Le projet de loi sur la transition énergétique, attendu en juin devant le conseil des ministres, devrait garantir l’arrêt définitif de la centrale nucléaire de Fessenheim, la plus ancienne du parc français. L’arbitrage est acté, de source gouvernementale proche du dossier. Il passe par une mesure décisive : le plafonnement de la puissance nucléaire installée à son niveau actuel, c’est-à-dire environ 63 300 mégawatts (MW). Selon cette nouvelle règle, si les deux réacteurs de Fessenheim (d’une puissance de 900 MW chacun) ne fermaient pas, l’EPR actuellement en construction à Flamanville (1 600 MW) ne pourrait pas démarrer. Comme l’arrêt de ce réacteur de nouvelle génération n’est pas au programme de l’exécutif socialiste, le choix semble donc scellé. Même si le nom du site alsacien d’EDF ne figurera peut-être pas en toutes lettres dans le texte, par crainte d’un risque d’inconstitutionnalité. Sur ce point précis, une analyse juridique est toujours en cours entre services administratifs et ministères.
Autre mesure phare intégrée au projet de loi : l’introduction d’une nouvelle procédure séparant la décision d’arrêt définitif d’une installation nucléaire, de la procédure de son démantèlement.
Aujourd’hui, l’exploitant peut à tout moment décider d’arrêter un réacteur, et même de vider son cœur. Ce sont des actes courants indispensables à la maintenance du parc. En revanche, il a besoin d’un arrêté de démantèlement pour démonter les équipements importants pour la sûreté et créer de nouveaux déchets, et ainsi mettre définitivement à l’arrêt l’installation. Problème : la procédure est très longue. Elle dure environ cinq ans, selon les estimations de l’Autorité de sûreté du nucléaire (ASN). Et elle n’incite pas les exploitants à préparer les opérations de démantèlement. D’où l’idée, portée par l’ASN, de distinguer les deux actes : le constat de l’arrêt définitif d’abord, la préparation et la mise en œuvre du démantèlement ensuite.
L’ASN souhaite limiter la procédure de lancement du démantèlement à quelques années, afin de le mettre en œuvre le plus rapidement possible, en présence des personnels qui ont exploité le réacteur. Aujourd’hui, elle estime qu’il faut environ deux ans à un exploitant pour monter un dossier de demande de décret de démantèlement, et environ 3 ans à l'ASN et à l'IRSN pour expertiser ce dossier et conduire la procédure (enquête publique, notamment). « Ces délais sont liés à des activités très concrètes, importantes et assez complexes. Dans le cadre des procédures actuellement prévues par les textes, il nous semble difficile qu'ils puissent être significativement raccourcis », explique Sophie Mourlon, directrice générale adjointe de l’ASN. Le démantèlement en lui-même devrait courir sur plusieurs dizaines d’années.
« Cette idée n’a absolument rien à voir avec Fessenheim, même s’il y a eu des doutes dans la communication, nous le regrettons », a déclaré Pierre-Franck Chevet, le président de l’autorité, devant la commission parlementaire sur les coûts du nucléaire, le 13 février dernier (voir ici). Il n’empêche qu’elle tombe à point pour tenter de tenir le délai fixé par François Hollande : fermer Fessenheim d’ici fin 2016. Si la loi est votée en l’état, l’arrêté d’arrêt définitif pourrait en théorie être publié assez rapidement, une fois surmonté l’obstacle de la définition des critères de fermeture – ainsi que des probables recours qui seront déposés devant le Conseil d’État.
Dernier élément de réforme, lui aussi prévu dans le projet de loi : redonner à l’État le pouvoir de fermer une installation nucléaire, prérogative aujourd’hui exclusive de l’ASN et d’EDF (voir ici notre article à ce sujet). Si la loi est votée avec ces dispositions, un calendrier contraignant devrait peser sur EDF.
Mais EDF a-t-il démarré ses études d’ingénierie pour le démantèlement de la centrale de Fessenheim ? Il semble que oui, mais à un rythme très tranquille. « EDF a peu anticipé sur la fermeture », remarque Jean-Michel Malerba, délégué interministériel à la fermeture de la centrale. Henri Proglio, PDG du groupe, l’a reçu. Peu enthousiasmée par cette perspective de fermeture, l’entreprise appliquera la loi si elle est votée. Le prédécesseur du délégué dirige aujourd’hui le cabinet du ministre de l’écologie et de l’énergie, Philippe Martin.
