Dimanche après-midi, le candidat PS Patrick Mennucci tenait meeting sur le Vieux-Port. Un choix par défaut, car la municipalité Gaudin lui a refusé l’accès à un gymnase situé dans le secteur stratégique des 4e et 5e arrondissements, sous un prétexte apparemment bidon. Sous un soleil printanier et face à plus d’un millier de militants venus de tous les quartiers, le symbole était beau, celui d’une reconquête de l’espace public et d’un rassemblement des « progressistes ».
À l’image des personnalités qui se sont succédé au micro : Samia Saandi, une jeune employée de banque et responsable associative de la cité Frais-Vallon, Karim Zéribi, conseiller municipal et député européen Europe Écologie-Les Verts (EELV), Jean-Luc Benhamias, député européen qui s’est mis en congé du Modem pour soutenir Mennucci, et la dernière ralliée, la magistrate Laurence Vichnievsky, conseillère régionale écolo. « L’alternative à cette municipalité finissante, ce n’est pas l’extrême droite, ce n’est pas le Front national, a déclaré le député PS Patrick Mennucci, 58 ans. L’alternative, c’est nous les socialistes, nous les écologistes, nous les progressistes, nous les Républicains, nous les démocrates. » Avec un clin d’œil de Samia Saandi, 28 ans, candidate « d’origine comorienne » en position éligible dans les 13e et 14e, aux électeurs tentés par Pape Diouf : « La nouvelle donne est ici, j’en suis la preuve. »
L’épisode n’a cependant pas suffi à faire oublier les critiques nées lors de la difficile confection des listes, dont le candidat PS aimerait tourner au plus vite la page. Dans un PS local à cran depuis l'affaire Guérini, celle-ci a donné lieu à une séquence médiatique catastrophique avec les prises de parole de trois adjoints de Mennucci à la mairie des 1er et 7e arrondissements, fidèles amers d’avoir été écartés dans la dernière ligne droite au profit d’un « clan ». Et à une course à l’échalote de certains chefs de secteur pour déposer au plus vite leurs listes en préfecture, parfois dans le dos du candidat selon des sources.
Malgré un programme extrêmement offensif promettant de mettre fin aux petits arrangements, aux subventions aux amis, au clientélisme et à la cogestion avec Force ouvrière, « Patrick Mennucci reste dans un entre-deux, regrette un observateur. Il faut qu'il démontre qu’il est en capacité de rompre avec le système. »
Car il a fallu composer avec les baronnies nées de la primaire. Les vaincus ont, à l'exception d'Henri Jibrayel, tous récupéré un des huit secteurs de Marseille (comptant chacun deux arrondissements). « C’est la première fois que je vois un cirque pareil où les chefs de secteur déposent eux-mêmes leurs listes, commente le conseiller général PS Michel Pezet, candidat à la candidature éconduit dans les 13e et 14e arrondissements. C’est invraisemblable, le candidat à la mairie se fait doubler sur les dépôts par des responsables de secteur. Gaston Defferre déposait lui-même les listes, il y avait une autorité. » « Celui qui est sorti vainqueur de la primaire a eu la main sur le programme, mais pas sur les listes », constate de son côté Annick Boët, conseillère municipale du courant d’Arnaud Montebourg. «C'est sûr qu'en 2008, Jean-Noël Guérini (alors candidat à la mairie, ndlr) avait plus de moyens d'imposer ce qu'il souhaitait», ironise de son côté un élu PS.
Publiées le 7 mars sur le site de la préfecture des Bouches-du-Rhône, les listes en disent long sur les entorses au renouveau du PS à Marseille. Dans les 4e et 5e arrondissements, dont les listes étaient bouclées dès le 28 février 2014, la tête de liste Marie-Arlette Carlotti n’a pas eu d’état d’âme à imposer son conseiller politique au ministère, Benoît Payan (conseiller communautaire sortant), en deuxième place, celle de potentiel maire.
