Selon Le Monde, un ex-policier de la DCRI a été mis en examen, le 20 janvier 2014, pour « diffamation » envers l’un des mis en examen de l’affaire de Tarnac, après des propos tenus en 2013 sur un blog hébergé par Mediapart. En juillet 2013, Mediapart avait consacré une enquête à l'étrange activité de ce policier, révélant qu'il avait tenu une demi-douzaine de blogs, tous consacrés à l'affaire de Tarnac, en publiant des informations liées à la vie privée et publique des mis en examen. Il aurait également contacté un chercheur et un proche du groupe, en se faisant passer pour un sympathisant. Nous republions cet article.
-----------------------------------------------------
Pendant des mois, les membres du groupe de Tarnac, poursuivis depuis novembre 2008 pour des sabotages sur des lignes TGV (voir notre Boîte noire, point 1), se sont demandé qui était le mystérieux internaute qui, sur une demi-douzaine de blogs, commentait à coup de citations et de photos les divers développements de l’affaire de Tarnac. Un blogueur érudit, très porté sur le situationnisme, qui partageait avec eux nombre de leurs références littéraires et qui, plus inquiétant, semblait très bien connaître les membres du groupe, qualifié de « structure clandestine anarcho-autonome » par la police antiterroriste. Des blogs truffés de références aux lieux où ils vivent, à leurs lieux de rencontre, à leurs écrits, à des actions militantes remontant au début des années 2000, etc. Des références pour la plupart introuvables sur la toile.
Selon nos informations, ce blogueur ne serait autre qu’un policier de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), venant des ex-renseignements généraux (RG). C’est-à-dire du service à l’origine des informations qui ont motivé l’ouverture en avril 2008 par le parquet antiterroriste de Paris d’une enquête préliminaire visant le groupe de Tarnac. Contacté par Mediapart, le policier, nommé C. B., a démenti en bloc la majeure partie de nos informations, bien que son nom apparaisse sur un certain nombre de blogs et qu’il se soit, par le passé, vanté d’en être l’auteur auprès de plusieurs journalistes.
Il garde sa part de mystère : pourquoi son nom figure-t-il sur ces blogs ? Était-il en service commandé et, si non, pourquoi ses collègues des RG puis de la DCRI l’ont-ils laissé faire ? Combien de personnes a-t-il pu contacter ? Et quel rôle ont joué ses thèses dans la procédure engagée contre les membres du groupe de Tarnac depuis 2008 ?
Voir ci-dessous la vidéo où Mathieu Burnel, l’un des dix mis en examen de Tarnac, explique comment ses amis et lui ont commencé à se poser des questions sur ce blogueur.
Les blogs en question (« Icarie », « À un ami », « Celui qui fait au peuple de fausses légendes », « Le Pet au diable », « Dans le grand corps social de l’empire », puis un dernier sur Mediapart avec un seul billet depuis effacé) ressemblent à s’y méprendre à ceux de la blogosphère gaucho. Le schéma est toujours le même : des billets très courts, non datés, avec une photo soigneusement retitrée et une citation littéraire, incompréhensible pour le lecteur non averti. Leur point commun est de multiplier les allusions à l’affaire de Tarnac et à celle du groupe AZF, comme si les deux affaires étaient liées.
À partir de fin 2003, un groupe se dénommant AZF (mais sans aucun lien avec l'explosion de l'usine AZF de Toulouse deux ans plus tôt) avait menacé à plusieurs reprises de faire sauter des bombes sur les voies ferrées françaises, si une rançon de 4 millions de dollars et d'un million d'euros ne lui était pas remise. Deux engins seront effectivement retrouvés, puis le groupe finira par renoncer et disparaître des radars policiers. Selon nos informations, les RG puis la DCRI auraient effectivement cherché à comparer le groupe AZF avec Tarnac, avant d'évacuer le sujet faute d'éléments probants.
Mais la thèse du rapprochement semble tenir à cœur au policier blogueur. Sur ces anciens blogs, il multiplie les références au groupe AZF. Parfois de façon explicite – comme des extraits du livre des journalistes Élise Galand et Romain Icard, Suzy contre mon gros loup (éditions Privé, 2004) –, parfois de façon plus énigmatique, comme la photo d’une bâche bleue, intitulée « toile de Guy Debord ». Le groupe AZF avait en effet utilisé une bâche bleue, le 1er mars 2004, pour tenter de récupérer les sacs de billets demandés. L'opération fut un échec.
