« C’est une affaire pour la presse, mais pas pour la justice », « il n’y a aucun acte illégal là-dedans », « rien de pénalement répréhensible à faire bosser ses amis »… Voilà ce que répétaient en boucle les responsables UMP à Mediapart depuis le début de l’affaire Copé, révélée par Le Point. C’est pourtant bien à la justice que le parti d’opposition va devoir désormais rendre des comptes. Le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire le 5 mars sur les liens financiers entre l’UMP et le groupe Bygmalion, fondé en 2008 par deux proches de Jean-François Copé, Bastien Millot et Guy Alves.
Selon Le Monde, les investigations, confiées à l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, visent à identifier d'éventuelles infractions de « faux », « abus de biens sociaux » et « abus de confiance ». « L’UMP accueille avec sérénité l’ouverture de cette enquête qui permettra de tordre le cou aux allégations calomnieuses et mensongères du Point, a fait valoir le parti dans un communiqué. L’intégralité des comptes de l’UMP (que Jean-François Copé a placé sous scellés le 3 mars – ndlr) est à la disposition de la justice française. »
Le directeur de cabinet de Jean-François Copé, Jérôme Lavrilleux, a quant à lui déclaré au Monde n’avoir « rien à cacher et rien à nous reprocher » et qu’il n’y avait « aucun problème et pas matière à stresser ». En accédant à ces comptes, les enquêteurs vont donc chercher à déterminer si le patron de l’UMP a effectivement favorisé certains de ses amis au détriment du parti qu’il dirige depuis novembre 2010. Et qui a reçu près de 20 millions d’euros de fonds publics en 2013. Mais ils pourraient ratisser plus large encore.
- De Bygmalion au Sarkothon
Déjà prestataire de tous les grands évenements organisés par l’UMP (universités d’été, journées parlementaires, conseils nationaux…), le groupe Bygmalion a joué un rôle clé dans l’organisation de la campagne de 2012, via l’une de ses filiales, Events & Cie. Selon Le Point, cette dernière aurait empoché 8 millions d’euros au total pendant la course à l’Élysée.
Les enquêteurs devront vérifier si certaines des prestations ont été surfacturées, comme l’expliquait l’hebdomadaire. Une entreprise délicate. L’un des acteurs clef de la campagne de 2012, un copéiste, nous déclare : « Chez Bygmalion, ils étaient corvéables à merci. Cela a un prix : celui que le client est prêt à payer. Je ne suis pas choqué. Comment parler d’une surfacturation de 10 % ou 20 % ? » L’ancien trésorier de l’UMP, le filloniste Dominique Dord, interrogé par L’Express, en conviendrait presque : « J'avais alerté Nicolas Sarkozy : tu es sûr que tu ne laisses pas les copains de Jean-François (Copé) se gaver ? Il m'avait répondu : non ! Les surfacturations ? C'est improuvable ! Combien vaut un meeting qu’on organise dans des conditions d'urgence absolue ? Combien vaut le savoir-faire ? Certaines prestations sont très difficiles à évaluer. »
Si des surfacturations étaient établies, la justice ne manquerait pas, en tout cas, d’aller voir plus loin et de s’interroger sur la contrepartie classique de ce genre de services entre amis : la “rétro-commission”, reversée par l’heureux prestataire à celui qui lui a permis de “manger”.
Outre cette question de surfacturations, les investigations porteront également sur l’éventualité de fausses factures et de prestations fictives. Le 6 mars, LePoint.fr pensait avoir mis la main sur l’une de ces prestations, facture Events & Cie à l’appui. Le site accusait la filiale d’avoir fait payer au conseil général des Alpes-Maritimes des jours de formation pour Olivier Bettati, formation que cet ex-adjoint de Christian Estrosi à Nice, et candidat dissident aux municipales, n’aurait jamais suivi.
