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L’Etat veut-il vraiment faire annuler l’arbitrage Tapie?

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Dans les nombreuses procédures que le scandale Tapie a enclenchées, au pénal comme au civil, l’État et les entités publiques qui lui sont liées ont engagé une ribambelle de nouveaux avocats pour faire prévaloir leurs droits. Mais dans le lot, il en est un qui n’a pas été remplacé et qui va jouer un rôle central : il s’agit de Me Jean-Pierre Martel, qui va continuer de conseiller le Consortium de réalisation (CDR – la structure publique de défaisance où ont été cantonnés en 1995 les actifs douteux de l’ex-Crédit lyonnais) pour le recours en révision qui a été engagé contre la sentence allouant 403 millions d’euros à Bernard Tapie.

Mais sait-on qui est Me Jean-Pierre Martel ? Et sait-on en particulier le rôle qu’il a joué depuis des années dans le scandale Tapie ? En réalité, ce rôle a été aussi majeur que… néfaste. Au point qu’on en vient même à se demander, puisque l’avocat a été confirmé dans ses fonctions, si la puissance publique veut vraiment parvenir à gagner la procédure en révision de cet arbitrage frauduleux.

Depuis 2007, le CDR avait en effet deux avocats, d’une part Me Gilles August, d’autre part Me Jean-Pierre Martel. Le premier a finalement été écarté. Militant de longue date en faveur de l’arbitrage, déconseillant à Christine Lagarde d’introduire un recours contre la sentence en juillet 2008, il a une part de responsabilité importante dans le désastre. Fortement critiqué, il a par ailleurs fait l’objet d’une perquisition à son bureau, situé dans l’une des sociétés d’avocats les plus connues à Paris, par la Brigade financière, qui s’est appliquée à établir son rôle exact dans toute cette affaire.

Comme Mediapart l’a récemment révélé, la Brigade financière a même découvert par ses perquisitions que cet avocat du CDR, Me Gilles August, en charge de la confrontation judiciaire contre Bernard Tapie, entretenait de longue date des relations privées avec… le même Bernard Tapie (lire Ce que Tapie a dit pendant sa garde à vue). Dans les agendas de Me August, les policiers ont ainsi retrouvé la trace de nombreux autres rendez-vous de l’avocat avec Bernard Tapie : le 2 février 2009 est ainsi mentionné un « dîner Tapie », « Le Divellec réservé », puis le 26 mars 2009 « RV B. Tapie/R. Maury », « Messine » ; le 6 avril 2010 « B. Tapie », « Tong Yen, 1 bis Rue Jean Mermoz-réservé ».

Pourquoi donc tous ces rendez-vous avec l’avocat censé défendre la partie adverse ? Réponse de Bernard Tapie : « Dans mes souvenirs, le rendez-vous au Divellec était un déjeuner et non un dîner. Il s'agissait d'une rencontre que Maître August m'avait demandé d'organiser avec une actrice avec laquelle j'avais joué ou je devais jouer et qu'il souhaitait rencontrer. Le rendez-vous avec M. Maury, je ne vois pas de quoi il s'agit, je ne connais pas de M. Maury. Concernant le Tong Yen, il s'agit d'un restaurant dans lequel je vais souvent, mais je n'ai pas souvenir d'un déjeuner ou dîner avec Maître August. Cependant si ce rendez-vous figure dans l'agenda de Monsieur August, c'est bien qu'il a dû avoir lieu. »

Avocat « historique » du CDR, Jean-Pierre Martel, lui, l’est resté. Parce qu’il a joué un rôle plus vertueux ? En fait, en un seul cas, il a pris une position que l’on peut aujourd’hui, avec le recul, qualifier de la sorte. C’était en juillet 2008, quand Christine Lagarde a consulté quatre avocats pour savoir s’il était ou non opportun d’introduire un recours contre la sentence. L’un des avocats consultés, Me Benoît Solner, avait alors écrit un mémoire (que n’avait finalement pas suivi Christine Lagarde). Et, sans faire lui-même un mémoire, Me Martel avait écrit un mail pour dire qu’il se ralliait aux recommandations de son confrère.

