l’entrée et tend à conduire à des situations oligopolistiques. Une des plus efficaces est de permettre aux autorités de régulation d’avoir un vrai pouvoir de police auprès des opérateurs, de surveiller leurs prix, de contrôler les investissements, d’en imposer, de limiter les marges, à la manière de ce que fait l’organisme de régulation de l’eau en Grande-Bretagne. Très inspirée par la politique libérale en vogue en Europe, l’Autorité de régulation des communications et des postes (ARCEP) a décidé qu’il était beaucoup plus simple de s’en remettre au marché : celui-ci allait pourvoir à tout.
L’attribution d’une quatrième licence de téléphonie mobile, voulue par l’ARCEP et cautionnée par le premier ministre François Fillon en 2009, devait relancer une concurrence et secouer des opérateurs prenant des habitudes de rentier. Dans les faits, elle a fait exploser le secteur. « Arcep a péché un peu par dogmatisme et beaucoup par naïveté. Elle pensait que Free allait se comporter comme un opérateur normal et construire progressivement son réseau. Il n’en a rien été. Free s’est uniquement appuyé sur le réseau de l’opérateur historique. Comme il n’était tenu par aucune logique industrielle, il a pu casser les prix pour les ramener pratiquement à zéro. Il ne gagne rien dans le mobile. Mais il se rattrape sur le fixe », explique un ancien cadre de SFR. D’autres tiennent des propos beaucoup plus soupçonneux sur l’Arcep, accusée d’avoir systématiquement favorisé Free et fermé les yeux sur tous ses écarts.
Sans grande contrainte d’investissement, Xavier Niel a pu proposer des forfaits à 2 ou 20 euros, en se présentant comme le grand défenseur des consommateurs. La vente à perte n’est plus interdite depuis la loi sur la modernisation de l’économie votée en 2009. Tous ses concurrents ont été obligés de s’aligner et ont baissé leurs prix dans des proportions rarement vues, de l’ordre de 30 à 40 % en quelques mois. Depuis, la guerre des prix fait rage dans le secteur, laissant quasiment morts les MVNO, ces opérateurs virtuels qui étaient censés aussi animer la concurrence en louant des capacités de trafic sur les réseaux installés.
« La stratégie de Xavier Niel a été simple. C’est une logique toute financière. Tout son jeu était de mettre à genoux Bouygues pour le racheter. Comme cela, il aurait pu s’offrir un réseau tout construit. Le cours de son groupe, Iliad, étant largement surévalué, il visait à racheter son concurrent par une fusion en papier, comme cela il n’aurait rien eu à payer. Enfin, grâce à l’envolée de son cours, qu’il a abondamment soutenu par ses déclarations et avec l’aide de l’Arcep, il est devenu milliardaire en moins de trois ans », constate un banquier, qui dresse un portrait de Xavier Niel assez éloigné de l’image du rebelle, porte-parole des pigeons toutes catégories, véhiculée un peu partout.
« La concurrence sera un bienfait pour tout le monde. Elle redonnera du pouvoir d’achat aux consommateurs. Elle relancera l’innovation et les créations d’emplois dans le secteur », avait promis Xavier Niel, parfaitement en phase avec l’Arcep dans ce credo. La "destruction créatrice" allait libérer toutes les énergies captées par la rente. Pour l’instant, on ne voit que la phase destruction.
Dès 2009, lors de l’annonce d’une quatrième licence de téléphonie mobile en France, les syndicats du secteur avaient pourtant dénoncé le danger d’une explosion du secteur. « Plusieurs rapports récents démontrent que la présence de quatre opérateurs mobiles ou plus, demandée par la Commission européenne dans les grands pays d'Europe, n'est pas viable économiquement », avaient écrit l’Unsa et la CGE de France Télécom. « Cela ne peut entraîner que des suppressions d’emploi, des délocalisations, des pertes d’investissement », avait prédit dans des communiqués communs l’ensemble des syndicats du secteur. Salariés, sous-traitants, fabricants d’équipements, affiliés, tous allaient payer au prix fort cette décision mortifère, qui n’apporterait aucun bénéfice, avaient-ils averti.
En 2012, un professeur d’économie à l'université de Paris-II Panthéon-Assas, Bruno Deffains, publiait une étude montrant que la concurrence allait tuer l’innovation et l’investissement dans le secteur. 70 000 emplois étaient menacés, selon lui, par la guerre des prix. Xavier Neil, le soupçonnant d’être à la solde de Bouygues, a porté plainte contre lui pour dénigrement.
Fait rarement vu dans une procédure de ce type, la police est allée jusqu’à saisir les ordinateurs du professeur pour prouver la collusion avec son adversaire. Mais de quels soutiens Xavier Niel bénéficie-t-il pour obtenir une telle main de justice ? Face à la polémique, le patron de Free a fait marche arrière et l’affaire s’est tassée.