« Selon nos informations, la formation est fictive, permettant à la société et au bénéficiaire de se partager ce montant », écrivait le site, avant de se raviser quelques heures plus tard en modifiant son propos : « Cela devient de l'enrichissement illégal quand la formation est fictive – ce qui est souvent le cas. » Contacté dans la foulée par Mediapart, Olivier Bettati annonçait qu’il allait porter plainte contre LePoint.fr. « Ces formations sont réelles ! », assurait-il, avant de décrire par le menu les locaux du centre de formation dans lequel il dit d’être rendu « deux fois en novembre et trois fois en décembre ». Bygmalion a également indiqué vouloir porter plainte.
Ce n’est pas la première fois que la société de Bastien Millot et Guy Alves se retrouve dans le viseur de la justice. En avril 2013, le parquet de Créteil avait ouvert une enquête préliminaire pour « favoritisme », « détournement de fonds », « prise illégale d'intérêts », « faux et usage de faux », dans le cadre d’une affaire impliquant la commune de Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne) et son maire UMP-UDI, le chiraquien Henri Plagnol, qui a cotôyé Jean-François Copé au gouvernement entre 2002 et 2004.
Entre décembre 2009 et décembre 2012, la ville a passé cinq contrats avec Idéepole, une autre filiale de Bygmalion, pour un montant global de 330.000 euros. L’agence devait réaliser plusieurs supports de communication municipaux (magazine, guides annuels, identité visuelle…). Or, selon un adjoint dissident cité par Le Parisien, près de 250.000 euros « ne correspondent pas à des prestations réalisées ».
En décembre 2012, une plainte a également été déposée par Anticor 06 pour « délit de favoritisme » contre le député et maire UMP de Menton, le filloniste Jean-Claude Guibal. Dans sa plainte, l’association anti-corruption estime qu’« une certaine opacité entoure l’attribution de (...) deux marchés », confiés par la ville – sans mise en concurrence – à deux sociétés : celle de Bastien Millot et Guy Alves, mais aussi COM1+, appartenant à Guillaume Peltier, vice-président de l’UMP et co-fondateur de La Droite forte. Selon les détails publiés par Marianne, Bygmalion a mené un « audit de communication accompagné de recommandations stratégiques » tandis que COM1+ a réalisé une « évaluation », un « accompagnement » et un « suivi des politiques publiques municipales ».
Parmi ses clients, Bygmalion compte aussi Génération France, le micro-parti de Jean-François Copé, créé à l’automne 2006 et dont Guy Alves fut trésorier au moins jusqu’en 2007. Pendant un temps, la société et le micro-parti ont même été domicilés à la même adresse. Bygmalion a conçu le site internet de Génération France, mais aussi développé son application mobile et édité ses livres.
Tandis que les finances de l’UMP s’enfonçaient dans le rouge, le micro-parti de Copé, lui, battait des records de dons, passés de 116.065 euros en 2008 à 428.731 euro en 2010. Dans le même temps, les dépenses en « propagande et communication » de Génération France ont littéralement chuté (164 399 euros dépensés en 2008 contre 25 519 euros seulement en 2010). Comment échapper à cette question : le “parti de poche” a-t-il profité, après 2010 et l’arrivée de Jean-François Copé à la tête de l’UMP, de prestations directement financées par la maison-mère ?
Enfin, les enquêteurs pourraient s’aventurer du côté du “Sarkothon” et de ses coulisses, puisque les 11 millions d’euros de dons captés par l’UMP au lendemain du rejet du compte présidentiel de Nicolas Sarkozy sont incontournables dans la colonne “recettes” du parti.
- Le juteux marché des formations
Bygmalion a aussi commercialisé des formations pour élus et militants UMP. Lorsque le parti lance, en 2011, son vaste plan de 22 formations décentralisées des militants, c’est à la société de Bastien Millot que Copé fait appel. Interrogé par Mediapart en juillet, il avait expliqué ne pas avoir effectué « la moindre prestation » pour l’UMP depuis « fin 2011 ».