Pourtant, des ministres ne se privent pas pour déclarer aux journalistes, en off, que la centrale de Fessenheim ne fermera pas. Premier argument avancé : le coût supposé de l’arrêt des deux réacteurs. Près de 4, 5, 8 milliards d’euros : des sommes importantes sont citées, jamais officiellement reprises par EDF. Elles portent sur le manque à gagner pour l’exploitant, par rapport à une durée théorique d’utilisation de 50 ou 60 ans – options non validées par l’ASN. « Aucun document ne justifie ces estimations », considère Denis Baupin, député écologiste et co-rapporteur de la mission sur les coûts du nucléaire, actuellement en cours de travaux. Une séance d’audition doit porter sur les conditions de fermeture des réacteurs. Quelle indemnisation l’Etat versera-t-il à EDF (c’est-à-dire, à 85 %, à lui-même) ? Objet de discussion entre EDF, le ministère du budget et la direction générale de l’énergie et du climat, ce chiffrage devrait être rendu public en même temps que la présentation du projet de loi. Le montant de 4 milliards, repris par plusieurs ministres, « n’est pas du tout le nôtre », explique d’ores et déjà une source gouvernementale proche du dossier.
Deuxième épine dans les chaussures ministérielles, l’impact sur l’emploi. Près de 2 200 emplois directs, indirects et induits seraient touchés sur la zone de Colmar et de Mulhouse, dont 850 agents EDF que le groupe doit reclasser, selon une étude du cabinet Syndex pour le comité central d’entreprise de l’électricien. Cela ne représente que 1 % de l’emploi de la zone selon le rapport, mais plus de la moitié de la communauté de commune de Fessenheim (2 300 habitants). L’Insee doit à son tour publier une étude sur le sujet. Son estimation serait un peu plus basse, entre 1 700 et 2 000 emplois impactés.
De son côté, la porte-parole de la fédération mines-énergie de la CGT, majoritaire chez EDF, Marie-Claire Cailletaud, se dit certaine que la centrale alsacienne ne fermera pas pendant la mandature. L’organisation a déposé un recours contre la nomination de Malerba. Elle conteste « que le gouvernement puisse fermer un outil industriel qui fonctionne ».
L’ASN a imposé à EDF d’importants travaux sur les deux réacteurs de Fessenheim, lors du réexamen de sûreté décennal (pour l’autoriser à voguer vers ses 40 ans), dont le coût est estimé entre 100 et 200 millions d’euros. Ils ont notamment porté sur le renforcement du radier en béton, sorte de plancher, situé sous la cuve des réacteurs. Il doit récupérer le cœur fondu, le « corium », en cas d’accident gravissime et de fusion du réacteur. Sauf qu’en réalité, les travaux réalisés ne permettront pas de bloquer la bombe radioactive, mais seulement d’en retarder la chute dans le sol : trois jours, au lieu de moins de 24 heures avant travaux. « Ce n’est pas un récupérateur de corium avec toutes la garanties qui s’y rattachent », a expliqué Pierre-Franck Chevet, de l’ASN, devant les parlementaires en février. Il considère néanmoins que la sûreté de l’installation est assurée jusqu’en 2019 et 2021, dates des prochaines visites décennales.
Or la plus grande nappe phréatique d’Europe se trouve sous la centrale : la nappe rhénane, près de 80 milliards de mètre cube d’eau entre Bâle et Mayence, qui assure 80 % des besoins en eau potable et plus de la moitié de ceux de l’industrie de la région. Qu’adviendrait-il en cas d’accident grave ?
Une manifestation pour « un avenir sans nucléaire » doit se tenir dimanche 9 mars dans la vallée du Rhin supérieur, trois ans après la catastrophe de Fukushima. Des ponts devraient être bloqués, puis un rassemblement est prévu autour de la centrale de Fessenheim. Des militants sont attendus depuis l’Allemagne et la Suisse, preuve de la résonnance internationale du dossier de la fermeture de la centrale alsacienne.
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