Près de deux mois après la remise du rapport Lescure sur « la politique culturelle à l’ère des contenus numériques », censé mettre un terme au règne de la Hadopi, le gouvernement continue d'entretenir le flou sur ses intentions réelles.
Mardi 9 juillet, le ministère de la culture a ainsi publié, au Journal officiel, le décret supprimant la peine de coupure de l’accès à internet en cas de téléchargement illégal. Une mesure attendue, mais qui laisse en suspens de nombreuses questions sur l’avenir de la Hadopi.
« En cas de condamnation, le juge ne pourra plus prononcer de peine complémentaire de coupure d’accès a internet », s’est félicitée devant la presse la ministre Aurélie Filippetti. Cette sanction, stade ultime du dispositif de « riposte graduée » de la Hadopi, était en effet l’un des symboles de la politique répressive envers les internautes. Ainsi, elle sanctionnait non pas le fait de télécharger, mais le « défaut de surveillance de son ordinateur », un moyen de rendre chaque possesseur directement responsable, même en cas d’usage par un tiers.
Préconisée par le rapport Lescure, la suppression de cette peine pourrait cependant n’avoir que peu de conséquences. En tous cas, elle ne répond pas aux nombreuses inquiétudes sur le futur dispositif de lutte contre le téléchargement illégal que le gouvernement prépare actuellement.
En effet, en près de trois années d’existence, la sanction de coupure d’accès à internet n’a été appliquée qu’une seule fois, au mois de juin dernier, contre un internaute qui s’est vu priver de connexion durant quinze jours. Or pour remplacer cette peine quasiment inappliquée, le décret prévoit d’instituer des amendes administratives sans préciser leur montant ni si celles-ci seraient infligées de manière systématique. En fonction du montant et du degré d’automaticité de ces amendes, le nouveau dispositif pourrait ainsi finalement se révéler beaucoup plus répressif que la peine de suspension.
Lors de son audition par les députés, au mois de juin, Aurélie Filippetti s’était pourtant prononcée contre ce type de sanction : « Je ne pense pas que cela doit être une sanction administrative, parce qu’une sanction administrative a quelque chose d’automatique et le juge administratif n’a pas de latitude d’appréciation concernant l’opportunité des poursuites », avait ainsi déclaré la ministre devant les parlementaires.
Parmi les questions en suspens, figure également celle de l’autorité qui serait chargée de faire appliquer ces amendes. Sur ce point, le rapport Lescure proposait de supprimer la Hadopi et de transférer ses pouvoirs, et notamment son pouvoir de sanctions, au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Une perspective qui était pourtant loin de réjouir le président du CSA, Olivier Schrameck. « Je ferai ce que décideront les pouvoirs publics », expliquait-il fin mai à Mediapart. « Mais, en tous cas, je ne veux pas que cette institution devienne un “CSA gendarme”, et je serai extrêmement attentif sur ce point. »
Or, lors de la conférence de presse de mardi, Aurélie Filippetti a bien confirmé, et pour la première fois de manière aussi claire, que « la riposte graduée, sous sa forme aménagée du nouveau décret, sera transférée au CSA ». Si la loi en préparation devant transposer les propositions du rapport Lescure dans le droit confirme la mise en place d’amendes, le CSA se verra donc bien dans l’obligation de se coiffer d'un képi.
La publication de ce décret a d’ailleurs été critiquée par l’association de défense des internautes La Quadrature du net. « Il ne s’agit que d’un effet d’annonce », écrit l’association dans un communiqué. « La page ne sera définitivement tournée que lorsque tout le dispositif de la Hadopi (riposte graduée, délit de négligence caractérisée, ordonnance pénale) sera définitivement abrogé, et que les droits culturels du public à partager la culture seront effectivement reconnus par la loi. »
À moins qu’au moment du passage du texte devant les députés, ces derniers ne décident finalement d’une autre solution… Depuis quelques semaines, un consensus se dessine autour de l’instauration d’une licence globale, un dispositif de légalisation des échanges non marchands en échange d’une contribution forfaitaire. Défendue par le président de la commission des affaires culturelles Patrick Bloche, évoquée devant les députés par Aurélie Filippetti et Pierre Lescure, cette solution a même récemment reçu le soutien inattendu de la Hadopi elle-même. Or, dans l’hypothèse d’une légalisation des échanges non marchands, la question des amendes deviendrait elle-même caduque, faute de contrevenants à sanctionner. Contacté par Mediapart, le CSA n’a pas souhaité s'exprimer sur la question.
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