Ces blogs, dont nous avons pu consulter des copies (visibles ici), ont aujourd’hui tous disparu de la toile, leur auteur ayant manifestement jugé plus prudent de faire le ménage.
Certains billets font référence à des lieux que les dix mis en examen fréquentent ou ont fréquenté. En en-tête d’un des blogs, Icarie, figure ainsi une vue du 59, rue Orfila, à Paris, où Julien Coupat et sa femme Yldune Lévy habitent depuis leur sortie de détention en 2009 :
Apparaît également l’enseigne d'un ancien bar, « Le Vouvray », aujourd’hui disparu, que les militants avaient conservée sur la façade de leur local de la rue Saint-Ambroise :
Un autre billet est intitulé « Le verre à pied », référence là aussi à un bar de la rue Mouffetard, « où on buvait souvent des coups au début des années 2000 », raconte Mathieu Burnel, 33 ans, l’un des dix mis en examen de Tarnac. Des lieux bien connus des RG, puisqu'ils étaient mentionnés dès juin 2008 dans leur rapport sur l'ultragauche (publié en mars 2012 par Mediapart), où les policiers précisaient par exemple que les membres du groupe se réunissaient « ponctuellement » au « Verre à pied » afin « notamment de discuter de la rédaction de leurs textes ».
D’autres billets font référence au passé – réel ou attribué – de membres du groupe bien avant l’affaire de Tarnac. On retrouve une photo de Call, la version anglaise de L’Appel (sans éditeur, 2003), ainsi qu’un brouillon d’un texte anonyme, attribué aux membres de feu la revue Tiqqun cofondée par Julien Coupat :
« À l’époque, différents brouillons de L’Appel ont pu circuler de la main à la main, mais c’est tout », s’étonne Mathieu Burnel. Une photo montrant des personnes cagoulées intitulée « postsituationniste à Mont-Saint-Aignan » ferait référence « à une action que nous avions menée à la fac de Mont-Saint-Aignan », décrypte le jeune homme. L'action trouve écho dans le rapport des RG de 2008 sur l'ultragauche française qui revient sur ce placardage mené « lors d'une assemblée générale sur le campus universitaire de Mont-Saint-Aignan le 10 avril 2007 ». « Lors de cette réunion est apparu sur le devant de la scène un groupe anarcho-autonome pouvant être à l'origine du collage de l'affiche antipolicière, indique le rapport. Ce groupe revendique sa filiation avec l'Internationale situationniste de Guy Debord. »
« Il y avait aussi une photo d’Yldune Lévy que nous n’avions jamais vue : elle n’est pas sur son ordinateur, elle a interrogé son entourage mais personne ne sait d’où sort cette photo », poursuit-il.
Le Rouennais voit également resurgir des entrailles du passé la pochette de disque du groupe de rock dont il avait fait partie au début des années 2000, Burn Hollywood Burn (sorti en 2002). « Mon nom n’apparaissait nulle part sur cette pochette, ni en lien avec ce groupe », assure-t-il.
Le mystérieux blogueur est également très au fait de l’emploi du temps du groupe de Tarnac. « En octobre 2011, nous avions fait une réunion dans un restaurant coopératif à Rouen devant lequel est passé le semi-marathon, quatre jours plus tard, cette photo légendée : “Ceci n’est pas le semi-marathon de Rouen”, apparaît sur Internet, dit Mathieu Burnel. On s’est demandé s’il n’y avait pas une taupe parmi nous. »
Voir d'autres exemples sous l'onglet Prolonger
Joint par Mediapart au siège de la DCRI, à Levallois-Perret, le policier en question dément farouchement être l’auteur de blogs autre que celui ouvert dans le club de Mediapart (il a préféré depuis effacer également son unique billet, critiquant le livre de David Dufresne, Tarnac, Magasin général). Il reconnaît avoir suivi ces blogs et s’y être intéressé, mais sans pouvoir en identifier le ou les auteurs. Selon lui, ils contiendraient des textes « plus littéraires qu’autre chose », que « n’importe quel citoyen aurait pu écrire ». « Je n’ai pas décelé de détail personnel, assure-t-il. Vous ne trouverez aucun lien avec la DCRI. »
Son nom et son prénom figurent cependant dans les données Exif de plusieurs des photos publiées sur ces blogs, à la case « artiste ». Sur d’autres photos au contraire, leur auteur s’est amusé à brouiller les pistes, en indiquant en nom d’artiste « Qui suis-je ? ».
