Une enquête de Jean-François Poupelin (le Ravi) et Louise Fessard (Mediapart)
C’est la future skyline marseillaise, qui fait frémir de plaisir les politiques locaux. Quai d’Arenc, au cœur d’Euroméditerranée, une immense opération de rénovation urbaine (480 hectares), trois gratte-ciel de bureaux et de logements haut de gamme doivent surgir, aux côtés de la tour déjà existante de l’armateur CMA-CGM. Un pari lancé en 2002 par le promoteur marseillais Marc Pietri, qui s’est déjà fait la main aux États-Unis. Le président de Constructa se faisait fort d’attirer les « plus grandes entreprises françaises » dans ce quartier extrêmement pauvre. De fait, ce sont plutôt les contribuables marseillais qui vont commencer par mettre la main au portefeuille.
En mars 2012, lors d’un déjeuner organisé par Constructa au Carlton de Cannes à l’occasion du Marché international des professionnels de l'immobilier (MIPIM), Eugène Caselli, président (PS) de Marseille Provence Métropole (MPM), annonce à la presse le déménagement des services de la communauté urbaine (jusqu’ici aux docks de la Joliette…, gérés par un certain Constructa) dans la future tour de 135 mètres dessinée par Jean Nouvel, La Marseillaise. Pas de mise en concurrence, pas de consultation du personnel, emballé c’est pesé : le 26 octobre 2012, le bureau de MPM vote la location, à partir de mai 2016, de 12 étages du futur gratte-ciel, pour plus de 7 millions d'euros par an (lire le bail).
À l’unanimité moins deux voix, celles de Patrick Mennucci, candidat PS à la mairie, et Renaud Muselier (UMP), « mon copain d’enfance », rit, jaune, Marc Pietri. « Si je comprends bien, c'est de l'argent public qui va aider des investisseurs privés », grondait le député PS en octobre 2012 dans Marsactu, se fendant même d’une grande lettre ouverte à Eugène Caselli. Depuis, le ton a changé : « Le bail est voté, on est tenu par des obligations », balaie Patrick Mennucci. La décision engage en effet MPM et, partant, la future métropole dont l’État n’a pas encore choisi le siège, sur douze ans… Pourquoi ne pas investir et acheter ? Pour ne pas creuser la dette, avait répondu Eugène Caselli en octobre 2012.
Consultés par MPM, les domaines n’avaient pu évaluer le prix, du fait de l’« inexistence du marché » pour ces gratte-ciel. À 310 euros le mètre carré, le prix est plus élevé que dans un bâtiment standard, mais « pas manifestement supérieur à celui du marché local », a de son côté tranché, en juillet 2013, le tribunal administratif, saisi par trois Marseillais (lire le jugement). Le rapporteur public avait dans un premier temps demandé une annulation du bail. Mais quelques jours avant le délibéré, MPM produit in extremis des éléments nouveaux, dont une étude « confidentielle » montrant que le déménagement se fait à « budget constant ». Comme les 1 200 employés de MPM, jusqu’ici répartis sur 22 000 m2 dans 5 sites différents, se serreront désormais dans 16 000 m2 d’open space, la nouvelle implantation ne coûtera pas plus cher.
Seul hic, il s’agit d’un argumentaire commandé en février 2012 par Constructa à un cabinet d’audit pour l’aider à « lever les points d’objection qui pourraient être soulevés par le futur locataire avant la signature du VEFA et les réponses à y apporter ». Et la partie censée comparer l’intérêt des scénarios d’achat ou de location pour MPM a curieusement disparu. « C’est un rapport financé et commandé par le bailleur, cela aurait dû être pris avec beaucoup de réserve », regrette Nouredine Abouakil, un des trois requérants qui ont fait appel. Malgré cela, le tribunal a jugé non « partial » ce rapport, fourni en dernière minute. « Ce qui prouve donc qu’il n’avait pas été transmis (aux élus avant le vote – ndlr) et que les conseillers communautaires avaient été insuffisamment informés », tique un cadre de MPM. « Quel symbole ! s’exclame Nicolas Masson, porte-parole du syndicat des architectes des Bouches-du-Rhône. Le siège de la future métropole va être une tour construite par un promoteur privé pour des bureaux, alors qu’à Montpellier, le même architecte (Jean Nouvel – ndlr) a fait le siège de la mairie après un concours public. »
Est-ce vraiment le rôle des collectivités de voler ainsi au secours des promoteurs en détresse ? « MPM a été approchée pour déménager à la tour Jean Nouvel car le promoteur ne trouvait pas preneur », affirme Nouredine Abouakil. Ce que confirme une source au sein de MPM : « Marc Pietri est allé voir la ville de Marseille, où il a convaincu tout le monde. Il est aussi allé voir Eugène Caselli, comme il le fait à Évry, ou à Mantes-la-Jolie. » De son côté, le promoteur assure que c’est Eugène Caselli qui a demandé « à regarder la tour, à condition que ce soit à budget constant ».
Mais il reconnaît, à demi-mots, que MPM a « peut-être » sauvé la mise de sa première tour de bureaux, dont dépendent les deux autres. « Je ne pouvais pas la démarrer si je n’avais pas loué 50 %, détaille Marc Pietri. Aujourd’hui, les banques sont encore plus exigeantes : pour obtenir les financements, il faut avoir avoir préloué à 70 %. J’avais déjà 30 %. Il m’aurait fallu aller chercher ces investisseurs, lancer une grande campagne… Donc à 50 %, oui, peut-être, à 70 %, non, peut-être. »
« Le pari de Pietri est que les cadres qui travaillent dans “La Marseillaise” logeront dans la H99 (tour de logements haut de gamme conçue par son fils Jean-Baptiste Pietri – ndlr), souligne Patrick Lacoste, économiste et membre de l'association Un centre-ville pour tous. Si la tour de bureaux ne se fait pas, celle de logements n’a pas de sens. » Aujourd’hui, selon le directeur de Constructa, la Marseillaise est louée à 63 %, dont 46 % par MPM, puis Orange, Sodexo (qui assurera le restaurant d’entreprise), la Caisse d’épargne, et Constructa lui-même. Des entreprises déjà implantées à Marseille, qui ne font donc que déménager une partie de leurs services sans créer, a priori, d’emplois supplémentaires.
Du côté de MPM, on assure que l’idée est de faire un projet d’insertion dans le quartier, pas un îlot de richesse. Pour arrondir les angles, Marc Pietri a en effet modifié son projet en y incluant une salle de sports, une crèche de 50 places, et surtout une convention « pour mobiliser 950 emplois avec des quotas de contrats d’avenir ». Pour un peu, il ferait les louanges de ses adversaires en justice qui l’ont « obligé à se dépasser ». Mais Marsactu a fait le décompte : 86 % des emplois étant liés à la construction, seule une grosse centaine des emplois créés seront pérennes.
En attendant, la tour, dont les travaux doivent commencer en avril, a pris un an dans la vue « à cause du recours ». « Nul n’est prophète dans son pays », soupire Marc Pietri. Le promoteur, grand copain de Manuel Valls qu’il a rencontré à Évry, se console en affirmant avoir récemment été choisi comme… conseil des Domaines. Il en rit encore : « Choisir un Marseillais pied-noir et corse comme conseil de l’État, c’est faire tomber les barrières. »
BOITE NOIREMediapart s'est associé pour réaliser cette enquête avec le journal satirique de la région Paca, le Ravi.
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