Plus rien ne s’oppose à ce que soit organisé le procès public de l’affaire Bettencourt. Un dossier sans précédent, où à la rapacité de quelques aigrefins ayant abusé une vieille dame richissime et affaiblie vient s’ajouter à la mise à disposition de fonds occultes à des responsables de l’UMP. Dans un arrêt rendu ce mardi – et que l’on peut lire ici – la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté la plupart des pourvois qui avaient été déposés, puis examinés en audience publique, le 11 février. Déjà validée par la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Bordeaux le 24 septembre dernier, la procédure Bettencourt est maintenant gravée dans le marbre.
L’ancien ministre du budget Éric Woerth, qui avait formé un pourvoi, sans toutefois qu’il soit étayé et soutenu par des moyens de droit, sera donc jugé pour « recel ». Le photographe François-Marie Banier et son compagnon Martin d’Orgeval, qui avaient largement profité des largesses de Liliane Bettencourt, seront jugés pour « abus de faiblesse, abus de confiance aggravé, escroquerie aggravée, complicité d’escroquerie aggravée et de blanchiment ». L’homme d’affaires Stéphane Courbit, qui avait reçu des fonds de la milliardaire pour renflouer son groupe, sera jugé pour « escroquerie aggravée et recel ».
L’ancien gestionnaire de fortune de l’héritière L’Oréal, Patrice de Maistre, qui avait profité de sa situation pour s’enrichir, sera jugé pour « abus de faiblesse, abus de biens sociaux, complicité d’abus de confiance aggravé, complicité d’escroquerie aggravée et de blanchiment ». L’ex-gestionnaire de l’île d’Arros, Carlos Vejarano, qui avait surfacturé ses prestations, sera jugé pour « abus de faiblesse, escroquerie aggravée et abus de confiance aggravée ». L’avocat fiscaliste Pascal Wilhelm, ancien protecteur de Liliane Bettencourt, et qui lui avait fait investir de l’argent dans le groupe de Stéphane Courbit, sera jugé pour « abus de faiblesse et escroquerie aggravée ». Par ailleurs, trois autres personnes n’avaient pas formé de pourvoi, et seront donc jugées elles aussi. Il s’agit des notaires Jean-Michel Normand et Patrice Bonduelle, et de l’infirmier Alain Thurin.
Au final, seules les expertises psychologiques de François-Marie Banier, Martin d’Orgeval et Patrice de Maistre ont fait l’objet d‘une cassation partielle, ce qui n’aura guère d’influence sur le procès à venir. En revanche, la Cour de cassation a balayé toutes les arguties juridiques soulevées sur les expertises médicales pratiquées sur Liliane Bettencourt, et qui avaient donné lieu à une surenchère médiatique sur le thème d’une partialité supposée d’un des médecins experts, Sophie Gromb, au motif qu’elle connaissait personnellement l’un des juges d’instruction, Jean-Michel Gentil. En substance, la chambre criminelle rappelle que les règles procédurales ont été respectées, un collège de trois juges d’instruction ayant reçu d’un collège de quatre médecins des rapports d’expertise qui ne sont pas contestés.
La question des agendas de Nicolas Sarkozy, elle, a été balayée par la Cour de cassation, qui dit « n’y avoir lieu à statuer » sur le pourvoi de l’ancien chef de l’État. Nicolas Sarkozy ayant obtenu un non-lieu définitif dans l’affaire Bettencourt, la plus haute juridiction française refuse de prendre position sur la question d’une éventuelle l’immunité présidentielle qui pourrait protéger ces agendas. Il s’agit en fait de photocopies de certains extraits des agendas saisis en perquisition par le juge Gentil, et qui étaient depuis sous scellés.
La décision de la Cour de cassation amènera Nicolas Sarkozy à se tourner vers le tribunal de Bordeaux pour récupérer les photocopies de ses agendas, s’il le souhaite. Les copies de ces agendas figureraient déjà dans le dossier Tapie/Lagarde, instruit à la Cour de justrice de la république (CJR). Quant aux juges chargés d'instruire le possible financement de la campagne 2007 par Kadhafi, ils pourraient s'y intéresser eux aussi.
Le procès de l’affaire Bettencourt pourrait s’ouvrir d’ici neuf à douze mois environ à Bordeaux. Dans leur ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, signée le 7 octobre, et dont Mediapart a publié de larges extraits, les juges d’instruction bordelais avaient accordé un non-lieu, assorti de considérations très désagréables à Nicolas Sarkozy, en pointant notamment son « comportement abusif ».
Les juges avaient accablé le tandem Patrice de Maistre, gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt et membre du Premier cercle de l’UMP, et Éric Woerth, à la fois trésorier de l’UMP et de la campagne 2007 de Nicolas Sarkozy. Ils retienennt contre eux deux rendez-vous discrets au cours desquels Éric Woerth aurait reçu des fonds occultes.
« De l’ensemble de ces faits, des déclarations de Claire Thibout, des circonstances de ces deux rendez-vous, il apparaît qu’Eric Woerth a accepté, à deux reprises, des sommes en espèces provenant d’un circuit financier manifestement illicite mis en place par Patrice de Maistre, et il importe peu qu’il n’ait pas connu le détail des circonstances de la commission du délit d’où provenait les fonds recelés, 50.000 euros le 19 janvier 2007 et entre 100.000 et 400.000 euros le 5 février 2007 (il s’agit en fait du 7 février – ndlr) », on écrit les juges d'instruction.
Patrice de Maistre aurait, en outre, soutiré quelque 12 millions d’euros à Liliane Bettencourt pour son profit personnel.
« Il résulte de l’information que la situation de faiblesse de Liliane Bettencourt était parfaitement connue de Patrice de Maistre, écrivent les juges d’instruction dans leur ordonnance. Le comportement général de Patrice de Maistre à l’égard de Liliane Bettencourt, et notamment son emprise croissante dans sa sphère personnelle, doit être considéré comme abusif, et c’est ce comportement qui a incontestablement conduit Liliane Bettencourt à des actes gravement préjudiciables. »
Éric Woerth et Patrice de Maistre ont, par ailleurs, été renvoyés en correctionnelle le 4 juillet pour « trafic d’influence » dans l’affaire de la Légion d’honneur. Maistre avait reçu sa médaille des mains d'Éric Woerth en personne, au mois de janvier 2008, soit deux mois après avoir embauché son épouse, Florence Woerth, au service de l’héritière de l'empire L'Oréal.
Pour le reste, François-Marie Banier apparaît comme le plus grand profiteur de cette affaire. « Le comportement général de François-Marie Banier à l’égard de Liliane Bettencourt doit être considéré comme abusif, et c’est ce comportement qui a incontestablement conduit Liliane Bettencourt à des actes gravement préjudiciables », exposent les magistrats. Les abus qui lui sont reprochés (sur la période de saisine des juges) représentent précisément 414 685 228,60 euros.
Enfin, l'homme d'affaires Stéphane Courbit n'est pas en position avantageuse, lui non plus. « L’intérêt financier ou social d’un investissement financier total de 143,7 millions pour Liliane Bettencourt, dans cette opération financière axée principalement sur le poker en ligne, l’énergie et la production audiovisuelle (domaine assurément étranger au domaine habituel de ses investissements) n’est pas démontré, ni d’ailleurs le soi-disant embellissement financier consécutif des deux sociétés du groupe Courbit et tout particulièrement de la société LGI », écrivent les juges.
Selon eux, dans cette curieuse opération, « Liliane Bettencourt a même subi une grave perte financière nette, non causée, de 4,93 millions d’euros ».
Autant dire que le procès à venir s'annonce à risques pour les prévenus.
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