Les prévisions des syndicats et de cet économiste se sont malheureusement réalisées. C’est même une hécatombe. SFR a supprimé plus de 2 000 emplois directs, Bouygues plus de 1 000. Orange, tenu par ses obligations d’opérateur historique, temporise en comptant sur la pyramide des âges de ses salariés. Mais la direction reconnaît que la guerre des prix va se traduire par 3 000 emplois en moins environ dans la durée.
Les opérateurs ferment des points de vente dans toute la France. En quelques mois, plus de 600 magasins ont disparu. Les franchisés sont encore plus touchés, soumis parfois à des pressions énormes des opérateurs, les obligeant à se livrer une concurrence farouche entre eux (lire le blog Telecom qui donne une illustration des conditions réelles des distributeurs). Beaucoup mettent la clé sous la porte. La chaîne de distribution Phone House a décidé de se retirer totalement du territoire français, estimant qu’elle ne pouvait plus y travailler. Quelque 1 200 salariés sont menacés de perdre leur emploi.
Même si les difficultés d’Alcatel-Lucent sont multiples, l’effondrement du marché français est aussi responsable des licenciements massifs imposés aux salariés français, selon les syndicats du groupe. C’est en tout cas une des explications qui leur a été donnée par la direction pour justifier des suppressions d’emploi bien plus élevées en France. Alors que les marges sont réduites à l’extrême limite voire nulles, les opérateurs réduisent au maximum leurs investissements.
Depuis trois ans, les associations de consommateurs notent une dégradation continue de la qualité des réseaux. Les connexions deviennent plus difficiles, surtout dans le train, les chargements plus longs, même la voix a parfois du mal à passer. La qualité chez Free est plus basse que chez les autres, à en croire leurs études, et de façon surprenante, même quand les communications de Free passent par le réseau Orange. Certains en arrivent à se demander si l’opérateur n’a pas volontairement bridé les accès afin de diminuer sa facture chez Orange, son contrat d’itinérance étant indexé sur la bande passante. En 2013, Iliad a payé 730 millions d’euros à l’opérateur historique pour l’emprunt de son réseau.
Les développements dans l’innovation ont été réduits. Quant à l’installation de la fibre optique, dont le gouvernement entend pourtant faire un grand axe d’avenir, elle avance à pas de fourmi. « Mais qui se soucie de la qualité des réseaux, des investissements d’avenir ? Les consommateurs ne veulent voir que le prix », constate amer cet ancien salarié de SFR.
Pour casser cette spirale infernale, Orange et Bouygues ont tenté de sortir par le haut. Ils ont misé sur la nouvelle technologie 4G, censée offrir des vitesses et des qualités de connexion et de chargement beaucoup plus rapides. Ils espéraient grâce à cette nouvelle offre augmenter leurs prix et reconquérir une nouvelle base d’abonnés. Ils avaient à peine commencé que Xavier Niel est venu casser leurs espérances. Chez Free, a-t-il promis, la 4G serait au même prix que les autres forfaits, à 20 euros. « C’était le dernier entrant. Il avait intérêt à avoir cette attitude. En faisant cette annonce, Free a barré le chemin à tous les opérateurs étrangers qui auraient pu être intéressés par SFR. Ils ont compris qu’il n’y aurait aucune échappatoire à la guerre des prix. Même en essayant de miser sur la technologie, ils ne pourraient pas gagner d’argent. Ils ont tiré un trait sur le marché français », explique l’analyste Frédéric Genevrier.
Par ses seules déclarations, Xavier Niel est ainsi parvenu à garder la main sur la téléphonie mobile en France. Il continue à faire le prix et les alliances, le tout dans le silence assourdissant des autorités de régulation. Car Free, faute de réseau, n’est pas capable d’offrir la 4G, de l’avis des spécialistes. « De même, il promet des connexions à 100 mégabits dans le très haut débit fixe. Il est dans l’incapacité de le faire. Mais personne ne vérifie. Il n’a jamais été ennuyé par ses publicités mensongères », relève cet ancien cadre de SFR. Il a fallu attendre le 1er octobre 2013 pour que l’Arcep réagisse et mette en garde dans un communiqué les abonnés sur le « caractère inexact des annonces de Free sur le très haut débit fixe ». Mais qui prête attention aux mises en garde de l’Arcep, surtout si elles ne sont assorties d’aucune mesure contraignante ou d’aucune sanction ?
Le silence de l’Arcep, lors des dernières tractations entre Bouygues, SFR et Free, traduit l’embarras de sa position. D’un seul coup, toute sa doctrine est mise à bas. Son président, Jean-Ludovic Silicani, sait que le gouvernement et plus largement le monde politique le tiennent pour largement responsable de la déconfiture des télécommunications en France. Il préfère se faire oublier et laisser le champ libre au plan Bouygues qui a le soutien du gouvernement.
