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Ce que Tapie a dit pendant sa garde à vue

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Placé en garde à vue pendant 96 heures avant d’être mis en examen pour « escroquerie en bande organisée », vendredi 28 juin, Bernard Tapie n’a pas dit grand-chose aux policiers de la Brigade financière. Ou plutôt, il a essayé d’esquiver la plupart des questions embarrassantes. Mais en vérité, il n’y est parvenu qu’avec d’infinies difficultés, car la justice détient désormais tellement d’indices de fraude à l’arbitrage, que l’ex-homme d’affaires a sans cesse été dans l’embarras pour répondre au feu roulant des questions.

De cette audition, à laquelle Mediapart a pu avoir accès, il ressort beaucoup de silences. Beaucoup de refus de réponse de la part de Bernard Tapie. Et beaucoup de réponses, toujours les mêmes, sur le registre : « Je ne sais pas » ou « Je ne me souviens plus ». Mais malgré tout, les policiers ont marqué des points : ils ont obtenu beaucoup de précisions sur des points importants de l’affaire. Beaucoup de précisions par exemple sur l’implication de l’Élysée dès le début de la présidence Sarkozy, en juin et juillet 2007, et en particulier l'implication de Claude Guéant, à l’époque secrétaire général, mais aussi de François Pérol, à l’époque secrétaire général adjoint, devenu dans l’intervalle président de la banque BPCE. Beaucoup de précisions aussi sur le rôle de personnages très différents mais qui ont tous pour points communs d’avoir nourri des relations de proximité avec Bernard Tapie, qu’il s’agisse de Jean-Louis Borloo, le président de l’UDI ; de l’arbitre Pierre Estoup, mis lui aussi en examen ; ou encore, et de manière plus surprenante, de l’avocat Gille August, qui était pourtant le conseil… de la partie adverse !

Interrogeant Bernard Tapie, les policiers l’ont confronté aux agendas qu’ils sont parvenus à reconstituer des principaux responsables de l’Élysée, dans les premiers mois avant le lancement de l’arbitrage. Or, le constat est frappant : alors que Christine Lagarde a toujours prétendu – sans que nul ne la croie – qu’elle n’avait reçu aucune instruction pour donner son feu vert à l’arbitrage, l’Élysée apparaît le véritable « QG » où tout s’est organisé, dans les jours mêmes qui ont suivi l’élection présidentielle. Et Claude Guéant, dont le nom est cité depuis longtemps dans l’affaire, n’est pas le seul à avoir pris les choses en main. François Pérol, tout autant, a pris sa part dans l’organisation et la préparation de l’arbitrage, en recevant personnellement Bernard Tapie et en participant à diverses réunions.

À la suite d’une réquisition judiciaire, les services de l’Élysée ont admis que, dès le 13 juin 2007, Bernard Tapie est reçu par François Pérol de 14h25 à 16h24, réunion à laquelle se joint Claude Guéant à partir de 15h15.

Et pourquoi donc cette réunion ? Et à l’initiative de qui ? Bernard Tapie a la mémoire qui flanche : « Je n'en sais rien du tout. » Mais les policiers ont visiblement une petite idée derrière la tête, puisqu’ils savent que le même Bernard Tapie avait un autre rendez-vous deux jours plus tard, le 15 juin, mais cette fois avec Nicolas Sarkozy. N’était-ce donc pas l’arbitrage que l’Élysée était en train de mettre sur les rails ? « Jamais je n'ai parlé de l'arbitrage personnellement à Monsieur Sarkozy », se défend Bernard Tapie. Mais le fait est là : dès le courant du mois de juin 2007, puis en juillet, les réunions se multiplient à l’Élysée autour de Bernard Tapie.