Bygmalion a-t-il alors raflé le marché des formations proposées aux élus de droite par l'Association nationale pour la démocratie locale (ANDL) ? Cet organisme qui centralisait historiquement les formations des élus RPR puis UMP – payées sur les budgets des collectivités locales et souvent facturées plus de 1.000 euros par jour – a été confié en septembre 2011 par Copé à sa numéro deux, Michèle Tabarot.
D’après son site, « plus de 2000 élus UMP, UDI et Divers Droite » ont participé en 2012 à des formations dispensées par l’ANDL (prise de parole, finances publiques locales, etc.). « Rien n'a jamais été signé avec l'ANDL, même si sa présidente est une amie », a assuré Bastien Millot au Point.
Plusieurs fillonistes et sarkozystes affirment à Mediapart que la nouvelle patronne de l’ANDL avait pour mission de « mettre en sommeil » l’organisme et de « réorienter » les formations vers Bygmalion. Seront-ils prêts à détailler ce mécanisme devant la justice ? Ces accusations ont en tout cas été niées par le groupe. « Cela ne s’appuie sur rien. Nous allons chercher nos clients nous-mêmes », s’était déjà défendu Bastien Millot lorsque nous l’avions interrogé en juillet, en assurant qu’il n’y avait pas « d’envolée du chiffre d’affaires » de Bygmalion.
La société a également travaillé pour le groupe UMP à l’Assemblée nationale, présidé par Jean-François Copé jusqu’en novembre 2010 (puis par son bras-droit Christian Jacob). Ces prestations ont pu être directement financées par les fonds du groupe (dont les comptes n’ont jamais été rendus publics), ou ponctuellement prises en charge par l’Assemblée nationale (qui mettait jusqu’en 2012 un petit budget à disposition des parlementaires pour des séances de “media training”). Sa filiale Edition avait réalisé en 2008 des plaquettes personnalisées pour chacun des 320 députés UMP, qui présentaient leur bilan.
- Du Cannet à Levallois
Bygmalion – et notamment sa filiale Idéepole – ont aussi décroché plusieurs marchés de collectivités locales UMP, souvent dirigées par des copéistes. C’est le cas du Cannet, ville de la secrétaire générale de l’UMP, Michèle Tabarot. En 2011, la mairie a attribué deux marchés publics (à hauteur de 60 000 euros) à Bygmalion pour la « recherche de mécénat », le « conseil en communication » et la « relation presse » du tout nouveau musée Bonnard. « Bygmalion a été la mieux-disante au regard des critères de la consultation engagée », avait justifié Michèle Tabarot, interrogée par Mediapart en juin.
On retrouve aussi le groupe Bygmalion en Seine-et-Marne, département où est élu Jean-François Copé. Il a réalisé le magazine municipal et le site web à Coulommiers et la communication des fêtes médiévales à Provins, les villes de deux lieutenants de Jean-François Copé : le secrétaire général adjoint de l’UMP Franck Riester et Christian Jacob. À Montereau, le député et maire UDI Yves Jégo a sollicité Bygmalion pour gérer les relations presses de son festival, en 2012.
Idéepole a également assuré des prestations pour la ville de Maison-Alfort (le magazine municipal), dont le maire, Michel Herbillon, proche de Copé, est devenu secrétaire général adjoint de l’UMP en février 2013. À Levallois, ville de Patrick Balkany, Bygmalion s’est vue attribuer un marché de « conseil et d’accompagnement » en communication de 192 000 euros. Candidat à sa propre succession, l’élu sarkozyste a aussi confié à l'entreprise de communication la « création graphique » de certains documents de campagne.
