C'est un plan à trois improbable dans les coulisses gouvernementales. Depuis plusieurs mois, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon se sont progressivement rapprochés de celui qui semble le meilleur ennemi de leurs partisans, Manuel Valls. Par effet de génération, par nécessité et par tactique. Le ministre de l’intérieur y voit son intérêt, celui de ne pas se couper de la gauche de l’électorat socialiste.
Les indices sont nombreux. Avec Arnaud Montebourg d’abord. Le ministre du redressement productif et celui de l’intérieur s’affichent régulièrement en duo avec un plaisir savamment mis en scène. Ensemble, ils ont bien ri dans un TGV, après un déplacement commun dans le sud de la France. Ils ont fait meeting commun dans le Pas-de-Calais pour les municipales. Et ils aiment à parler l’un de l’autre.
En janvier, Montebourg revient de son premier déplacement commun à l’approche des municipales avec Valls. Il a rendez-vous avec quelques journalistes (dont Mediapart) et il a manifestement envie qu’on en parle. D’ordinaire, le ministre aime à critiquer les journalistes politiques, accusés de ne s’intéresser qu’aux petites phrases et aux bas calculs quand lui est occupé à sauver l’industrie française. Cette fois, dès la première question, il se met à lister tous les points qui le rapprochent de « Manuel ».
« Leur rapprochement est acté. Ils sont très bons l’un et l’autre. Qu’ils continuent, c’est bien. Je les ai tellement vus se bouffer le nez ! » ironise aussi le ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll. « Que certains ministres, pour des raisons de génération, ou de conception de la politique, se parlent, cela ne me surprend pas… Avec Jospin (de 1997 à 2002, ndlr), il y avait un séminaire gouvernemental tous les quinze jours. Là, ce n’est pas le cas, analyse de son côté le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone. C’est normal que lorsque ça tangue, des gens qui ne sont pas les plus mauvais essaient de constituer un élément de stabilité. »
Ce sont d’abord les circonstances qui les rapprochent. Celles qui font d’eux les rares ministres du gouvernement Ayrault à être plutôt populaires, du moins au PS, et qui se désolent souvent du fonctionnement de l’exécutif. En privé, ils jugent Jean-Marc Ayrault trop faible, voire carrément mauvais. Leurs désaccords avec le premier ministre ont même parfois explosé sur la place publique – sur Florange pour Montebourg et sur Leonarda pour Valls – avec, à chaque fois, une menace de démission brandie à la face de Hollande, puis remisée. Tous deux sont aussi en ligne directe avec l’Élysée et se plaisent à contourner Matignon dès que possible.
À la table du conseil des ministres, ils croient aussi bénéficier d’une aura particulière : celle de ceux qui ont goûté de près au suffrage universel, pour avoir participé à la primaire socialiste de 2011, remportée par François Hollande. « C’est un peu les grands fauves. On a connu autre chose. Ça change tout, quand vous êtes obligés de parler à la multitude », dit Montebourg avec emphase, dans une biographie de Manuel Valls par deux journalistes David Revault d’Allonnes et Laurent Borredon (Valls à l’intérieur, Robert Laffont, 2014). Ce diagnostic est partagé dans ce même livre par l’occupant de la place Beauvau : « C’est un club à deux », avec en partage « l’idée, parfois, de secouer le cocotier».
« Manuel m’a aidé à établir les primaires. Aubry et Hollande n’en voulaient pas. Pour l’obtenir, on a fait l’alliance des ailes droite et gauche du parti. Et on a pris en tenailles le centre », rappelle souvent en privé le ministre du redressement productif.
À ses yeux, il est encore avec Manuel Valls de ces « jeunes lions » qu’il appelait à prendre le pouvoir en 2007. « Il y a eu le temps des éléphants désormais révolu et dont la page se tourne définitivement. Voici maintenant venu le temps enthousiasmant des jeunes lions ! » lançait Montebourg à l’époque. Deux mois plus tard, il faisait venir pour sa traditionnelle fête de la Rose de Frangy-en-Bresse un groupe de jeunes pousses comme Aurélie Filippetti, Philippe Martin ou Sandrine Mazetier. Et bien sûr Manuel Valls.
