Le Canard enchaîné et le site internet Atlantico publient ce mercredi les premiers extraits d'enregistrements d'échanges entre Nicolas Sarkozy et ses conseillers, réalisés à leur insu en 2011 par son conseiller ultra-droitier Patrick Buisson. Dans son édition du 5 mars, l'hebdomadaire publie le verbatim de l'enregistrement d'une réunion à l'Élysée, le 27 février 2011, autour de Nicolas Sarkozy.
L'enregistrement rend compte des propos échangés à quelques heures du remaniement que le président doit annoncer. Outre le président et son conseiller controversé, sont présents à l'Élysée le secrétaire général de l'Élysée Claude Guéant, le conseiller spécial Henri Guaino, le conseiller en communication Franck Louvrier, le publicitaire Jean-Michel Goudard et le sondeur Pierre Giacometti.
Selon Le Canard enchaîné, après l'enregistrement télévisé de l'allocution, dans laquelle il annonce le remaniement, M. Sarkozy à son retour lance : « On n'a pas entendu ces connards de chiens qui aboyaient [dans les jardins élyséens] ? » Et l'hebdomadaire satirique de poursuivre : « Buisson spirituel : “Tu parlais des journalistes ?” Puis courtisan : “C'était très bien ! Tu avais les bonnes intonations. Tu as bien détaché les phrases importantes. Faut pas y toucher. »
À l'idée de se séparer du ministre de l'intérieur Brice Hortefeux lors du remaniement, Nicolas Sarkozy lâche : « Vous n'avez pas d'états d'âme sur Brice ? » Patrick Buisson explique alors : « On en a tous. On aime tous Brice. Le problème est de faire un choix politique », avant que le président ne concède : « Brice dit que le sentiment d'insécurité a régressé. Toutes les études montrent que ce n'est pas vrai. » « En matière d'immigration, Brice est inhibé. Une partie de notre électorat manifeste une certaine impatience », conclut l'ancien journaliste du quotidien d'extrême droite Minute.
Le site Atlantico a également mis en ligne les enregistrements sonores et les verbatims d'au moins quatre enregistrements, effectués la veille (26 février 2011) lors d'une autre réunion de Nicolas Sarkozy et de ses conseillers à la Lanterne à Versailles, consacré au remaniement qui devait être annoncé le 27 février 2011 : Brice Hortefeux va être remplacé par Claude Guéant à l'Intérieur et Michèle Alliot-Marie par Alain Juppé au Quai d'Orsay.
« Remplacer (le premier ministre François) Fillon par (Jean-Louis) Borloo, c'est grotesque », déclare Sarkozy lors de la réunion (écouter ici). « Y'a qu'une seule personne qui pourrait remplacer Fillon aujourd'hui, c'est Juppé. Je m'entends très bien avec Alain... Même si Fillon n'est pas décevant, il est comme on le sait. »
Dans la voiture qui les ramène de Versailles à Paris après la réunion, M. Buisson et le publicitaire Jean-Michel Goudard, conseiller en communication, ne se privent pas de commenter les décisions et propos de la réunion : « C'est dur, hein ? » demande notamment M. Buisson à propos de la présence de Carla Sarkozy à Versailles (écouter ici). « Ah t'es amusant. Si je la connaissais pas un peu mieux depuis la télé j'aurais trouvé ça “lamentable”, interventions percutantes quand même hein », lui répond M. Goudard.
Angoissé par la plainte d'Anticor dans l'affaire des sondages de l'Élysée, où son nom est cité, Patrick Buisson s'inquiète ensuite du changement de fonction de Claude Guéant, qui passe du secrétariat de l'Élysée à l'Intérieur (écouter ici), et son remplacement par Xavier Musca à ce poste sensible. « Tu vois l’avantage de Guéant, là depuis 3 mois, c’est qu’il connaissait un petit peu les dossiers, notamment pour les affaires auprès du parquet. Il se mouillait un petit peu », explique M. Buisson, mis en cause dans l'affaire des marchés des sondages de l'Élysée. « Ben ça l’intéresse quand même directement parce que… l’Élysée c’était lui à cette époque-là », lui rétorque M. Goudard.
Patrick Buisson, « royaliste » comme il se définit dans l'un des enregistrements (écouter ici), se plaint aussi à propos du remaniement de ne pas avoir « réussi à entraîner la tête » du ministre de la justice Michel Mercier, qu'il qualifie de « totalement calamiteux ». « Il y a plus calamiteux encore », assène Goudard, en nommant la ministre de la santé Roselyne Bachelot qui, selon lui, « ne dit que des conneries ».
M. Buisson est au cœur de l'affaire des sondages, dans laquelle un juge enquête sur la régularité des contrats conclus sous la présidence Sarkozy, sans appel d'offres, entre l’Élysée et neuf instituts de sondage, dont la société de conseil Publifact de M. Buisson.
Les révélations des verbatims et extraits audio ont suscité de nombreuses réactions politiques : au micro de France Info, l'ancien conseiller spécial Henri Guaino a dénoncé une « sorte de viol », expliquant ne pas avoir imaginé qu'un conseiller du président de la République puisse « faire une chose pareille. (...) Il y a apparemment des dizaines, des centaines d'heures (d'enregistrement), il faut être malade », a-t-il fulminé.
L'ancien secrétaire général de l'Élysée Claude Guéant s'est dit de son côté « surpris, déçu et choqué ». « C'est pour moi une énorme surprise, je ne m'attendais pas à une chose pareille. Il s'agit d'un procédé incompréhensible et inacceptable », a-t-il déclaré au JDD. Selon l'AFP, François Fillon a, lui, qualifié de « répugnants » les enregistrements. « Inacceptable » et « détestable », a ajouté sur i-Télé le président du groupe UMP à l'Assemblée nationale, Christian Jacob.
Invitée de la matinale de France Inter ce mercredi, la garde des Sceaux Christiane Taubira s'est dite « atterrée », parlant de « déloyauté » et d'une atteinte à « la morale publique » et aux « institutions ». De leur côté, le premier secrétaire du PS, Harlem Désir, et le président du groupe socialiste à l'Assemblée, Bruno Le Roux, dénonçant les « atteintes aux institutions », ont tous les deux évoqués, mercredi matin (sur le site du PS et sur LCP), la possibilité pour leur parti de demander la mise en place d'une commission d'enquête parlementaire.
Patrick Buisson, accusé mi-février par Le Point d'avoir enregistré certaines de ses conversations avec l'ancien président, avait alors indiqué qu'il comptait porter plainte contre l'hebdomadaire. Une plainte maintenue selon son avocat Gilles-William Goldnadel, pour qui l'article du Canard enchaîné « ne change rien à la plainte déposée par Patrick Buisson contre l'hebdomadaire Le Point le 21 février ».
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