Le même policier (ou du moins une personne utilisant la même adresse IP que lui) a également eu la main lourde sur Wikipédia : pas moins de vingt contributions en cinq ans sur les fiches de Julien Coupat, de la revue Tiqqun que ce dernier a cofondée en 1999, à l’époque où il était encore thésard à l’EHESS, ou encore sur la fiche du mouvement autonome ! Sa première intervention sur la fiche Wikipédia de la revue Tiqqun (auto-dissoute en 2001 après deux numéros) remonte au 17 février 2008. À cette date, aucune enquête préliminaire n’a encore été ouverte concernant le groupe de Tarnac. Ce n’est en effet que le 11 avril 2008, quelques jours après la découverte par Benjamin Rosoux d’un dispositif d’écoutes téléphoniques à l’épicerie de Tarnac, que les policiers antiterroristes demanderont au procureur de Paris l'ouverture d'une enquête préliminaire, sur la foi d’informations venues des RG.
Cette première intervention n’a rien d’anodin. Le policier de la DCRI indique que « quelques membres de Tiqqun écrivent maintenant sous le vocable facile de “Comité Invisible” ». Avant d’ajouter : « Le feu semble toujours être la principale distraction de ces fils de bourgeois qui cherchent des palliatifs à leurs échecs personnels. Ils font cependant des émules parmi les paumés qui hantent les squats, moins malins qu'eux, ces derniers se font choper par les flics et vont grossir les rangs de ceux qui justifient par ailleurs leur combat anticarcéral. Et la boucle est bouclée. » Le commentaire clairement hostile et qui déroge avec les règles de Wikipédia sera supprimé le lendemain par un autre internaute.
Le 13 septembre 2008, le policier est de retour sur Wikipédia. Il précise que Tiqqun est « très inspiré des thèses développées par Giorgio Agamben », un philosophe italien. Et il ajoute un lien vers le court-métrage Et la guerre est à peine commencée et vers le livre Maintenant, il faut des armes, une anthologie de textes du militant révolutionnaire Auguste Blanqui publié par les éditions La Fabrique en 2006.
Le 30 novembre 2008, depuis la même adresse IP, un internaute ajoute sur la page Wikipédia de Julien Coupat un lien vers la page du groupe terroriste AZF. Là aussi, en 2009, il enrichit cette même page d’un lien vers le documentaire Et la guerre est à peine commencée. Le 12 septembre 2009, il précisera que le titre du court-métrage « est emprunté au poème de René Daumal,“La guerre sainte” ». Le 19 juin 2011, il annonce, toujours sur la fiche Wikipédia de Julien Coupat, la publication d’« un nouvel opuscule de 117 pages » intitulé Aux ennemis de l'intérieur « en circulation dès le premier trimestre 2011 ». Le 20 janvier 2013, il précise que L’Appel a été « probablement écrit collectivement au squat rennais de l'Ékluserie dans le courant de l'année 2003 et que certaines phrases sont reprises dans L’insurrection qui vient (2007, La Fabrique), rédigé par un “comité invisible” (livre lui aussi attribué par la police à Julien Coupat malgré le démenti de l’éditeur – ndlr) ».
Le même jour, il ajoute que le court-métrage Et la guerre est à peine commencée était « visionné en boucle, à l'époque, au squat de l'Ékluserie ». Et que Julien Coupat était également « l'auteur d'une contribution intitulée “Science du C.R.A.S.H.” publiée dans la Revue d'esthétique 33 de 1998 », une ancienne revue philosophique disparue en 2004. La dernière intervention du policier (sous cette adresse IP) semble remonter au 21 avril 2013.