Leur alliance repose d’abord sur cette « cohérence d’état civil », selon l’expression du député essonnien Thierry Mandon. Ils sont nés la même année, en 1962, et ils appartiennent à une génération qui a grandi dans l’ombre de la précédente, celle des poids lourds de la gauche plurielle, Martine Aubry, François Hollande, Laurent Fabius, Dominique Strauss-Kahn, etc. Les “quinquas” d’aujourd’hui, longtemps maintenus loin du pouvoir, après une décennie 2002-2012 trustée par la droite, ont au moins un intérêt commun : celui de vouloir construire la relève. Et Montebourg comme Valls ont tous deux souffert en interne dans leur parti.
« Avec des analyses tout à fait différentes, ils partagent le même scepticisme vis-à-vis du PS », estime Paul Alliès, secrétaire national adjoint du PS, sur le petit quota Montebourg. Un parti que Valls avait voulu renommer, et que le “MRP” (le surnom, sigle du “ministre du redressement productif”) a lui aussi déjà failli quitter. De fait, le statut de trublion crée des parallélismes de parcours. Valls a été menacé d’exclusion par Martine Aubry, première secrétaire du PS, quand Montebourg a développé des relations exécrables avec la maire de Lille en travaillant à ses côtés au secrétariat national à la rénovation. Le ministre du redressement productif établit un autre parallèle : « On a été des turbulents, quand Manuel était collaborateur de Hollande, et moi collaborateur de Aubry. On a eu la même expérience. »
Valls a également fait partie des socialistes les plus bruyants contre Georges Frêche, que Montebourg a longtemps combattu : en 2010, quand l’ancien maire de Montpellier juge que Laurent Fabius avait « une tronche pas très catholique », Valls appelle le PS à « rompre définitivement » avec un homme qui fait « honte à la gauche » et tient des propos « nauséabonds, indignes, insupportables ».
Mais Montebourg est aussi persuadé que son attelage avec Manuel Valls, formalisé voilà plusieurs mois, peut constituer un socle idéologique pour le gouvernement. Une sorte de théorisation de la protection. « Lui (Valls, ndlr) est dans l’autorité de la République sur la société, moi dans l’autorité de la République dans l’ordre de l’économie. (...) Malgré des divergences nées dans la primaire sur un certain nombre d’orientations, nous avons d’excellents rapports personnels et plutôt une forme de compréhension mutuelle, pour ne pas dire d’alliance instinctive, d’analyse partagée des problèmes, d’action commune et concertée », affirme Montebourg dans l’ouvrage Valls à l’intérieur. « Il y a un positionnement républicain, un sur la sécurité, un autre sur le patriotisme industriel », décrypte aussi Claude Bartolone, le président de l’Assemblée.
Près de dix ans plus tard, un des artisans de cette construction politique est l’ami commun des deux ministres : Aquilino Morelle, conseiller de François Hollande à l’Élysée, après avoir été directeur de campagne d’Arnaud Montebourg pendant la primaire socialiste d’octobre 2011 et avoir travaillé à Matignon, sous Lionel Jospin, avec un certain Manuel Valls. En dehors de ses fonctions à l’Élysée, Morelle fait aujourd’hui le go-between entre les deux ministres. Et se réjouit de leur rapprochement qu’il juge politiquement logique : « Ils partagent un même républicanisme intransigeant, un même volontarisme économique et un même réalisme du point de vue de la construction européenne. »
« Manuel a voté non (au référendum de 2005, ndlr). Nous avons été dans ce combat ensemble », rappelle également depuis Bercy le “MRP”. Mais l’un comme l’autre n’ont pas suivi Jean-Luc Mélenchon sur les estrades du “non de gauche”, ni même Laurent Fabius ou Henri Emmanuelli sur celles du “non socialiste”. Ils ont choisi de se plier à la discipline du parti, comme Benoît Hamon à l’époque. Montebourg s’est fait silencieux et Valls a carrément fait campagne pour le “oui”.