Et ce n’est pas tout. La Brigade financière a aussi détecté deux autres rendez-vous entre le même Bernard Tapie et Claude Guéant, l’un le 28 juin de cette même année 2007 et le second le 16 juillet. Et voilà encore une fois que la mémoire de l’ex-homme d’affaires est défaillante. Quel était donc l’objet de ces rendez-vous ? « Je pourrais m'en souvenir mais je ne me souviens pas des sujets particuliers de ces rendez-vous. »

Pour une personne qui ne représente plus rien dans la vie des affaires et plus rien dans la vie politique, cela fait tout de même beaucoup : à l’évidence, les portes de l’Élysée lui sont grandes ouvertes ! Car, en plus de toutes ces réunions, il y a encore eu, vers la fin du mois de juillet 2007, celle qui a déjà été révélée dans la presse, et à laquelle participaient outre Bernard Tapie, une ribambelle de conseillers de l’Élysée, dont Claude Guéant, François Pérol, le conseiller pour la justice Patrick Ouart, ainsi que le directeur de cabinet de Bercy, Stéphane Richard, devenu depuis président d’Orange. Cette fois, Bernard Tapie ne dément pas, mais n’a toujours pas les idées fraîches : « Je pense qu'il s'agit bien de la fameuse réunion qui a été largement publiée dans la presse dont j'ai dit immédiatement que je ne m'en souvenais pas. Je ne me souviens pas de cette réunion, si les acteurs concernés confirment cette réunion je ne les contredirai pas, même si une réunion aussi importante que celle-là ne peut que me suggérer une réunion d'information à laquelle j'aurais été convié pour développer mes arguments en faveur de l'arbitrage et aucune possibilité de décision ne pouvait se faire à cette occasion car l'arbitrage et ses conventions n'ont été signés que six mois plus tard. »

Bernard Tapie ne se souvient donc de rien. Sauf que si, cette réunion a peut-être eu lieu, en tout cas, ce n’est pas lui qui en est à l’origine. Qu’importe, les policiers ont si bien travaillé qu’ils en savent beaucoup. Ils ont ainsi pu vérifier que le même Bernard Tapie a été aussi reçu à l’Élysée le 30 juillet 2007, le matin par Nicolas Sarkozy et l’après-midi par Claude Guéant, de 17 heures à 18 h 27.

La police judiciaire a aussi établi que, par la suite, Bernard Tapie a de nouveau rencontré Claude Guéant à au moins quatre reprises, dans le courant de l’arbitrage (le 1er octobre 2007, puis le 22 avril 2008, puis le 22 mai 2008, et enfin le 4 septembre 2008) et Nicolas Sarkozy au moins deux fois (le 17 novembre 2007 et le 16 février 2008), « souvent à des moments clés de la procédure ». D’où la suspicion légitime de la Brigade financière : peut-on raisonnablement penser que Bernard Tapie n’a pas évoqué avec ces deux personnes la procédure d'arbitrage en cours lors de ces rendez-vous ? Réponse emberlificotée de l’intéressé : « On doit raisonnablement penser que je n'en ai pas parlé quand on regarde la fréquence de ces rendez-vous avant et après la sentence d'arbitrage. Et même si on émettait l'hypothèse que le Président de la République est intervenu pour dire qu'il fallait aller à un arbitrage, quelles conséquences du moment où il n'a pas tenu la plume des arbitres. Et quelle contrepartie ? Cela ne peut pas être raisonnablement juste le fait que je vote pour lui et le soutienne en 2007. »

De cette audition ressort aussi une étrange relation, celle que Bernard Tapie a nouée avec Me Gilles August. Relation qui jusqu’à ce jour n’était pas connue car l’avocat était le conseil… de la partie adverse, en l’occurrence le Consortium de réalisation (CDR – la structure publique de défaisance où ont été cantonnés en 1995 les actifs douteux de l’ex-Crédit lyonnais). Critiqué aujourd’hui pour avoir mal conseillé son client, en clair l'État, et même depuis peu évincé de cette fonction, Me August avait en effet de surcroît des relations de proximité avec Bernard Tapie que nul ne connaissait. C’est du moins ce que la Brigade financière a mis au jour. Sur l’agenda électronique de l’avocat, elle a ainsi découvert qu’il avait eu, dans le passé, en l’occurrence le 26 novembre 2004, un rendez-vous au bar du Crillon avec un agent d’assurance, le dirigeant d’une importante filiale de la Caisse des dépôts et… Bernard Tapie. « Je n'ai aucun souvenir de ce rendez-vous », a répondu Bernard Tapie.

