C’est une nouvelle preuve de l’usage abusif que font certains sénateurs et députés de leur « indemnité de frais de mandat » (IRFM), cette enveloppe censée couvrir leurs frais professionnels et trop souvent détournée à des fins personnelles. D’après nos informations, un sénateur UMP a puisé dans son compte IRFM pour faire un don de 2 000 euros à Nicolas Sarkozy et financer sa campagne présidentielle de 2012.
Rapporté aux 22 millions d’euros de dépenses du candidat, le cadeau n’a certes pas pesé lourd, mais il a été repéré et dénoncé comme une « irrégularité » par la commission des comptes de campagne, dans sa décision relative à Nicolas Sarkozy rendue publique le 4 juillet (après confirmation du rejet du compte par le Conseil constitutionnel).
Fidèle à ses habitudes, la commission ne livre aucun nom, mais Mediapart a retrouvé l’élu fautif : il s’agit de Bruno Retailleau, sénateur UMP et président du conseil général de Vendée, un ancien bras droit de Philippe de Villiers qui a rallié Nicolas Sarkozy en 2012, désormais « délégué général adjoint au projet » du parti.
En plus de son « salaire » de 7 100 euros, Bruno Retailleau touche comme tous les parlementaires 6 400 euros d’IRFM par mois, versés par le Palais du Luxembourg sur un compte bancaire dédié, pour mieux prévenir toute confusion avec les dépenses privées.
Comme le rappelle la commission des comptes de campagne, cette indemnité « a pour objet exclusif » la prise en charge de « frais afférents à l’exercice du mandat », or « le versement d’un don pour financer la campagne électorale d’un candidat à une élection quelle qu’elle soit ne peut se rapporter à l’exercice du mandat ».
Interrogé par téléphone, Bruno Retailleau plaide « l’erreur matérielle » : « J’ai fait ça rapidement, je me suis trompé de chéquier. Je n’ai pas cherché à contourner. » Pourrait-il nous fournir les derniers relevés de son compte IRFM, pour nous prouver qu’aucune de ses dépenses personnelles n’est habituellement financée par l’argent du Sénat ? « Moi je suis opposé à la transparence totale », balaye Bruno Retailleau. Il n’y aurait pourtant rien de mieux pour attester de sa bonne foi... Mais le sénateur préfère souligner qu’il s’est « pénalisé » tout seul : « Finalement je n’ai même pas pu avoir de défiscalisation (ndlr: un don de 2 000 euros ouvre d’habitude le droit à une réduction de 1 320 euros sur la feuille d’impôts). »
Bien sûr, cette « irrégularité constatée » par la commission n’était « pas d’une gravité » suffisante pour « entraîner le rejet du compte » de Nicolas Sarkozy à elle seule – celui-ci a finalement été retoqué pour des transgressions bien plus graves des règles de financement des campagnes. Mais l’épisode s’avère embarrassant pour le Sénat et l’Assemblée nationale, qui persistent à refuser la mise en place du moindre contrôle sur les comptes IRFM de leurs troupes.
À ce jour, aucune vérification n’est possible, ni par les fonctionnaires parlementaires, ni par la Cour des comptes, ni même par le fisc qui n’a plus le droit d'y fourrer son nez depuis 2002 – « (L'IRFM ne peut) donner lieu à aucune vérification de la part de l'administration », précise le Code général des impôts !
Les dérives sont pourtant multiples. Mediapart a ainsi révélé en 2012 que le député socialiste Pascal Terrasse avait financé des vacances au soleil et en famille avec son enveloppe de frais de mandat, ou que des parlementaires se bâtissent de jolis patrimoines immobiliers. Les cumulards, qui supportent souvent moins de charges que les autres puisqu'ils bénéficient d’avantages en nature dans leurs collectivités (voitures, etc.), sont sans doute les plus tentés… Dans son quinzième rapport d’activité, la commission pour la transparence financière de la vie politique a ainsi dévoilé qu’un élu (non identifié) avait pu stocker jusqu’à 200 000 euros de « réserves » sur son compte IRFM, à l’issue de cinq années de mandat !
Ces polémiques avaient forcé le PS, arrivé en juin 2012 aux commandes de l’Assemblée, à promettre une réforme de l’IRFM qui n’est jamais vraiment venue. Pour faire taire les grincheux, le patron du Palais-Bourbon, Claude Bartolone (PS), a certes imposé à l’automne dernier une réduction de 10 % de l'enveloppe – une mauvaise réponse à un vrai problème. Mais il a pour l'instant écarté toute idée de contrôle, se posant en « gardien orthodoxe de la liberté des parlementaires » et privilégiant l'instauration d'une « attestation sur l’honneur ». La déontologue de l'Assemblée, l'avocate d'affaires Noëlle Lenoir, s'est tout de même vu confier une mission de réflexion sur l'IRFM en octobre, toujours en cours...
Questionné sur le sujet, Bruno Retailleau, rétif à tout « contrôle de l’extérieur » comme nombre de ses collègues, propose de son côté la distribution d’un « vade mecum » aux sénateurs et députés, « pour fixer les règles ». Comment ces rustines pourraient-elles suffire à restaurer la confiance des électeurs ?
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