Le ministre de l’intérieur a pourtant retrouvé récemment des accents proches des analyses de Montebourg à l’époque. Début février, sur le plateau de France 2, il répond à une question sur le protectionnisme aux frontières de l’Europe : « Je pense que nous avons besoin d’un protectionnisme. Je donnerais un autre mot : un patriotisme. Un patriotisme économique, industriel, national. Le made in France défendu par mon collègue Arnaud Montebourg est un élément très important, au cœur du pacte de responsabilité. Si l’Europe veut redonner confiance, elle doit être capable dans les grandes négociations commerciales de se protéger davantage du dumping social. Nous avons besoin de protection. Il faut se protéger. »
Et pour se définir politiquement, Valls utilise peu ou prou les mêmes mots que ceux de son camarade : « De gauche profondément. La lutte contre les injustices reste au cœur de ma réflexion et de ma détermination. Républicain absolument. Patriote de plus en plus. Européen. Oui, mais à condition de changer l’Europe. »
De son côté, Montebourg se garde bien de toute intervention sur le domaine réservé de Manuel Valls. Un temps, il a pourtant fait partie d’un groupe de déjeuner avec Cécile Duflot, Christiane Taubira et Benoît Hamon, qui aurait pu constituer une alliance des gauches, y compris sur le dossier des Roms, de l’islamophobie ou du contrôle au faciès. Cette alliance a fait long feu et Montebourg reste désormais muet sur ces sujets. En coulisses, ses proches jurent que celui qui voulait, pendant la primaire, « promouvoir la diversité », a eu quelques passes d’armes avec Valls. « Sur les Roms, il lui a dit : “Calme-toi là-dessus ! Ne nous embarque pas” », raconte le député Arnaud Leroy, un proche de Montebourg.
Sur RTL, fin février, le ministre a insisté face à Marine Le Pen pour dire que « l’immigration rapporte plus qu’elle ne coûte ». Il a remercié les « 52 nationalités de PSA ». Ce n’est que lorsque la leader de l’extrême droite l’interrompt pour lui demander s’il faut plus d’immigration, que Montebourg tempère : « Il y a quand même des problèmes de cohabitation quand il y a concentration de ressortissants étrangers. » Une phrase somme toute banale, mais que certains de ses partisans lisent comme une nouvelle preuve de sa compatibilité vallsiste. « Montebourg a bien souligné qu’il fallait aussi faire attention. On peut avoir une vision très ouverte sur l’immigration mais on doit se colleter une réalité dans la société, décrypte Arnaud Leroy, chargé avec son collègue Patrice Prat de coordonner les élus pro-Montebourg à l’Assemblée. De ce point de vue, Valls a une longueur d’avance parce qu’il est en phase avec cette réalité. »
Les deux ministres ont aussi en commun d’être plutôt conservateurs sur les questions de société : ils sont par exemple très opposés à la légalisation du cannabis, et réticents sur la procréation médicalement assistée (PMA) pour les couples de femmes ou les femmes seules. Et ils sont tous deux peu appréciés des écologistes, Valls à cause de ses positions sur les Roms et l’immigration, Montebourg à cause de son obsession pour le nucléaire et le gaz de schiste. Les deux hommes partagent également un même goût pour ce qu’ils jugent être le « progrès » – l’énergie pour Montebourg et les OGM pour Valls, favorable à l’expérimentation en plein champ.