Dans les agendas de Me August, les policiers ont aussi retrouvé la trace de nombreux autres rendez-vous entre l’avocat et Bernard Tapie : le 2 février 2009 est ainsi mentionné un « dîner Tapie » « Le Divellec réservé », puis le 26 mars 2009 « RV B. Tapie/R. Maury» « Messine » ; le 6 avril 2010 « B. Tapie » « Tong Yen, 1 bis Rue Jean Mermoz-réservé ». Pourquoi donc tous ces rendez-vous avec l’avocat censé défendre la partie adverse ? Réponse de Bernard Tapie : « Dans mes souvenirs le rendez-vous au Divellec était un déjeuner et non un dîner. Il s'agissait d'une rencontre que Maître August m'avait demandé d'organiser avec une actrice avec laquelle j'avais joué ou je devais jouer et qu'il souhaitait rencontrer. Le rendez-vous avec M. Maury, je ne vois pas de quoi il s'agit, je ne connais pas de M. Maury. Concernant le Tong Yen il s'agit d'un restaurant dans lequel je vais souvent mais je n'ai pas souvenir d'un déjeuner ou dîner avec Maître August. Cependant si ce rendez-vous figure dans l'agenda de Monsieur August, c'est bien qu'il a dû avoir lieu. »

En de nombreux moments, les policiers de la Brigade financière ont aussi mis en difficulté Bernard Tapie en l’interrogeant sur ses relations avec l’arbitre Pierre Estoup. Sur les arbitrages auxquels ce dernier a participé dans le passé aux côtés de Me Lantourne, avocat de Bernard Tapie, et qui sont beaucoup plus nombreux qu’on ne le savait jusqu’à présent.

Mais les dernières surprises de cette audition sont ailleurs : elles ont trait à l’irruption dans l’histoire de deux proches amis de Bernard Tapie, en la personne de Jean-Louis Borloo, le président de l’UDI, et de Claude Bartolone, l’actuel président (PS) de l’Assemblée nationale. Décrivant aux policiers ses relations avec Stéphane Richard, Bernard Tapie raconte en effet aux policiers que la deuxième fois qu’il l’a rencontré, cela a été « dans le cadre de l'anniversaire de Monsieur Bartolone ; c'était lors des dernières primaires socialistes ». Lequel Claude Bartolone, selon nos informations, a toujours intrigué dans les coulisses du pouvoir en faveur de l’arbitrage, notamment du temps où Laurent Fabius était ministre des finances, et a fait encore ces derniers mois pression sur l’Élysée pour que son ami Bernard Tapie puisse faire l’acquisition des journaux régionaux du Sud-Est de la France.

Pressé de questions par les policiers, Bernard Tapie a accepté de se montrer un peu plus prolixe en racontant les contacts qu’il a eus avec Jean-Louis Borloo, quand celui-ci fut nommé ministre des finances pendant quelques mois, tout au début du quinquennat de Nicolas Sarkozy – lequel Jean-Louis Borloo avait été son avocat tout au long des années 1980 : « Dans les tout premiers jours de son ministère, M. Borloo m'avait invité à un petit déjeuner rue de Lille. Il est arrivé comme souvent en retard, Monsieur Richard me voyant seul dans l'entrée est venu me faire la conversation en attendant l'arrivée de M. Borloo. À l'arrivée de M. Borloo, M. Richard est resté quelques minutes avec nous puis nous a laissés seuls. J'ai alors pris comme prévu un petit-déjeuner avec Monsieur Borloo. Nous sommes alors restés que tous les deux. »

Et c’est ainsi que, dès les premiers jours de la présidence Sarkozy, l’idée de l’arbitrage a commencé à cheminer. Cela, Bernard Tapie le nie farouchement. Tout comme Jean-Louis Borloo. Mais les magistrats instructeurs ont si bien travaillé, et la Brigade financière avec eux, que les filets de la justice se resserrent de plus en plus autour de la « bande organisée »…

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Le PC est il mort?


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