Une enquête de Jean-François Poupelin (le Ravi) et Louise Fessard (Mediapart)
On entre dans le nouveau Sainte-Marthe après l’église, en sortant du noyau villageois. Au bout d’une rue bordée d’écoles, où les voitures ne peuvent pas se croiser, s’ouvre la campagne Mirabilis, ancien domaine bastidaire de Marseille, et ses collines… bétonnées ! Un écoquartier, selon la com’ (mais qui n'en n'a jamais obtenu le label), d’îlots étanches, sans commerce, aux rez-de-chaussée aux murs aveugles, avec quelques panneaux solaires alibis et où règne la bagnole. Près d'une vieille maison rasée, une de ces bastides avec ses deux platanes orientés au sud, on croise un habitant. « On venait chercher le lait ici quand j'étais petit, raconte cet homme. C’était un maraîcher d’un côté, un laitier de l’autre. »
Longtemps lieu de villégiature de la bourgeoisie locale, ces terres du 14e arrondissement étaient aussi celles des maraîchers et des éleveurs, car elles sont irriguées par un réseau de canaux directement reliés au canal de Marseille, qui approvisionne la ville depuis le milieu du XIXe siècle. Au détour d'un chemin, on croise encore des moutons. Mais depuis que le plan d’occupation des sols (POS) les a ouverts à la construction, ces terrains fertiles sont surtout devenus le royaume des promoteurs. Au début des années 2000, Jean-Claude Gaudin, maire UMP de Marseille, veut que les logements poussent comme des champignons pour attirer les classes moyennes, et accessoirement, des électeurs de droite dans un secteur historiquement ancré à gauche.
Après une mobilisation des habitants, des comités d’intérêt de quartier (CIQ) du territoire et de quelques associations, une, puis deux zones d’aménagement concerté (ZAC) sont créées, couvrant in fine 200 hectares des 350 offerts aux bétonneurs. Quelque 3 500 logements et 10 000 habitants supplémentaires sont attendus. Les opérations sont confiées à la société d'économie mixte Marseille Aménagement, bras armé de la ville pour l’immobilier.
Premier problème. Sur la ZAC des Hauts de Sainte-Marthe, la première, la société d’économie mixte (Sem) n’est pas propriétaire des terrains, opportunément acquis par Bouwfonds Marignan. Sympa, « le promoteur en cède la moitié à Marseille Aménagement contre une exonération des taxes d’équipement », se rappelle un architecte. Ce que confirme Claude Bertrand, directeur de cabinet de Jean-Claude Gaudin : « La ville (souhaitait) réaliser d’autres opérations et les équipements publics nécessaires. »
Second problème. Si des immeubles sont bien sortis de terre, les « équipements publics » (transports en commun, voirie) sont restés à l’état de promesses. « On a lâché des terrains aux promoteurs avant d’avoir fait l’aménagement autour, regrette Michèle Poncet-Ramade, adjointe à l'urbanisme Europe Écologie-Les Verts du maire des 13e et 14e arrondissements. Nous avons ouvert un foyer pour enfants handicapés, il a fallu faire une station de relevage, car le tout-à-l’égout était au-dessus. Et la desserte n’est toujours pas faite. » Les habitants l’ont mauvaise, mais certains y trouvent leur compte : les promoteurs, évidemment, et une poignée d'architectes en cours à l’Hôtel de Ville (Didier Rogeon, le cabinet Tangram notamment), choisis de manière totalement opaque. Ce qui fait d’ailleurs tiquer la Chambre régionale des comptes. Dans son rapport sur Marseille Aménagement d’octobre 2013, elle remarque : « Il s’agit d’une opération qui aurait pu être prise en charge directement par des opérateurs privés puisqu’elle consiste à réaliser des maisons individuelles. »
L’architecte des bâtiments de France (ABF), lui, a failli s’étouffer en voyant le résultat (aujourd'hui à la retraite, il n’a pas répondu à nos sollicitations). « Il a tout bloqué car il trouvait que les choses n’étaient pas de qualité, que c’était trop dense. Il y aurait un travail de couture à faire, entre des typologies modernes, de l’habitat ancien et des terrains agricoles », poursuit notre architecte. L’ABF a aussi peu apprécié qu’une des principales routes du projet traverse le parc de Montgolfier, un domaine propriété de la ville dont la bastide et le parc sont classés à l’inventaire des monuments historiques !
Résultat, la ville est obligée de négocier et tente aujourd’hui de verdir sa copie et de mieux associer les habitants via des comités de suivi. « Sainte-Marthe, c’est le symbole de l’échec de sa capacité à planifier, assène Étienne Ballan, administrateur de l’association Arènes, qui suit l’urbanisation des dernières réserves foncières de Marseille depuis 1998. Cela raconte aussi les relations de la mairie avec les promoteurs. Lorsqu’on passe un deal avec eux, ce qu’était le POS de 2000, qui porte sur des mètres carrés à construire, il est impossible à bouger. » Reste à connaître les contreparties.
BOITE NOIRE
Didier Rogeon et Tangram n'ont pas donné suite à nos demandes de rencontre. Sollicité mi-février, le directeur de la Soleam (qui a absorbé Marseille Aménagement) nous a finalement proposé un rendez-vous mi-mars, donc après la publication de cet article.Marseille Aménagement nous a proposé un rendez-vous. Mediapart s'est associé pour réaliser cette enquête avec le journal satirique de la région PACA, le Ravi. Étienne Ballan est un des fondateurs du Ravi et son directeur de la publication.
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