Mais l’affaire a tourné à l’obsession : le 15 août 2008, le policier intervient par exemple sur la fiche Wikipédia d’un sculpteur français, Jean-Paul Aubé, pour y ajouter une œuvre, La comtesse Hallez. Quel est le lien avec Tarnac ? Un véritable jeu de pistes, suppute Mathieu Burnel : l'œuvre porte le même patronyme que Gabrielle Hallez, l’une des mises en examen de Tarnac et ex-compagne de Coupat. Sur l’un de ces blogs consacrés à Tarnac, le policier publie une photo de la sculptrice Camille Claudel, qu’il s’est amusé à retitrer « Gaby oh Gaby ». La même Camille Claudel servait de mot-clé au groupe AZF lors de ses échanges codés avec la police via les petites annonces de Libération en 2004. Encore plus inquiétant, le policier rectifie la fiche Wikipédia d’un écrivain normand, Dominique Noguez, « que Julien Coupat avait fréquenté quelques mois en 1998 », signale Mathieu Burnel. Ce dernier y voit « une façon de nous dire qu’ils savent tout de notre vie ».
Questionné, le policier reconnaît être effectivement intervenu sur la page de Julien Coupat, mais dit ne pas se souvenir de modifications sur d’autres pages.
Dans la vidéo ci-dessous, Mathieu Burnel explique pourquoi cette découverte constitue à ses yeux « la pièce manquante » du fiasco de l'affaire de Tarnac.
Loin de s’en tenir à cette intense activité sur Internet, le policier, persuadé d’un possible lien entre Tarnac et AZF, a, selon nos informations, contacté sous le pseudo « Rosa Luxembourg » certains journalistes travaillant sur l’affaire pour tenter de les convaincre de sa thèse, en se présentant comme un ancien membre du groupe d’extrême gauche aux RG. Parmi eux un journaliste de Paris Match, un autre du Monde et un ancien journaliste de Mediapart, David Dufresne.
Quelques mois avant la publication de son livre consacré à l'affaire, Tarnac, Magasin général, mi-décembre 2011, le journaliste reçoit ainsi une série de courriels. À chaque fois, sa mystérieuse correspondante « Rosa Luxembourg » insiste sur une « éventuelle implication dans l'affaire dite “AZF” » du groupe de Tarnac. Lourdement.
Le sigle du groupe AZF symboliserait « un leitmotiv des Tiqqun », la phrase « Ce ne peut être que la fin d'un monde, en avançant » (extraite du court-métrage Et la guerre est à peine commencée). « La lecture du sigle serait donc celle-ci : “AZF” comme “ce ne peut être que la fin d’un monde” et “➟” comme “en avançant” ; selon un code largement admis et qui ne fait pas appel à une sémiologie experte », écrit « Rosa Luxembourg » dans un de ces courriels.
Le policier tient peu ou prou le même discours à tous les journalistes contactés. Il se base sur la proximité entre Tarnac et le premier engin d'AZF découvert à Folles en Haute-Vienne le 21 février 2004 (à une centaine de kilomètres de Tarnac – ndlr), ainsi que sur une exégèse des analogies entre la prose de Tiqqun et des revendications d’AZF. « Dans ses longues lettres assez bavardes, le groupe AZF se définit comme un groupe de pression et une confrérie laïque, expressions qu’on retrouve quand le Comité invisible s’autodéfinit », nous a-t-il par exemple expliqué.
