Il y a deux semaines, Hervé Lebreton, un “lanceur d'alerte” du Lot-et-Garonne, a reçu un courrier électronique contenant un fichier “pdf” de 3 méga-octets. Expéditeur : le cabinet du ministère de l'intérieur. À l'intérieur, 1 038 pages contenant les milliers de subventions versées en 2011 aux collectivités locales par les députés et sénateurs, au titre de la réserve parlementaire. Une première : jusqu'ici, les pouvoirs publics avaient toujours refusé la moindre transparence.
Pour Hervé Lebreton, c'est l'aboutissement d'« un parcours du combattant » de deux ans et demi. En 2011, ce professeur de mathématiques du Lot-et-Garonne, fondateur de l'Association pour une démocratie directe, a d'abord saisi le ministère de l'intérieur, qui attribue les fameuses subventions. Sans succès. Il s'est ensuite tourné vers la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada) qui a rendu un avis positif, mais consultatif. Là encore, pas de réponse de l'Intérieur. Hervé Lebreton s'est alors tourné vers le tribunal administratif de Paris. Qui, le 23 avril, lui a donné raison et enjoint le ministère de l'intérieur de publier sous deux mois la fameuse liste. Une décision contre laquelle le ministère, grande première, a choisi de ne pas faire appel. Deux mois et quelques heures plus tard, le fichier “pdf” arrivait dans la boîte électronique d'Hervé Lebreton.
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Jusqu'ici, la réserve fut un des secrets les mieux gardés de la République. Chaque année, députés et sénateurs distribuent en effet, hors de tout contrôle, plus de 150 millions d'euros aux collectivités locales et aux associations de leur choix. À maints égards, la fameuse réserve parlementaire est un archaïsme de la vie politique française. De nombreux élus en conviennent... ce qui ne les empêche pas de raffoler d'un système qui fait des parlementaires, à l'heure de la rigueur budgétaire et de la réduction des services publics, de généreux distributeurs de subventions sur le terrain. Une façon efficace de se créer des clientèles politiques locales alors qu'ils sont en réalité dotés de peu de pouvoirs dans le jeu institutionnel ultra-présidentialiste de la Cinquième République.
Pendant des années, la réserve parlementaire a de toute évidence permis toutes les dérives, dont personne n'a jamais rien su puisque tout cela restait secret. La liste obtenue par Hervé Lebreton regorge d'exemples frappants, chroniqués par Mediapart dans plusieurs articles récents.
On y apprend ainsi comment l'UMP alors au pouvoir s'arrogeait l'écrasante partie du gâteau (lire notre article sur le "Top-10" des bénéficiaires de cette réserve). Et que, à gauche comme de droite, ce sont bien souvent les députés les plus expérimentés, les anciens ministres ou les plus capés, qui sont le mieux dotés.
La liste Lebreton confirme aussi qu'en 2011 les dignitaires de l'UMP et du gouvernement (François Fillon, François Baroin, Jean-François Copé, Éric Woerth, etc.) bénéficiaient d'un droit de tirage spécial sur une partie de ces crédits, une trentaine de millions d'euros, directement géré par l'Élysée ou Matignon (lire notre article).
On découvre aussi comment la distribution massive de la réserve parlementaire est une façon pour certains élus de faire pencher la balance électorale en leur faveur (ce fut ainsi le cas du président du Sénat, Gérard Larcher, avant les sénatoriales de 2011, lire notre article). Ou encore, pour les cumulards, de faire financer régulièrement par l'argent de la nation les investissements de leur ville (cas caricatural : Compiègne, dans l'Oise, la ville du sénateur UMP Marini). Plus anecdotiquement, on apprend que Laurent Fabius a financé des travaux dans le village d'Ariège où il possède une maison, loin de sa circonscription normande. Ou qu'une partie de cette enveloppe sert à financer des églises, ce patrimoine qui encombre bien des petits maires.
Quand ils sont arrivés au pouvoir, les députés socialistes ont refusé lors d'un vote de supprimer la réserve parlementaire. Au PS et chez les écologistes, de nombreux élus, souvent les plus jeunes du reste, fustigent un système d'un autre âge, qui entretient toutes les suspicions. Et, cahin-caha, la transparence progresse. Certains élus socialistes ou écologistes rendent d'ores et déjà publique l'utilisation qu'ils font de cette “réserve”.
À l'Assemblée nationale, tous les députés reçoivent, depuis 2012, 130 000 euros chacun (les présidents de commission touchent cependant le double, et le président de l'Assemblée dispose de 520 000 euros). L'Assemblée promet d'ailleurs de publier à la fin de l'année la réserve attribuée en 2013 par les députés. Les sénateurs pourraient décider dans les prochains jours d'en faire de même.
Malgré cela, il restera de grosses zones d'ombre. La liste envoyée à Hervé Lebreton par le ministère de l'intérieur n'est pas complète : manquent les 10 millions d'euros versés chaque année aux associations, ou les noms des élus qui, sous Nicolas Sarkozy, ont sollicité la cagnotte “VIP” du ministère de l'intérieur. Le détail de la réserve parlementaire ne sera pas non plus connu pour les années précédentes. À moins que d'autres citoyens ne saisissent à leur tour la justice, comme l'a fait le “lanceur d'alerte” Hervé Lebreton. Jusqu'à la transparence, il reste encore bien du chemin.
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