Plus ennuyeux, dans les 15e et 16e arrondissements, la maire de secteur sortante Samia Ghali, qui a eu la main haute sur la composition de sa liste, a, elle, intégré en position éligible un proche aux positions anti-roms notoires, Thierry Miceli. En septembre 2012, ce gérant d’actifs immobiliers avait justifié l’expulsion et la mise à feu d’un campement rom par des riverains aux Créneaux (15e arrondissement), à proximité d’une résidence dont il préside le conseil syndical. « Je ne me souviens pas qu’il avait pris ces positions », élude Frank Dumontel, son mari, qui fait partie de son équipe de campagne. « À force de voir l’État et les élus faire la politique de l’autruche, les gens n’en peuvent plus. Les politiques ne se rendent pas compte de ce qu’ils subissent : ça pue, c’est sale, et dès que les Roms s’installent, il y a une augmentation des cambriolages. Ici, nous avons eu 15 voitures détroussées », répétait pourtant Thierry Miceli à l'époque (dans Mediapart, mais aussi à l’AFP et ailleurs).
Le fief socialiste des 13e et 14e arrondissements, qui avait fourni treize sièges aux socialistes à la mairie centrale en 2008, a quant à lui donné lieu à une foire d’empoigne entre Garo Hovsepian, le maire sortant soutenu par Samia Ghali, et l’équipe de Patrick Mennucci. Pour couper court, Garo Hovsepian s'est empressé de déposer sa liste en préfecture dès le 28 février 2014. « Comme elles étaient bouclées dès vendredi et qu’on avait respecté les accords initiaux pour placer un ou deux des proches de Mennucci, il n’ y avait pas de raisons d’attendre », remarque Stéphane Mari, actuel premier adjoint au maire du secteur. Lequel se félicite : « En 2008, on avait eu une douzaine de parachutages, là deux ou trois seulement. »
Ainsi, quand le secrétaire national du PS aux fédérations, Alain Fontanel, et le secrétaire national aux élections, Christophe Borgel (duo surnommé Starsky et Hutch au PS), ont débarqué à Marseille, le 4 mars, « pour valider une dernière fois les listes », il était déjà un peu tard pour peser. « Les dernières heures ont été compliquées, confie un colistier de Patrick Mennucci qui se présente dans les 1er et 7e arrondissements. Il a fallu recaser sur notre secteur tous ceux qui ont été virés des autres listes ! » Dans ce secteur, il avait déjà fallu faire un peu de place pour accueillir le sociologue Jean Viard et la magistrate Laurence Vichnievsky.
Si l’astrophysicien Jacques Boulesteix a finalement trouvé une place dans les 13e et 14e arrondissements, l’avocat François-Noël Bernardi, influent président PS de la commission des appels d’offres de Marseille Provence Métropole, a ainsi dû être rapatrié in extremis sur la liste de secteur de Patrick Mennucci sur un poste fléché conseiller communautaire.
Dans les 13e et 14e arrondissements, on retrouve quelques éternels « fils et filles de » en position éligible sur les listes PS. Comme Florence Masse, sœur et collaboratrice au conseil général de Christophe Masse. Ce dernier est tête de liste dans les 11e et 12e arrondissements, un peu à l'écart de son territoire habituel, les quartiers est de la ville où les Masse (PS) sont élus depuis quatre générations. Ou encore Félix Weygand, qui a pris en 2002 la suite de son père Lucien Weygand, conseiller général sur le canton de la Rose, dans le 13e, depuis 1973. C'est ce que Stéphane Mari appelle pudiquement « de fortes personnalités, bien implantées ». « On a promu beaucoup de militants associatifs de terrain comme Samia Saandi, s’empresse d’ajouter l’élu. Les quartiers populaires se sont fortement mobilisés pour François Hollande, c’était un juste retour des choses qu’ils soient bien représentés en position éligible sur les listes. »
Quant à la numéro deux de la liste de Christophe Masse, il s’agit de Sophie Chastan, chargée de mission au conseil général et fille du conseiller général Denis Barthélémy, directeur de campagne de… Christophe Masse. Tous les trois peuvent ainsi figurer sur la photo lors de l’inauguration de la médiathèque locale dans le canton de Saint-Marcel (11e et 12e arrondissements).
Dans les 13e et 14e arrondissements, c’est un protégé d’Eugène Caselli, Jean-Paul Bramanti, ancien secrétaire général de Force ouvrière (FO) des hôpitaux de Marseille, qui a été parachuté. Autre curiosité, cette fois dans les très chics arrondissements des 6e et 8e, on retrouve en troisième position la directrice de la communication de Treize Habitat, l’office HLM du département cité à maintes reprises dans l’affaire Guérini.