La DCRI avait planché sur le sujet, comme le révèle le livre Tarnac, Magasin général. Ce que confirme l’ancien patron de la DCRI, Bernard Squarcini, joint par Mediapart. « Il y a eu des éléments de comparaison qui ont été faits en 2010-2011 par d’anciens policiers des RG dépendant de la sous-directrice Françoise Bilancini (alors à la tête de la sous-direction de la subversion violente, supprimée début 2013 selon Le Monde – ndlr), mais cela n’avait rien donné, dit-il. C’est un document interne qui n’est pas sorti de la sous-direction. Après, que des gens aient voulu en faire un usage externe, je ne suis pas au courant. »
Les RG ont-il pu travailler sur ces liens avant avril 2008 et l’ouverture d’une enquête préliminaire ? « Je ne crois pas, répond Bernard Squarcini. Moi, je récupère le bébé au moment de la fusion entre DST et RG (en juillet 2008, ndlr). » Une source policière nous assure que fin 2007-début 2008, les RG avaient certes demandé à la police judiciaire une comparaison de la voix d'une ou plusieurs femmes du groupe de Tarnac, mises sur écoute, avec la voix de la négociatrice du groupe AZF, mais que cette « vérification de forme » n'avait pas été « concluante » et que cette piste avait rapidement été évacuée. Notre source explique n'y avoir jamais vraiment cru : « Les femmes de Tarnac étaient assez jeunes, AZF c'était trois ans avant et on pensait plus à une femme de quarante ans. Ce n'était pas le même milieu, pas le même profil, mais par nécessité on a préféré vérifier. AZF avait un discours plutôt militaire. Tarnac, ce sont des idéologues, des gens très brillants dans la dialectique, des penseurs stratèges de la contestation, pas des artificiers ! Alors que sur les voies, après les indications d'AZF, on retrouve un engin très sophistiqué avec un cylindre et une bille que les vibrations du train doivent faire tomber afin de déclencher le détonateur. »
Un chercheur Olivier Cahn, docteur en droit pénal et maître de conférences à l’université de Cergy-Pontoise, a également eu la surprise d’être sollicité par une certaine « Rosa Luxembourg » après avoir publié en 2010 une étude sur la répression des black blocs (des groupes autonomes qui s’affrontent aux forces de police en marge de manifestations). Le chercheur y soutient la thèse que le recours à la qualification d’acte de terrorisme pour des troubles lors de manifestations est un détournement de la législation antiterroriste. « À ce titre, le PV de synthèse de la police dans l’affaire de Tarnac (publié par Mediapart – ndlr) était intéressant, car les membres du groupe étaient censés avoir été arrêtés pour un histoire de sabotage de voie ferrée, mais ces faits n’occupaient que deux paragraphes sur la dizaine de pages du PV ! » explique-t-il.
Le 31 décembre 2010 au soir, il reçoit un courriel d’une mystérieuse « Rosa Luxembourg » se faisant passer pour membre du groupe de Tarnac et utilisant l’adresse lesamisdelacommunedetarnac@gmail.com. Cette « Rosa Luxembourg » indique avoir relevé des « inexactitudes sur des points essentiels » dans l’article du chercheur et propose « d’échanger » à ce sujet. « L’adresse mail m’a tout de suite fait tiquer car je voyais mal un tel groupe se mettre sur Google », se souvient Olivier Cahn. Vérification faite sur Internet, l’adresse de l'association des amis de la commune de Tarnac est effectivement tout autre : act@boum.org « Je n’ai donc pas donné suite, car pour moi que si ce n’était pas les gens de Tarnac, c’était obligatoirement l’autre partie ! » remarque Olivier Cahn.
L’utilisateur de la même adresse mail avait également contacté, sous un autre pseudo (Glaucos), un ancien étudiant de l’Institut d’études politiques de Rennes, Namik Bovet, auteur en 2003 d’un mémoire sur les lieux de vie collectif à Rennes. « J’avais mis ma voiture en vente sur le site Le Bon Coin et j’ai reçu un message qui ne parlait pas du tout de ma voiture ! » explique Namik Bovet, 34 ans. Dans une copie non datée de ce courriel que Mediapart a pu consulter, un certain Glaucos demande à l’ancien étudiant rennais de lui « procurer (sa) thèse de l'IEP de Rennes, qui traite notamment de la radicalisation en cours, à l'époque, parmi les résidants (sic) de l'Ekluserie ». Il poursuit : « Elle n'est malheureusement plus téléchargeable sur le net depuis cette sombre et inique affaire visant les auteurs présumés de Appel et l'IQV (L’Insurrection qui vient – ndlr) ».