Mais à cet épisode près, la confirmation de Me Martel dans ses fonctions d’avocat du CDR pour engager une procédure majeure, celle qui pourrait conduire à faire annuler l’arbitrage, apparaît parfaitement incompréhensible, pour au moins cinq raisons.

La première raison aurait dû suffire à elle seule pour que le CDR change d’avocat. Me Martel a en effet accompagné son client, le CDR, dans une défaite judiciaire majeure. Il était même, contrairement à ce que l’on a cru un temps, le responsable principal de la défense, plus encore que Me Gilles August, et c’est bien lui qui a plaidé le dossier devant le tribunal arbitral. Pense-t-on donc raisonnablement qu’un avocat qui a essuyé un aussi cinglant désaveu judiciaire face à Bernard Tapie est aussi celui qui est le mieux à même de gagner la confrontation judiciaire suivante ? Pense-t-on vraiment que l’un des avocats qui a accompagné le CDR dans l’aventure scabreuse de l’arbitrage soit le mieux placé pour piloter un recours en révision contre ce même arbitrage ? D’autant que durant les cinq années qui ont suivi la sentence, il n’a jamais fait part de l’hypothèse de ce recours en révision qui méritait d’être intenté. Le choix de cet avocat est pour le moins étonnant.

Mais il y a plus grave que cela – et c’est la deuxième raison : comme Me August, Me Martel a été entendu comme témoin par la Brigade financière. Il est donc notoirement aujourd’hui en conflit d’intérêts. En clair, il pourrait avoir des difficultés à défendre sereinement les intérêts de l’État s’il doit à nouveau, dans le même temps, s’expliquer sur son rôle propre dans l’affaire.

Il ne s’agit pas de suggérer le moins soupçon à l’encontre de cet avocat, mais seulement de prendre en compte un argument de bonne conduite : une personne qui peut être entendue comme témoin dans une affaire est par la force des choses mal placée pour jouer une fonction de conseil. Surtout dans un dossier où l’on dénonce le conflit d’intérêts. Il est donc inconcevable que l’État ne demande pas à l’avocat de se mettre en retrait.

C’est d’autant plus inconcevable que Me Martel est aujourd’hui fragilisé pour une troisième raison. Le 7 juin dernier, plusieurs juristes, présentés comme spécialistes dans l’arbitrage, ont écrit une tribune dans Le Figaro (on peut la télécharger ici) en épousant intégralement la position juridique de Bernard Tapie, en défendant l’idée que le recours à l’arbitrage n’était pas illégal et contestant que les éventuelles irrégularités puissent justifier en droit son annulation.

« Un certain nombre d’irrégularités administratives (sic !) dans la procédure par laquelle le CDR a été autorisé à se soumettre à l’arbitrage ont été évoquées. Il ne nous appartient pas de les commenter. En droit, elles ne sauraient pourtant affecter la régularité de la sentence dès lors que la CDR ne les a pas invoquées pendant la procédure et n’a pas attaqué la sentence », écrivaient-ils en particulier. En clair, circulez, il n’y a rien à voir ! Peut-être y a-t-il eu une escroquerie en bande organisée, mais ceci mis à part, tout est parfaitement régulier…

Cette tribune a donc été une aubaine pour Bernard Tapie, qui en fait depuis des gorges chaudes et qui l’utilise de manière systématique au soutien de sa défense, que ce soit dans le site internet tout entier dédié à sa gloire, conçu par son fils, ou dans son livre.

Or qui sont les signataires de cette tribune ? Elle a plusieurs signataires, dont, ès qualités, « plusieurs représentants de Paris Place d’arbitrage ». Il s’agit d’une association de spécialistes de l’arbitrage, présidé par Maître Charles Kaplan, qui se trouve être… l’associé de Jean-Pierre Martel (comme on peut le vérifier ici) !

