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Hollande, l’hyper présidence solitaire

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« Je me suis fait avoir par votre organisation, à Jean-Marc et à toi. » En ce mois d’avril, Claude Bartolone, le président de l’Assemblée nationale, est furieux et il le fait savoir à François Hollande. Il a découvert à la télé les propositions du président de la République après les aveux de Jérôme Cahuzac. « Barto » avait été reçu à Matignon par Jean-Marc Ayrault, il avait plaidé sa cause et croyait avoir été entendu. Alors quand il regarde le président de la République imposer la transparence du patrimoine des députés, « (sa) mâchoire a failli se décrocher », raconte-il des mois après. « François Hollande est le plus convivial mais aussi le plus solitaire. C’est même le plus grand solitaire de la République. Cela complique les choses », dit encore Bartolone.

François Hollande et Claude BartoloneFrançois Hollande et Claude Bartolone© Reuters

Depuis un an, on ne compte plus les ministres, les députés, les barons socialistes et même les conseillers qui racontent les mêmes scènes : décrocher un rendez-vous avec le président de la République, penser l’avoir convaincu, se dire en sortant que finalement, il est resté flou et découvrir, plus tard, dans la presse, que l’arbitrage leur est défavorable.

Lors de l’épisode Florange, Arnaud Montebourg a longtemps cru que la protection dont il bénéficie à l’Élysée depuis son “deal” politique de la primaire, lui permettrait de l’emporter. Le désaveu n’en a été que plus violent. À l’automne, Vincent Peillon est tombé des nues en entendant, à quelques mètres de lui, François Hollande annoncer que les maires auraient deux ans pour appliquer la réforme des rythmes scolaires. Marylise Lebranchu s’est retrouvée dépossédée de sa propre loi de décentralisation, découpée en tranches et arbitrée en direct à Matignon et à l’Élysée. Aucune décision fiscale n’échappe à la validation de François Hollande – c’était déjà le cas du temps de Jérôme Cahuzac.

Même le cabinet du chef de l’État en a fait l’amère expérience. Les conseillers du Palais découvrent parfois dans les journaux des décisions prises sans qu’ils en soient avertis, distillées par le chef de l’État en personne qui aime toujours à recevoir certains journalistes et se poser, comme il en avait coutume au PS, en analyste politique. Les « hommes du président » écarquillent les yeux en l’écoutant, devant les caméras, prononcer des phrases qui avaient été biffées par son équipe.

Ce fut par exemple le cas lors du 150e anniversaire du SPD à Leipzig, quand François Hollande avait rendu un hommage appuyé aux « choix courageux » de Gerhard Schröder. Le texte avait fait l’objet de nombreux allers-retours entre la cellule diplomatique, les conseillers en charge des discours (ils sont deux, Paul Bernard, venu de la mairie de Paris, et Aquilino Morelle, ancien directeur de campagne d’Arnaud Montebourg pendant la primaire) et le président de la République. La première version évoquait Schröder, mais avec distance ; une dernière mouture, jugée par les conseillers de l'Élysée trop enthousiaste à l'égard de l'ancien chancelier avait été modifiée et Schröder avait disparu du discours. Finalement, comme toujours, Hollande n’en a fait qu’à sa tête.

© (DR)

Il reprend jusqu’à la dernière minute le moindre discours qu’il prononce – c’était déjà le cas pendant la campagne, cela l’est toujours depuis son élection. À Tunis, il a travaillé jusque très tard dans la nuit sur le texte prononcé devant l’Assemblée nationale constituante. « Je n'ai jamais voulu lire des discours qui ne seraient pas les miens », justifie Hollande dans le film Le Pouvoir de Patrick Rotman et Pierre Favier (sorti le 15 mai - lire l’article d’Antoine Perraud) où l’on voit des conseillers dans l’ombre, écrasés par le fonctionnement de l’Élysée.

Même chose pour les réactions à l’actualité. Quand Der Spiegel et The Guardian publient les révélations d’Edward Snowden sur l’espionnage des services américains en Europe, Hollande prend ses équipes de court en annonçant, alors qu’il est en déplacement en Bretagne, qu’il veut suspendre les négociations de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis.

Hollande n’est pas Sarkozy, qui s’appuyait sur Henri Guaino ou Claude Guéant. « Sarkozy décidait de tout, mais avec des conseillers. Là, Hollande décide de tout, tout seul… », dit un conseiller ministériel. Cette fois, aucun collaborateur ne peut se vanter d’avoir le même poids politique. Même à la communication, personne n’a retrouvé l’influence d'un Franck Louvrier. D’autant moins que le cabinet du président socialiste est volontairement très technique avec, à sa tête, des anciens de la promotion Voltaire de l’Ena, celle de Hollande.

