C’est une petite victoire de plus pour Raymond Avrillier, citoyen retraité à l’origine de l’affaire des sondages de l’Élysée, dans son combat pour la transparence de la vie publique. Le 4 juillet 2013, la cour administrative d’appel de Paris a confirmé une décision du tribunal administratif de Paris enjoignant le ministre de l'intérieur Manuel Valls de lui communiquer les informations le concernant qui pourraient figurer au fichier de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) dans un délai de deux mois. À l’exception « de celles d'entre elles dont le contenu mentionnerait de façon précise les missions confiées aux services du renseignement » et qui sont donc à juste titre classifiées et incommunicables.
La décision est inédite. Pour la première fois, le renseignement intérieur se voit, à la demande d’un simple citoyen, sommé de faire le tri dans ses fichiers entre ce qui relève du secret de la défense nationale et ce qui n’en est pas. « Ayant soulevé l’affaire Carignon (le maire RPR de Grenoble et ministre de la communication du gouvernement Balladur, condamné à de la prison ferme pour corruption, ndlr), ayant été requérant contre le réacteur nucléaire Superphénix, je comprendrais qu’une partie de mes dossiers aient pu relever de la sûreté nationale, explique le Savoyard de 65 ans. Mais pas ad vitam æternam, pas l’intégralité et surtout pas sans justification. S’il y a par exemple des informations sur ma participation à des manifestations, je ne vois pas en quoi cela relève du secret de la défense nationale ! »
Jusqu’ici les citoyens qui souhaitaient vérifier les données les concernant susceptibles d’avoir été enregistrées par la DCRI se heurtaient systématiquement au mur du secret de la défense nationale. Pour le ministère de l’intérieur, toute information détenue par la DCRI serait en effet a minima classifiée confidentiel-défense (le degré le plus bas de classification) et donc incommunicable au quidam. C’est une interprétation très extensive de l’arrêt du 27 juin 2008 qui accompagne la création de ce « FBI à la française » voulu par Nicolas Sarkozy. Celui-ci impose une classification pour « toutes instructions, tous renseignements et tous documents ou supports relatifs aux missions, aux objectifs, à l'organisation et au fonctionnement de la direction centrale du renseignement intérieur ». Pas moins, mais pas plus.
En 2012, 3 682 citoyens ont demandé à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) d’effectuer des vérifications dans des fichiers intéressant la sûreté de l’État. 84 demandes portaient sur les fichiers DCRI. À chaque fois, un magistrat membre de la Cnil est désigné pour vérifier les données concernées et éventuellement demander leur modification. C’est le principe du « droit d’accès indirect » prévu par la loi du 6 janvier 1978 qui permet à la Cnil d’exercer en lieu et place d’un particulier ses droits pour les fichiers intéressant la sûreté de l’État, la défense, ou la sécurité publique. Mais la commission ne peut communiquer au citoyen le résultat de ses investigations qu’avec l’accord du service gestionnaire du fichier, en l’occurrence la place Beauvau.
Et à chaque fois pour les fichiers DCRI, la réponse est la même : la Cnil indique avoir procédé aux vérifications demandées… et ne pas pouvoir apporter de plus amples informations. « Pour les fichiers de renseignement, il n’est jamais communiqué d’information à l’intéressé, y compris quand il n’est pas connu des services, confirme Florence Fourest, directrice des relations avec les usagers et du contrôle. Mais le cas échéant, nous pouvons demander des modifications si nous constatons des durées de conservation excessives ou des informations qui ne devraient pas figurer dans ces fichiers. » Ces durées de conservation seraient prévues dans les décrets de création des fichiers des services de renseignement… qui n’ont jamais été publiés. Ce que le patron de la DCRI Patrick Calvar avait lui-même regretté à propos du fichier Cristina (Centralisation du renseignement intérieur pour la sécurité du territoire et des intérêts nationaux).
À la fin de ses mandats d’élu grenoblois, Raymond Avrillier avait demandé à la Cnil en août 2008 de lui communiquer les informations le concernant contenues dans les fichiers informatisés ou manuels de la police et de la gendarmerie. « Ma demande portait aussi sur les archives de la DST et des RG (qui venaient d’être regroupés pour former la DCRI, ndlr), explique l'ancien chercheur. Minute avait sorti des écoutes dont j’aurais fait l’objet en 1989, au moment où je m’attaquais à la corruption à Grenoble. Je voulais savoir si ces écoutes avaient été faites par des services de police ou s’il s’agissait d’écoutes pirates. » Relancée en janvier 2010 puis attaquée devant le Conseil d’État en mars 2010, la Cnil finit par lui indiquer, en août de la même année, que son nom ne figure dans aucun des fichiers de police vérifiés (Judex, fichier des personnes recherchées, système d’information Schengen), sauf au Stic en tant que victime. En passant sous silence les fichiers DCRI.
Raymond Avrillier effectue un recours en justice. Le 17 mars 2011, afin de pouvoir se prononcer en connaissance de cause, le tribunal administratif de Paris demande quelques éclaircissements au ministre de l’intérieur Claude Guéant. Il est prié de fournir à la justice des informations sur l’inscription de l’intéressé dans les fichiers de la DCRI, ou, à tout le moins, sur la « nature des pièces écartées et la raison de leur exclusion ». Pourquoi l’ensemble des informations concernant Raymond Avrillier relèveraient-elles du secret défense ?
Mais le ministre de l’intérieur ne répond pas. Devant son silence, le tribunal administratif finit par trancher le 16 novembre 2011 : le ministre a deux mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, pour communiquer à Raymond Avrillier les informations le concernant figurant au fichier de la DCRI, à l’exception « de celles d'entre elles dont le contenu mentionnerait de façon précise les missions confiées aux services du renseignement ». Et d’indiquer que le ministre de l’intérieur « ne justifie nullement que l'ensemble des données dont le requérant sollicite la communication seraient susceptibles de porter atteinte au secret de la défense nationale, à la sûreté de l'État ou à la sécurité publique ». D’autant, toujours selon le tribunal, « qu'il ne ressort d'aucune autre pièce du dossier, et notamment des éléments fournis par le requérant, que tel pourrait être le cas ».
Le 4 juillet 2013, la cour d’appel de Paris a confirmé cette décision en rejetant le recours du ministère de l’intérieur. Lequel peut encore se pourvoir en cassation devant le Conseil d'État. Contacté mardi, le ministère de l'intérieur ne nous a pas répondu.
Saisi à propos d’un refus d’accès au système d’information Schengen, le Conseil d’État avait indiqué en novembre 2002 que « lorsqu’un traitement intéresse la sûreté de l’État, la défense ou la sécurité publique, il peut comprendre, d’une part, des informations dont la communication à l’intéressé serait susceptible de mettre en cause les fins assignées à ce traitement et, d’autre part, des informations dont la communication ne mettrait pas en cause ces mêmes fins ». Mais ce principe n’avait, jusqu’ici, jamais été appliqué aux fichiers de renseignement. « La Cour a considéré que le principe de divisibilité des données pouvait s’appliquer à ce type de traitement et qu’on pouvait y faire le tri, explique Florence Fourets. C’est inédit. »
Raymond Avrillier indique lui qu'il compte « essayer de faire appliquer l'arrêt ». Y compris « en demandant au ministre de l'intérieur des forces de police pour m'accompagner au ministère de l'intérieur... ».
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