Mais les parallèles s’arrêtent là, et la théorisation politique de leur alliance reste bien fragile. « Si on creuse idéologiquement, ce n’est pas cet attelage qui peut porter une conceptualisation de ce que nous sommes en train de faire en marchant. Ni la conceptualisation d’une quelconque alternative à cette politique », estime le député et porte-parole du groupe PS à l’Assemblée Thierry Mandon. Proche de Montebourg, il connaît très bien Manuel Valls, élu dans le même département, l’Essonne. « Si on creuse sur les questions économiques, ils ne sont pas porteurs du même message », dit-il. Un avis partagé par un des proches du “MRP”, Paul Alliès : « Il n’y a pas de socle programmatique commun. » « Avec Valls on a des désaccords. Mais cela n’empêche pas de faire des choses ensemble et de vivre ensemble », admet aussi Montebourg.
Pendant la primaire socialiste, les deux hommes s’étaient à plusieurs reprises écharpés. Dans un documentaire de France 2, Montebourg avait affirmé que Valls n'avait qu'un « pas à faire pour aller à l'UMP ». Réplique de l’intéressé : « Ce genre de déclarations montre que lui n'a plus qu'un pas à franchir pour rejoindre le camp de la bêtise. » Valls avait aussi jugé que « l'idée de la démondialisation défendue par Arnaud Montebourg n'est pas adaptée, qu'elle est dépassée, et qu'elle est même franchement ringarde ».
Lors du deuxième débat télévisé, Montebourg avait quant à lui lancé à propos de la TVA sociale défendue par Valls : « Je ne voudrais pas laisser dire ici qu'il serait naturel que nous reprenions des solutions que la droite a essayé de faire passer. » « Arnaud, pas de coup, parce que personne ici n'a le monopole de la gauche », avait répondu le député de l’Essonne. Avant d’ajouter : « C’est trop facile de caricaturer. Ne balaie pas d’un revers de main des idées qui peuvent être de gauche. » Ironie de l'histoire : les propos de Valls ressemblent trait pour trait à la politique menée aujourd'hui par François Hollande.
À l’ombre de ce duo qui prend la lumière, il est une autre figure de l’aile gauche du PS qui fignole son rapprochement avec le ministre de l’intérieur. Benoît Hamon a des envies de retour sur le devant de la scène. Lui a construit patiemment depuis vingt ans un courant pesant aujourd’hui autour de 20 % du parti (au début appelé Nouvelle Gauche, désormais nommé Un monde d’avance – UMA). En s'appuyant sur les réseaux de jeunesse (ses proches “tiennent” sans discontinuer le MJS, l’Unef ou la mutuelle des étudiants), il compte parmi les mieux structurés de l'appareil du parti, même amputé des troupes ayant suivi Emmanuel Maurel et Marie-Noëlle Lienemann lors du dernier congrès de Toulouse.
Soucieux de gagner progressivement des positions et de sortir l’aile gauche de sa traditionnelle marginalisation, Hamon a peu à peu tissé sa toile, et peut actuellement compter sur une vingtaine de députés. Après avoir été porte-parole du PS sous Martine Aubry, lui-même est devenu ministre délégué, nommé par François Hollande.