« En dix ans, qu’est-ce qu’on a perdu ! On n’a plus assez de profils politiques et technos. On a quelques bons technos, quelques intelligences très affûtées mais pas forcément des militants. Il manque une interface entre ces différents mondes », diagnostique Claude Bartolone, conforme au sentiment dominant au PS.

C’est tout le paradoxe d’un président qui décide toujours seul, et de tout (ou presque), mais qui passe son temps à écouter, quitte à laisser croire à ses interlocuteurs qu’ils sont les seuls à avoir l’oreille du président. SMS, rendez-vous plus ou moins discrets, déjeuners : François Hollande a plusieurs fois, devant ses troupes, expliqué que l’Élysée était une oasis dont il fallait s’échapper pour ne pas se couper du réel. Quitte à court-circuiter son premier ministre et ses ministres qui apprennent par la bande qu’un arbitrage a été rendu en leur absence.

Le désenchantement est du coup à la hauteur de l’espérance suscitée par la méthode. Tous ceux qui ne sont pas dans la ligne très social-démocrate de François Hollande tempêtent désormais contre un chef de l’État qui « n’écoute plus personne ». Les écologistes en font les frais. « Le président est de plus en plus isolé. Il est très replié sur lui-même, sur quelques proches, sur des technocrates et des lobbys patronaux. C'est un président solitaire et autoritaire, qui écoute de moins en moins sa majorité. Harlem Désir n'est pas écouté, alors que c'est le patron du PS. Personne n'est écouté. Il a une ligne sociale-démocrate assumée qu'il tient tout seul contre sa majorité », analysait récemment le président du groupe EELV au Sénat, Jean-Vincent Placé.

Cette solitude est en réalité autant choisie que structurelle. Elle semble même presque inévitable sous la Ve République. François Hollande, qui a travaillé à l’Élysée sous François Mitterrand, avait promis durant la campagne qu’il romprait avec les pratiques quasi monarchiques de son illustre aîné et celles de Nicolas Sarkozy.

François HollandeFrançois Hollande© Reuters

À son arrivée, il avait juré que ses conseillers ne seraient pas systématiquement présents lors des réunions interministérielles pour préserver le rôle de Matignon. Il s’était engagé à ne pas recevoir les parlementaires à l’Élysée et il disait refuser les interviews au Palais (le traditionnel entretien du 14-Juillet y aura lieu cette année). Tous ces engagements ont été balayés en quelques semaines.

Ses conseillers s’en sont maintes fois expliqué : c’est Hollande que les Français ont élu, pas Jean-Marc Ayrault, et l’inversion du calendrier qui place la présidentielle avant les législatives n’a fait que renforcer le rôle du président ; le sarkozysme a durablement habitué les médias et les électeurs à l’agitation permanente de l’Élysée ; le quinquennat a bouleversé l’équilibre des institutions et le temps présidentiel s’est banalisé. « On a un vrai problème d’institutions : le pouvoir n’a jamais été aussi concentré et l’État n’a jamais été aussi faible », résume Pascal Cherki, député et maire du XIVe arrondissement de Paris, proche de Benoît Hamon.

Mais cette solitude correspond aussi au fonctionnement de François Hollande, qui a géré de la même façon le parti socialiste pendant dix ans (lire notre article sur le syndrome de Dijon), tout en faisant écho à la temporalité dans laquelle s’inscrit le président de la République. Les députés et les sénateurs sont bien souvent aussi des élus locaux, obnubilés par les résultats des prochaines élections municipales et européennes, et subissent sur les marchés les récriminations de leurs électeurs. Hollande, lui, est « en lévitation », selon l'expression d'un proche, et ne pense qu’à 2017. D’ici là, peu lui importe, ou presque, les sondages tant qu’il ne suscite pas de rejet irrémédiable dans son électorat. Un membre de cabinet, acerbe, témoigne du décalage : « En déplacement sur le terrain, il a l'air ailleurs. Aux élus locaux qui s'inquiètent, il leur dit :“Ça va être dur, les municipales. Moi ça va, je suis président…” »

BOITE NOIRECet article est le fruit de discussions formelles et informelles depuis plusieurs semaines.

La phrase de Pascal Cherki a été recueillie par mon collègue Stéphane Alliès.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Le PC est il mort?


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