Il y a aussi une quatrième raison, moins connue, qui devrait plaider pour une mise à l'écart de l'avocat : c'est qu'il est, selon nos informations, un proche de Jean-François Rocchi, l'ex-patron du CDR, qui a lui aussi été mis en examen pour escroquerie en bande organisée. Il n'y a certes pas de délit de proximité. Mais dans cette invraisemblable histoire du scandale Tapie, il y a déjà eu trop d'interférences pour que l'État ne cherche pas un conseil qui n'ait de lien avec personne et pour seul souci la défense de l'intérêt public.

Et puis, il y a une cinquième et dernière raison, qui rend totalement incompréhensible ce choix fait par l’État de confirmer Jean-Pierre Martel. C’est qu’avec Me Gilles August, il a aussi accepté, dans le cours de l’arbitrage, deux décisions pour le moins choquantes. D’abord, comme nous l’avons expliqué dans un article récent (lire Scandale Tapie : révélations sur les trois arbitres), les avocats du CDR avaient le droit pour eux et devaient impérativement considérer que toute demande de Bernard Tapie d’une indemnité pour préjudice moral était irrecevable.

Or, comme le révèle la sentence (elle peut être consultée ici), les avocats du CDR ont, en cours d’arbitrage, cédé sur ce point et renoncé à invoquer l’irrecevabilité d’une telle demande. Cette renonciation était tragique, car c’est celle qui a offert à Bernard Tapie cette si scandaleuse indemnité de 45 millions d’euros au titre de son préjudice moral. En clair, il y avait un moyen de l’éviter et il n’a pas été utilisé, ni par Gilles August, ni par Jean-Pierre Martel.

Et puis, dans le compromis d’arbitrage, il était clairement entendu que les avocats des parties pourraient longuement s’expliquer devant les arbitres, mais pas les parties elles-mêmes. Or, en cours d’arbitrage, lorsque Bernard Tapie a soudainement pris la parole personnellement, qu’ont fait Mes Martel et August ? Rien ! Ils auraient pu soit s’y opposer, soit demander que d’autres prennent la parole, comme par exemple Jean Peyrelevade qui le souhaitait.

Or ce moment de la procédure a été crucial, car c’est celui où Bernard Tapie a en quelque sorte arraché des larmes aux arbitres, en s’expliquant sur la douleur de sa situation, avec des trémolos dans la voix, en arguant de la soi-disant campagne de haine conduite selon lui par le Crédit lyonnais, et en expliquant, sans être contredit, combien il était important qu’il puisse bénéficier d’une indemnisation au titre de son préjudice moral. On connaît la suite… Le pire est que si Jean Peyrelevade avait également été entendu, il aurait pu signaler aux arbitres que Bernard Tapie avait déjà porté plainte pour le même motif et que le tribunal de grande instance de Paris l’avait débouté de sa demande par un jugement en date du 21 décembre 1994.

En clair, ce témoignage contradictoire aurait pu éclairer les arbitres. Et les dissuader de faire ce qu’ils ont commis : une violation de l’autorité de la chose jugée.

Alors, un avocat qui est à l’origine d’un tel fiasco est-il le mieux à même aujourd’hui de gagner une procédure en révision de l’arbitrage ? CQFD ! D’autant qu’il semble que parmi les avocats en charge de la défense des intérêts de l’État, il y ait plusieurs lignes qui s’affrontent sur la stratégie à suivre dans le recours à intenter contre la sentence arbitrale car l’affaire est juridiquement très complexe. Et la ligne la plus risquée, celle qui pourrait rendre le recours irrecevable, et donc ne pas permettre l’annulation de la sentence, est défendue par… Me Martel. Sur les 24 000 avocats parisiens, il devait quand même être possible d'en choisir un autre, moins impliqué dans la débâcle et sans conflit d'intérêts multiples.

Le gouvernement devrait bien réfléchir, car s’il perdait ce recours pour des questions de procédure, il n'est pas sûr qu’il s’en remette ni que des comptes ne soient pas demandés au ministre des finances, au premier ministre et même au président de la République. À condition, bien sûr, qu’ils veuillent vraiment gagner cette affaire, ce dont on finit par douter…

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Le PC est il mort?


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