Décidé à forcer le destin, qui menaçait de le conduire à sa perdition, Bouygues rebat les cartes du marché de la téléphonie mobile, pour tout le monde. Mais il le fait au prix fort. Car la nouvelle entité, dont Bouygues assure qu’il sera actionnaire sur le long terme, va être lourdement endettée, dès son démarrage. Les 11 milliards d’euros de cash versés en numéraire vont être quasiment entièrement empruntés auprès d’un pool bancaire emmené par HSBC. Ses banquiers conseils assurent que le rapprochement entre SFR et Bouygues va permettre de dégager 10 milliards d’euros d’économies.
À ce stade, ces calculs laissent les observateurs dubitatifs. Car, dans le même temps, Martin Bouygues s’est engagé auprès du ministre du redressement productif à « ne procéder à aucun licenciement collectif, plan social, plan de départ volontaires dans le cadre de cette fusion ». Dans le même temps, il promet d’« investir deux milliards d'euros par an sur les réseaux fixe et mobile, en particulier dans le domaine de la fibre optique (400 millions d'euros par an) », sans compter l’engagement de rapatrier des centres d’appels en France et de faire appel aux équipementiers français pour les installations. Tout ce que le gouvernement souhaite entendre s’y trouve. Mais les observateurs doutent que la nouvelle entité puisse réaliser au moins à court terme tous ces engagements, en particulier sur le plan social : les doublons entre SFR et Bouygues Telecom sont partout. Les lois "de la bonne gestion" risquent vite de reprendre le dessus d'autant que la nouvelle société, très endettée, aura du mal à supporter l’ensemble de ces charges.
En face, Free paraît être le grand gagnant de cette redistribution. L’accord en tout cas va lui sauver la mise. Quand il s’est lancé dans la téléphonie mobile, son réseau ne couvrait que 25 % du territoire. Deux ans après, il n’en est qu’à 60 % du territoire. Même en investissant à un rythme accéléré, beaucoup doutent qu’il puisse atteindre le taux de couverture de 75 % en janvier 2015, comme il s’y est engagé au moment de l’attribution de la quatrième licence. Son développement dans la 4G est encore plus balbutiant puisqu’il n’a que 1 184 points en France. La reprise du réseau Bouygues résoudrait d’un coup tous ses problèmes, y compris face aux autorités de régulation.
En lui apportant un réseau en propre, ses concurrents, le gouvernement, les autorités de régulation font le pari que Free sera tenu alors de rentrer dans une logique plus économique, d’investir dans ses réseaux, de les développer et donc d’arrêter une stratégie de cassage des prix. Depuis qu’il est devenu propriétaire du Monde et grand réorganisateur de la presse de gauche, qu’il est admis dans l’establishment avec lequel il entretient des liens étroits, notamment avec la famille Arnault (LVMH), Xavier Niel s’est assagi, disent certains experts du monde parisien. Il aspire à être reconnu, à les en croire.
D’autres en doutent. Après l’avoir vu œuvrer depuis un certain nombre d’années, ils pensent que Xavier Niel n’abandonnera pas une stratégie qui lui a si bien réussi jusqu’à présent, en captant les richesses collectives ou accumulées par d’autres pour son seul profit. La logique industrielle ou économique, selon eux, est trop éloignée de son mode de pensée. Le voudrait-il qu’il ne le pourrait pas, assurent-ils. « Où va-t-il trouver les centaines de millions d’euros par an pour investir dans le développement de ses réseaux et des nouvelles technologies ? Il ne les a pas », assure un de ses détracteurs. Même le rachat du réseau de Bouygues Telecom pour 1,8 milliard d’euros paraît à certains hors de sa portée. « Même si le prix est fixé, vous verrez qu’il tentera de renégocier l’accord à son profit. Le rapport de force sera encore en sa faveur. Car ni le gouvernement ni les autorités de régulation qui ont porté cet accord dans l’espoir de remettre de l’ordre dans le secteur ne voudront remettre tout en cause ou avouer leur échec. Alors ils céderont à ses conditions », prédit un banquier. L’avenir dira ce qu’il en est.
Lundi, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont annoncé un accord de coopération en vue de développer la 5G. La France, qui, voilà vingt ans, avait la réputation de posséder l’industrie de télécommunications la plus en pointe en Europe, qui avait inventé Transpac, le Minitel, le GSM, n’a pas été conviée à participer à cet accord. Il est vrai qu’elle n’est plus rien dans le secteur, pourtant dit d’avenir. Vingt ans de démembrement industriel imbécile, de politique de concurrence désordonnée et dogmatique ont eu raison d’années d’investissement et de savoir-faire.
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