« Quand il n’est pas d’accord, il ne parle pas. Il bosse, fait son truc, se cogne les lobbies et a fait passer deux lois qui laisseront des traces de ce que peut être une régulation de gauche », justifie Laura Slimani, nouvelle présidente du Mouvement des jeunes socialistes. Cette temporisation ne réjouit pas forcément ses troupes : « Benoît n’aurait jamais dû y aller, explique un responsable d’UMA. Surtout pour se retrouver sous-ministre parmi sept autres à Bercy. Ça fait deux fois qu’il nous met dans la merde, après avoir été porte-parole de Aubry au PS. C’est impossible d’être audible dans ces conditions. Le “dedans/dehors”, en fait, ça ne marche pas. »
Faisant partie de ces socialistes pour qui l’intérêt du parti compte plus que tout, Hamon a fait le choix de rentrer dans le rang lors du dernier congrès de Toulouse, en novembre 2012. Lui et les siens rejoignent alors la motion majoritaire emmenée par Harlem Désir. « On estimait que les militants n’auraient pas compris une différenciation alors que le quinquennat venait de commencer, explique son aîné Henri Emmanuelli, avec qui il fait cause commune depuis une dizaine d’années. Mais avec Benoît au gouvernement, on a perdu beaucoup de notre visibilité… » Et le député des Landes, ancien premier secrétaire du parti d’estimer : « Aujourd’hui, le courant est un peu en stand-by. Comme le parti. Au prochain congrès, il va falloir faire différemment… »
Benoît Hamon ne cache pas s’intéresser au parti, dans le cadre d’un renouvellement générationnel qui marquerait le deuxième temps du quinquennat. Il en a même récemment parlé avec François Hollande, après sa conférence de presse de janvier. Selon ses proches, la version qui a fuité, celle d'un refus élyséen de lui accorder la tête du PS serait une fable, même si l’histoire a bien été racontée par le Château à des journalistes. Quoi qu'il en soit, le ministre délégué à l’économie sociale et solidaire, semble, après avoir fait voter deux lois, avoir fait le tour de son ministère. Et il ne ferme désormais aucune porte : un ministère plus gros (comme l’emploi – où il était conseiller d’Aubry sous Jospin –, les affaires sociales ou l’éducation), la succession de Jean-Paul Huchon à la Région Île-de-France, ou le poste de premier secrétaire du PS. Tout est ouvert.
Mais dans tous les cas, Hamon a besoin d’alliés. Un de ses fidèles confie : « Le parti est tellement à terre qu’il pourrait se prendre dans un vote, mais celui-ci aurait de gros risques d’être truqué. Alors, Benoît aurait plus intérêt à profiter d’une transition bien organisée à la tête du PS, ou d’un congrès maîtrisé. » C’est dans ce contexte que court dans le tout-Paris la même rumeur que pour Arnaud Montebourg : Benoît Hamon a lui aussi passé un accord avec Manuel Valls. « Il aimerait lui mordre les mollets, mais il n’a pas les dents pour », soupire un cadre du courant UMA. Un tel rapprochement signerait une forme de retour aux sources pour Hamon, ancien rocardien du début des années 1990, qui s’est peu à peu affranchi de la « deuxième gauche », en même temps que le MJS, dont il fut le président en 1994, année de l’indépendance reconnue aux jeunesses socialistes par le PS et Michel Rocard.
« À l’époque, Valls était le chef de Hamon chez les jeunes rocardiens, se remémore un député, passé lui aussi par le MJS. Et c’est lui qui a choisi de le placer à la tête des jeunes socialistes. À l'époque, le MJS ne servait pas à grand-chose, l’instance reine étant plutôt les réseaux “Forums”, la réelle force de frappe “du courant rocky”. Ce qu’ils n’avaient pas vu venir, c’est que Benoît obtiendrait l’autonomie du MJS. Et qu’il s’en servirait pour construire son courant, Nouvelle gauche. »
Quand nous l’interrogions, en mai 2008, sur son parcours et ses origines rocardiennes, Hamon répondait : « C'était le temps où je mettais mes tripes d'un côté et mon discours politique de l'autre. Je ne renie pas cette expérience, qui m'a apporté des fondements d'action et de pratique actuels, comme l'attention à la délibération collective. Ce “bon côté deuxième gauche”, qui fait plus confiance au cheminement collectif qu'à l'avant-garde éclairée. »