Namik Bovet tique immédiatement à la mention de l’Ekluserie. « C'était un squat rennais que je fréquentais (ainsi que Benjamin Rosoux, l’un des mis en examen de l'affaire de Tarnac – ndlr) sauf que dans le mémoire tout était anonymisé, il n’y avait aucun nom de lieu ou de personne », explique-t-il. Le mémoire (qui est effectivement complètement “anonymisé”) a ensuite été mis en ligne sur le site de partage Scribd par un certain Ingirum (en référence au film de Guy Debord In girum imus nocte, et consumimur igni), un des pseudos parfois utilisés par le policier de la DCRI. Le message fait également référence, sur le ton de la connivence, aux « mésaventures de Vézin le Coquet et des douanes de Rennes », deux affaires où la police avait pu soupçonner des militants rennais (voir notre Boîte noire, point 2). « C’était manifestement quelqu’un qui cherchait à faire des recoupements avec le fait que j’étais à Rennes à l'époque et que je fréquentais les milieux militants, commente Namik Bovet. Je n’ai pas répondu, c’était trop bizarre. »
Le courriel évoque enfin les « frasques » d’une « confrérie laïque à spécificité éthique et politique ». Les termes ne sont pas innocents : ce sont exactement ceux qu’avait utilisés le groupe d’action AZF en 2004. « C’est dingue de faire le lien avec Namik et nous, commente Mathieu Burnel. Mais c’est le propre d’une police politique, censée arrêter les gens avant qu’ils ne passent à l’acte, de fantasmer sur ce qu’ils auraient pu faire. Il met en œuvre des tactiques policières habituelles, l'intoxication médiatique et faire savoir à des gens surveillés qu'ils le sont et qu'ils ne peuvent pas bouger le petit orteil. »
Interrogé, le policier nie avoir envoyé ces courriels. Mais l'affaire de Tarnac n'en est pas à une barbouzerie près. En novembre 2012, Le Monde et Rue 89 avaient déjà décrit comment un policier britannique infiltré de 2003 à 2010 dans la mouvance altermondialiste, Mark Kennedy, avait piégé le groupe de Tarnac. Le policier, qui avait croisé à plusieurs reprises à l’étranger la route des mis en examen, a largement nourri leur dossier de renseignement français.
« Ce que le policier anglais recueillait nous était transmis par les services britanniques, nous confirme une source policière. Mais la règle des services est de ne jamais donner l'identification de sa source au partenaire. Nous savions donc juste que les Britanniques avaient une bonne source. » Me William Bourdon, l’avocat d’Yldune Lévy, a demandé en novembre 2012 la communication de « l'entier dossier de renseignement » de sa cliente et de son mari Julien Coupat. Pour y voir plus clair sur ces éléments « délibérément dissimulés durant la procédure »…
BOITE NOIRE1. Le 11 novembre 2008, quinze membres du groupe de Tarnac sont interpellés en Corrèze, où plusieurs militants tiennent une épicerie-bar, à Rouen et à Paris. Dix seront mis en examen pour « association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme » (et « direction d'une structure à vocation terroriste » pour Julien Coupat). Ils sont poursuivis pour quatre sabotages commis sur des lignes TGV à l'automne 2008, dont la pose d'un fer à béton sur des caténaires à Dhuisy, en Seine-et-Marne, dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008.
2. Le 8 novembre 2007, une tentative d'attentat à la bonbonne de gaz contre le bâtiment des douanes à Rennes avait échoué, les pompiers ayant éteint l’incendie à temps. Trois jeunes, mis en examen en janvier 2008 pour fabrication et détention d’engins explosifs « dans le but de commettre des dégradations ou des dégradations par explosifs », avaient ensuite été blanchis. Selon le parquet de Rennes, ils ont bénéficié d'une ordonnance de non-lieu le 16 juillet 2012. En février 2004, des cocktails Molotov avaient détruit une pelleteuse, une tractopelle et un groupe électrogène sur le chantier de la future prison réservée aux hommes de Rennes, à Vezin-le-Coquet. Trois personnes, dont une chercheuse spécialiste du monde carcéral, avaient été entendues en garde à vue en juin 2008, avant d’être libérées sans charges. Selon le parquet de Rennes, seul un jeune homme de 33 ans, intérimaire, a été poursuivi pour complicité des faits de dégradation par incendie. Il a été condamné le 25 novembre 2010 à une peine de huit mois d'emprisonnement avec sursis.
Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Dossier partagé entre utilisateurs sous Linux