Malgré ces péripéties, Patrick Mennucci a tout de même réussi à caser en position éligible plusieurs de ses proches. On trouve ainsi, dans les 13e et 14e arrondissements, son assistante parlementaire, Valérie Botton, femme de son directeur de campagne et ex-associé Yves Botton. Les deux hommes furent concessionnaires d'un garage Renault à la Timone jusqu'à la fin des années 1990. Selon Yves Botton, sa femme qui gérait « une chaîne de magasins de chaussures pour enfants », a commencé à travailler aux côtés de Patrick Mennucci « en 2010 comme simple militante et elle s’est piquée au jeu ». L’autre assistante parlementaire du député PS, Badra Latreche, figure sur la liste des 1er et 7e arrondissements. Tout comme la cousine germaine de Patrick Mennucci, la militante PS Emma Tiran, par ailleurs employée au service protocole de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca).
Dans les 2e et 3e arrondissements, on retrouve cette fois Nassera Benmarnia, suppléante du député PS, en deuxième place. En juin 2012, son association avait obtenu une subvention culturelle régionale de 90 000 euros, alors que Patrick Mennucci était vice-président délégué à la culture de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, ce qui lui avait valu un rappel à la loi. On retrouve aussi dans le même secteur Karine Ancelin, ex-collaboratrice à la région de Patrick Mennucci. Aujourd'hui secrétaire du groupe PS à la région, elle s'occupe notamment de faire remonter les dossiers dits « de proximité » du groupe (les anciens dossiers signalés qui ont donné lieu aux dérives de l’affaire Andrieux).
Sur les listes du même secteur, on croise un autre obligé du député PS, Frédéric Muhl Valentin, qui dirige la troupe des Carboni, elle aussi financée par la délégation culturelle de la région. En 2013, son association a également reçu 35 000 euros puisés dans la réserve parlementaire de Patrick Mennucci, ainsi que près de 15 000 euros de la mairie des 1er et 7e arrondissements, pour deux représentations d’une opérette en décembre 2013, selon le mensuel Bons baisers de Marseille.
Contactée, l’équipe de Patrick Mennucci refuse désormais de répondre aux questions sur la constitution des listes. Même Jean Viard, son porte-parole, qui avait lancé la polémique le 28 février dans un communiqué rageur. « Ça a pesé négativement sur la campagne, ce n’était pas brillant mais c’est terminé », balaie-t-il, pressé de passer à l’étape suivante. « Il y avait 800 militants PS candidats, nous en avons retenu 150, c’est normal qu’il y ait un peu d’amertume, a répondu le 9 mars Patrick Mennucci, très remonté, sur France 3 Provence. Il est extrêmement difficile de réunir à la fois les écologistes, la société civile, des gens comme Laurence Vichnievsky, Jean Viard et Jacques Boulesteix. »
Christophe Borgel a volé à son secours dans Le Monde : « On fait un faux procès à Patrick Mennucci. Le soir du second tour des primaires, même avec l'optimisme le plus fou, je ne pensais pas qu'il réussirait à réunir les socialistes, les écologistes, les leaders du Modem local et des personnalités de la société civile sur une même liste… Or, les faits sont là : il y est parvenu. » Cette réponse ne convainc pas trois de ses anciens adjoints, recalés, qui évoquent un « phénomène de cour » autour du prétendant à la mairie.
« Oui, les places sont limitées mais on voit qui Patrick Mennucci a choisi, regrette Morgane Turc, 39 ans, son adjointe à l’éducation qui travaillait depuis dix ans avec lui. Le fauteuil de maire de Marseille, c’est le rendez-vous de sa vie, le Graal pour lui. Alors, il vit un phénomène de cour, comme tous ceux qui montent. Quand il faisait des bêtises, nous, on le lui disait. » Chargée de presse de Patrick Mennucci, l’élue, qui a rédigé tout son programme éducation et s’était mise en disponibilité de la région pour la campagne, a été sèchement limogée début janvier, à l’arrivée d’une nouvelle équipe de communication dirigée par Dominique Bouissou venue de Matignon.