Mais le vallsisme peut-il être considéré comme une continuité du rocardisme, qui s’est entre-temps prolongé avec le strausskahnisme ? Le lien n’est pas si évident, comme le souligne Matthias Fekl, jeune député proche de Pierre Moscovici : « Valls est plutôt républicain français, quand nous sommes davantage démocrates américains… »
Lors des multiples sorties de Manuel Valls, annonçant les reniements du pouvoir socialiste souvent en lieu et place du premier ministre, Benoît Hamon n’a jamais dit mot en public. Sauf en novembre 2013, à la tribune de l’université de rentrée de son courant, lors de l’affaire Leonarda. Mais jamais plus depuis. « Benoît a théorisé l’alliance avec Valls, alors que c’est devenu une ligne rouge, un marqueur pour la gauche », se désole le député Pouria Amirshahi, socialiste proche de la rupture avec son parti. « C’est comme si tout n’était qu’un jeu pour lui, une construction oligopolistique, afin de fausser tout concurrence », renchérit un autre hamoniste déçu. Un autre de ses camarades de longue date le comprendrait presque : « C’est comme s’il se disait que l’histoire était finie, que ça ne bougera plus. Alors, il cherche à rester dans le dispositif… »
En privé, Hamon confie pourtant : « Si on claquait la porte, on précipiterait la fin de l’histoire. Et on se dirait : “tout ça pour ça”. » Car s’il ne convainc pas une partie de ses troupes, le quadra n’a pas le goût de l’aile gauche éternelle. Peu avant la présidentielle, il confiait : « Il y a toujours un vieux réflexe chez nous selon lequel si on devenait majoritaire, ce serait la mort du courant… Mais nous, on a une ligne, et on sait où on va. Il ne faut pas offrir la possibilité à ceux qui ne nous aiment pas de nous juger repoussoir. » Un atout qu’il reconnaît aussi à Manuel Valls.
Son proche entourage nie pourtant tout accord avec le ministre de l’intérieur, préférant parler de « gentlemen’s agreement » ou de « modus operandi ». « Quand ils savent que ça va tanguer, ils ont décidé de se parler en amont, plutôt que de laisser leurs entourages se peigner la gueule », dit un conseiller. Responsable du courant Un monde d’avance, Guillaume Balas estime de son côté qu’« il y a entre eux une vision commune, outre le renouvellement générationnel, celle d’un “a-européisme” privilégiant le retour au patriotisme et le jacobinisme assumant les chocs structurels ».
Autre motivation de Hamon pour composer avec Valls, cette idée qu’il défend en interne au gouvernement : faute de “deuxième temps redistributif”, la deuxième partie du quinquennat devrait être celle du rapport de force dans l’Union européenne. Un point de vue qui lie de longue date Hamon avec Montebourg (ils étaient ensemble dans le courant NPS entre 2002 et 2005), et que pourrait incarner à Matignon un Manuel Valls, dont le volontarisme ne serait alors plus consacré à la stigmatisation des populations d’origine étrangère… Hamon certifie d’ailleurs à nombre de ses interlocuteurs que « Manuel bouge en matière économique ». Ensemble, le triumvirat afficherait alors cette « alliance entre colbertistes et républicains » dans laquelle ils se retrouvent, selon la formule rodée par chacun auprès de leurs entourages : « L’État stratège qui protège. »
Mais avant tout, c’est bien de tactique qu'il est question. Celle qui doit leur permettre de tirer leur épingle de la déprime gouvernementale et de sa spirale d’impopularité, et de construire la suite de la carrière de ces ambitieux. Hamon veut le PS ou un poste plus imposant. Montebourg et Valls ont déjà dit qu’ils rêvaient d’être président. Certains de leurs partisans y pensent déjà pour 2017. Les intéressés démentent systématiquement et jurent qu’ils attendront le quinquennat d’après. « Désormais, au PS, il y a un changement de génération évident, soupire un autre ministre du gouvernement. Aujourd’hui, vous êtes Valls ou Montebourg pour 2022. Le problème, c’est que l’individualisation passe avant l’idéologie… »
BOITE NOIREPour cet article, nous nous sommes réparti la tâche. Lénaïg Bredoux s'est occupée de la partie consacrée à Arnaud Montebourg ; Stéphane Alliès de celle portant sur Benoît Hamon.
Toutes les personnes citées ont été interrogées ces deux derniers mois.
Les deux citations de Claude Bartolone ont été recueillies par notre collègue Mathieu Magnaudeix.
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