C’est une affaire où les victimes sont en action. En Espagne, au Maroc, et récemment en France, les clients floués par le promoteur immobilier Roch Tabarot, frère de la numéro deux de l’UMP, ont multiplié les actions judiciaires pour récupérer les fonds cachés ou sortis en espèces à l’occasion d’opérations immobilières. En Espagne, ils ont fait bloquer son avion et provoqué son arrestation. Au Maroc, ils ont fait saisir ses comptes bancaires. En France, ils viennent de déposer une plainte pour « escroquerie en bande organisée et blanchiment » contre Roch Tabarot, mais aussi Frank Mezzasoma, ex-associé du promoteur et proche collaborateur de Michèle Tabarot.
Le parquet de Grasse a demandé, cette semaine, l’audition d’une des victimes françaises du promoteur, a confirmé à Mediapart le procureur de la République, Georges Gutierrez. Selon la plainte, déposée le 18 juin, « les flux financiers par retraits d’espèces et par virements bancaires relevés par les services de police espagnols laissent penser que les sommes extorquées ou détournées ont nécessairement fait l’objet de détention, transmission ou dissimulation sur le territoire français ».
L’implication dans la société de Frank Mezzasoma, trésorier départemental de l’UMP, ainsi que plusieurs témoignages, permettent aux victimes de suspecter des financements politiques illégaux des campagnes de Michèle Tabarot et de son frère Philippe, secrétaire national de l’UMP, conseiller général et municipal de Cannes.
Au Maroc, la Banque marocaine du commerce extérieur (BMCE) a mis aux enchères il y a dix jours pour 11,2 millions d’euros un terrain acheté à Marrakech par Roch Tabarot avec l’argent de ses petits clients espagnols. Le tribunal a refusé cette mise à prix, la jugeant insuffisante pour couvrir les autres créances réclamées au promoteur français. Ce terrain de 2,7 hectares, sur lequel la famille Tabarot espérait voir s’élever une résidence pour personnes âgées, est aujourd’hui bouclé par des palissades.
Bâtiments vides, immeubles à vendre, les images laissées par la déconfiture du groupe Tabarot sont les mêmes en Espagne. Mais contrairement à ce que soutiennent la famille Tabarot et ses avocats (lire notre enquête), la faillite n’est pas due à « la grave crise économique et financière » qui a frappé l’Espagne. Les juges espagnols de la chambre pénale de l’Audiencia nacional ont souligné que la « décapitalisation et l’appropriation indue des fonds de la société de la part des actionnaires » étaient responsables de « la suspension des paiements » dus aux clients, petits acheteurs, et aux créanciers. Une décision de Roch Tabarot, déjà condamné par la justice commerciale à une peine de dix ans d’interdiction de gérer.
« Il est faux de considérer que la crise économique dont souffre notre pays depuis 2008 a déterminé le manque de liquidités de l’entreprise », ont tranché les juges, en signalant qu’en juin 2008, les actionnaires s’étaient réparti 3,4 millions d’euros de bénéfices sous forme de dividendes. La société continuait à commercialiser des projets à Malaga, Grenade et Murcie, où rien n’était construit. À Murcie, n’ayant même pas acheté les terrains, « ils n’avaient même pas l’intention de construire », signale l’un des plaignants.
« La cause de l’insolvabilité a été la sortie de fonds de l’entreprise, pour répondre à des besoins privés des associés ou des entreprises filiales, écrivent-ils, citant l’administration des faillites. Il faut souligner que si ces presque 19 millions d’euros avaient été réintégrés dans l’actif social, le préjudice des victimes aurait été réduit d’une façon significative. » Sans oublier la sortie en espèces de 13,5 millions d’euros des différents comptes espagnols de l’entreprise, jamais justifiés.
En septembre 2008, Roch Tabarot s’apprête à quitter Alicante pour Casablanca pour finaliser l’opération des « Jardins d’Eden » lorsque la police stoppe le jet privé Cessna qu’il a loué. Cette initiative revient aux victimes qui ont alerté l’unité spécialisée en délits financiers de l’arrêt, dès avril 2008, des paiements dus par l’entreprise et d’un investissement hors normes au Maroc.
Accompagnés par leurs avocats, ils préviennent qu’ils envisagent d’empêcher physiquement Roch Tabarot et ses collaborateurs de quitter le pays. Ces derniers sont écroués, puis remis en liberté sous contrôle judiciaire. En quelques jours, il apparaît que le groupe a transféré, par une dizaine de virements bancaires, plus de 7 millions d’euros au Maroc, en les prélevant dans la caisse, sur une ligne destinée aux clients espagnols.
L’objectif de Tabarot est de créer un « mini Sun City à Marrakech », comme il l’annonce en juillet 2008 à un journal marocain : un complexe résidentiel et touristique senior de « 772 logements (studios, suites et appartements) » pourvu d’une « clinique de soins », de piscines et de « centres de bien-être ».
Une affaire a priori très lucrative. Tabarot évalue les ventes à 104,8 millions d’euros ; les coûts à 56,8 millions, et les bénéfices à… 48 millions. La police découvre que le terrain a été acheté, le 27 décembre 2007, pour 15 millions d’euros à la Banque marocaine du commerce extérieur (BMCE) et à une filiale marocaine de la Société générale (Foncimmo). Le promoteur français obtient des facilités. Pour rendre possible la vente de son propre terrain, la BMCE lui consent un prêt de 9 millions d’euros.