Dans cette liste de recalés, figure aussi son premier adjoint Christophe Lorenzi, 42 ans, repéré par Mennucci à l’Unef, à Aix-en-Provence, à la fin des années 1980. Les deux hommes, qui ont milité dans le 15e arrondissement, se sont retrouvés à la Mnef puis ont travaillé ensemble, à partir de 1998, au conseil régional du tourisme que présidait Patrick Mennucci. Ce vieux compagnon de route dit avoir vu l’apparition d’« un clan familial » autour du candidat, après la victoire de la mairie de secteur en 2008. Il affirme avoir été évincé par Maud de Bouteiller, la compagne de Mennucci, devenue sa directrice de cabinet (elle a quitté ce poste fin septembre 2013).
« Pour gagner la ville et reconstruire par derrière, il faut imposer une gouvernance, lance Lorenzi, lui aussi employé à la région. Là, au lieu de dire "On change les règles", les gens se sont repliés sur leurs territoires et ont placé leurs copains. Placer des gens qui n’ont pas les compétences, ni la légitimité politique, ça s’appelle une organisation clanique. Je me suis battu à ses côtés pour lutter contre le système Guérini, ce n’est pas pour reproduire la même chose, l’aspect mafieux en moins. »
Adjoint à la jeunesse et aux sports de Menucci, Nassurdine Haidari, 36 ans, s’est, lui, fendu d’une longue lettre à François Hollande pour dénoncer un « dispositif consanguin qui crée des affidés et des obligés ». Le représentant local du Cran, par ailleurs chargé de communication à la communauté urbaine dirigée par le PS, est d’autant plus amer qu’en février 2012, venu tracter pour François Hollande aux côtés de Patrick Mennucci à la cité Félix-Pyat, il avait été agressé par des personnes criant « Ici, c’est Guérini ».
Pour sa part, Laurence Vichnievsky se défend de jouer les cautions morales. « Faire appel à moi, c'est déjà un signe, a-t-elle répondu à Marsactu. Il y a beaucoup de mesures pour garantir cette transparence. Le comité d'éthique et la présidence de la commission des finances par l'opposition sont des mesures assez simples qui constituent de vrais garde-fous. On avance peu à peu dans le bon sens et c'est ça que je veux épauler. Je n'ai jamais été la caution de personne. Si je ne suis pas d'accord, je m'en irai. »
À droite où dix-huit élus sortants n’ont pas été renouvelés, le dépôt des listes a été centralisé et n'a pas fait de vagues. Ou alors ces dernières n'ont pas atteint les médias. « Les difficultés, quand il y en a eu, ont été réglées en tête-à-tête avec le maire », résume Yves Moraine, porte-parole de Jean-Claude Gaudin. Seul Robert Assante, un ancien adjoint prié de céder « sa » mairie des 11e et 12e arrondissements à Valérie Boyer, a élevé la voix et présenté une liste concurrente. À Marseille, chaque camp compte quatre secteurs, depuis que Mennucci a raflé à la droite en 2008 le centre-ville (1er et 7e arrondissements), le secteur historique des anciens maires Gaston Defferre et de Vigouroux. Les 11e et 12e arrondissements sont l’un des deux « swing sectors » qui, avec les 4e et 5e arrondissements, pourraient faire basculer la ville à gauche. Si Robert Assante atteind le second tour et se maintient, la liste UMP de Valérie Boyer devra alors faire face à une quadrangulaire avec le FN, le PS et la liste d'Assante. « Robert Assante aurait alors les clefs de la ville », souligne Yves Botton, directeur de campagne de Mennucci.
« L’organisation de la primaire a laissé des traces qui font que la constitution des listes PS s’est faite par strates territoriales », constate de son côté le maire de secteur des 6e et 8e, Yves Moraine. « Notre chance a été que Gaudin, qui est incontestable, se représente, estime même un candidat UMP. La guerre de succession n'aura lieu que dans six ans. » La séquence est en tout cas une aubaine pour l’équipe sortante, dispensée de défendre le difficile bilan des 19 ans de règne de Jean-Claude Gaudin, 74 ans. Et de se confronter au programme, travaillé avec soin depuis des mois par Patrick Mennucci et son équipe pour sortir Marseille de l'ornière. Le sénateur et maire UMP sortant refuse d’ailleurs, avant le premier tour du 23 mars 2014, toutes les propositions de débat en direct avec celui qu’il persiste à nommer « le candidat socialiste gouvernemental ».
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