Outre Menton et Saint-Maur-des-Fossés citées plus haut, d’autres collectivités ont fait appel aux services de Bygmalion. À Dreux (Eure-et-Loir), le maire Gérard Hamel, secrétaire national de l’UMP, a accordé à la société en juillet 2012 un marché de « conseil en communication politique de la ville » à hauteur de 107.640 euros. Le 5 mars, l’opposition de gauche lui a demandé « toute la transparence » sur ce service de « conseil en communication ». La ville de Dreux « n'a effectivement payé que 48.000 euros » pour « des prestations effectivement réalisées », avait indiqué le directeur de communication de la mairie, Eric Madelon. Pour l'opposition municipale de gauche, « le montant (de la facture est) anormalement élevé au regard de prestations floues ».
Bygmalion a réalisé le magazine municipal de plusieurs communes de Seine-et-Marne – le département où est élu Jean-François Copé –, dont Melun et Esbly, de l'Oise (Beauvais, où Bastien Millot a été adjoint) et du Val d’Oise, comme Soisy-sous-Montmorency et Saint-Gratien. Le groupe a également fourni des prestations à la ville d’Annecy (magazine municipal) et à deux départements, le Rhône (communication du musée gallo-romain de Lyon-Fourvière) et la Côte d’Or (magazine du conseil général). Des élus proches de Jean-Fançois Copé ont aussi fait appel à Bygmalion pour concevoir leur site internet personnel.
Y aurait-il un renvoi d’ascenseur pour les élus travaillant avec Bygmalion ? Plusieurs fillonistes et sarkozystes relèvent la chronologie troublante de certaines nominations à l’UMP. Exemple avec le député et maire du Val-de-Marne, Michel Herbillon. Le 3 janvier 2013, sa ville attribue un marché à Bygmalion. Un mois plus tard, il devient l’un des secrétaires généraux adjoints de l’UMP à l’occasion de l’élargissement de la direction du parti.
De fait, les postes ne manquent pas dans la direction pléthorique de l’UMP. Partagée entre fillonistes et copéistes, elle compte 20 vice-présidents, 12 secrétaires généraux adjoints, 13 délégués thématiques, 52 conseillers politiques et 263 secrétaires nationaux. Un candidat sarkozyste raconte que les dirigeants de Bygmalion lui ont gracieusement proposé leurs services pour l’aider dans sa campagne municipale. Les amis de Jean-François Copé savent que les candidats d’aujourd’hui sont susceptibles d’octroyer demain des marchés de communication.
- Sarkozy à l’horizon
Mais au-delà du camp Copé, l’ouverture de cette enquête préliminaire pourrait inquiéter jusqu’à Nicolas Sarkozy. Car pour comprendre la trésorerie de l’UMP, les enquêteurs devront s’immiscer dans le compte de campagne présidentielle de l’ancien chef de l’État. C’est inévitable : pour 2012, dans la colonne dépenses du parti, 4,9 millions d’euros correspondent à des frais de campagne de Nicolas Sarkozy directement réglés par l’UMP (salaires de “petites mains”, frais de meeting et de communication, etc). Bygmalion a facturé tantôt à l’un, tantôt à l’autre, sans que la clef de répartition soit toujours compréhensible.
Après le meeting de Marseille du 19 février 2012, Franck Louvrier, conseiller communication à l’Élysée, serait intervenu pour imposer une seconde société d’événementiel, Agence Publics, plus proche de Nicolas Sarkozy.
Pour l’ancien chef de l’État, la perspective de voir des magistrats et policiers spécialisés plonger leur nez dans ses petites affaires est autrement plus inquiétant que de subir les vérifications comptables de la Commission nationale des financements politiques et du Conseil constitutionnel. Les “Sages” ont certes rejeté son compte, lui infligeant une amende et le privant du remboursement par l’État d’environ 11 millions d’euros, mais eux n’avaient pas les pouvoirs d’enquêter pour identifier d’éventuelles infractions pénales. La Commission nationale a bien le pouvoir de saisir la justice quand elle soupçonne la commission d’un délit, mais n’en a rien fait en 2012. Cette fois, pour Nicolas Sarkozy, c’est une autre musique.
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