« Tabarot était client d’une banque espagnole, la Caja de Ahorros del Mediterraneo, qui était actionnaire de la BMCE marocaine, et c’est ce qui a facilité l’achat de ce terrain que la BMCE avait obtenu par adjudication, explique l’avocat des victimes, Me José-Luis Escobar. Avec un crédit de la BMCE, et l’argent pris en Espagne qui était destiné à payer les hypothèques des opérations immobilières en cours, il est parvenu à l’acheter. »
De son côté, la Société générale signe un « accord de commercialisation » d’une partie de l’opération via une autre filiale (SG Asset alternative investissement Maroc). Selon l’étude d’un expert versée à l’instruction, la valeur du terrain aurait été largement sous-évaluée par les banques. Au lieu des 15 millions d’euros payés, l’expertise situe sa valeur entre 27,4 et 30 millions d’euros, soit près du double. « Ce terrain est situé au Guéliz, en plein cœur de Marrakech, commente Me Houssein El Alani, avocat lui aussi chargé d’une expertise, à une époque où les prix explosaient. La valeur de la vente n’est pas le vrai prix de ce terrain. »
Expertise du cabinet PKF figurant au dossier (cliquez sur le document pour l'agrandir).© (DR)
Forts de ces soupçons, les avocats des victimes demandent fin 2008 aux juges l’envoi d’une commission rogatoire internationale au Maroc. En février 2009, le procureur Gordillo Alvarez Valdez et le juge Santiago Pedraz refusent l’un après l’autre. Le premier ne la trouve « pas nécessaire à l’enquête », le second la rejette tout simplement sans explications. « Personne en Espagne ne peut expliquer cette attitude du juge Pedraz et du procureur vis-à-vis de l’affaire marocaine sans en rougir, s’indigne Me José-Luis Escobar. Le fait de refuser d’adresser une commission rogatoire au Maroc a contraint les victimes à engager elles-mêmes des poursuites sur place pour des délits commis en Espagne ; de la même façon qu’aujourd’hui en France. »
Le président de l’association, Miguel Cancela, alerte les ambassades de France au Maroc et en Espagne : « Il y a des milliers de personnes affectées en Espagne et je me dois de faire le possible pour que ce fléau ne touche pas les citoyens français et marocains résidents au Maroc, signale-t-il dans un email. En effet, le groupe, présent au Maroc, propose à ses futurs clients une rentabilité garantie de 7 % annuel sur le montant de l'investissement (selon le prix du studio acheté) sous la forme d’une rente mensuelle. »
Miguel Cancela n’a pas de retours. Une nouvelle fois, les victimes et leur avocat sont obligés de passer eux-mêmes à l’offensive. Ils alertent le juge de liaison marocain à Madrid, l’ambassadeur du Maroc, et le procureur général du roi. Ils font trois voyages, en janvier et en octobre 2009, puis en juin 2010. À l’automne 2009, ils essayent de rencontrer Roch Tabarot. « Nous l’avons cherché, et l’avons localisé au Sofitel de Marrakech, se souvient Me José-Luis Escobar. Nous voulions des explications, et trouver la manière de rapatrier l’argent du terrain sans qu’il s’y oppose. À la réception de l’hôtel, on nous a dit qu’il était dans sa chambre et qu’il fallait l’attendre. Mais il est parti par une porte dérobée, et il nous a plantés là. »
En avril 2010, ils obtiennent du tribunal de commerce de Marrakech des saisies conservatoires des avoirs et des biens de la filiale du groupe, Riviera Invest Maroc. Les créanciers sont nombreux : outre les banques, l’architecte Mohammed Guessous, proche de la famille Tabarot, leur réclame aussi 1,4 million d’euros. En juin 2010, les victimes obtiennent de rencontrer le procureur général. « La justice marocaine nous a surpris par son sérieux et sa rapidité, poursuit Me Escobar. La justice espagnole n’est pas préparée aux dossiers économiques complexes malgré sa police spécialisée. »
« La lenteur de la justice espagnole, je l’ai toujours attribuée aux connexions politiques des Tabarot », juge Miguel Cancela. Un non-lieu a même été délivré début 2011, avant qu'il ne soit cassé par les juges de la chambre pénale de l’Audiencia nacional, qui ont ordonné la poursuite de l’enquête, en juillet 2011.
BOITE NOIRENouveau volet de notre enquête sur Michèle Tabarot, menée depuis plusieurs mois, dans les Alpes-Maritimes ainsi qu'à Alicante et Benidorm, en Espagne (retrouvez nos précédents volets ici).
À nouveau contacté sur son portable le 11 juillet, Roch Tabarot, comme la fois précédente, n'a pas donné suite à notre demande. Sollicité à de multiples reprises depuis plusieurs mois, Frank Mezzasoma, le conseiller de Michèle Tabarot, avait refusé tout entretien. Rencontrée en janvier à Paris, puis contactée à nouveau en juin, Michèle Tabarot avait refusé de nous répondre et nous avait renvoyés vers son avocat (lire notre article).
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