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Le procureur financier fait ses premiers pas dans un champ de mines

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Le 4 mai 1999, Élisabeth Guigou inaugurait le pôle économique et financier du tribunal de grande instance de Paris, rue des Italiens, dans les anciens locaux du Monde. Ce jour-là, les deux juges d’instruction en charge de l’affaire Elf, Eva Joly et Laurence Vichnievsky, disputaient à la ministre de la justice les faveurs des photographes. Il s’agissait alors d’afficher symboliquement la volonté du gouvernement Jospin de lutter plus efficacement contre la délinquance en col blanc, cela sans jamais dire un mot des turpitudes du clan Chirac, installé depuis quatre ans à l’Élysée. Depuis lors, le pôle financier a connu des fortunes diverses, et s'est maintenu vaille que vaille.

Le pôle financier, rue des ItaliensLe pôle financier, rue des Italiens

Quinze années après cet événement soigneusement mis en scène, et quelques « affaires » plus tard, Christiane Taubira a honoré de sa présence la cérémonie d’installation du tout nouveau procureur financier, Éliane Houlette, lundi 3 mars au vieux Palais de justice de Paris, sur l’île de la Cité. Une grand-messe comme les magistrats en raffolent, avec des discours consensuels et un brin convenus, prononcés devant un alignement immobile de robes rouges et noires.

Les éminences et les « huiles » étaient de sortie ce lundi. Le procureur général de la Cour de cassation, Jean-Claude Marin, s’est déplacé pour l’occasion, tout comme le président de la toute nouvelle Haute autorité pour la transparence de la vie publique, Jean-Louis Nadal, le directeur général des finances publiques, Bruno Bézard, ainsi que de nombreux magistrats (dont le procureur de Paris, François Molins, le procureur général de Versailles, Philippe Ingall-Montanier, le procureur de Nanterre, Robert Gelli, et les juges parisiens Renaud Van Ruymbeke, Claude Choquet et Roger Le Loire), et encore des responsables du fisc, de la police judiciaire et de la gendarmerie, ainsi que quelques avocats d’affaires dont l'omniprésent Jean Veil.

Lors de son discours, le procureur général de la cour d’appel de Paris, François Falletti, qui a failli être poussé vers la sortie récemment par le ministère de la justice, s’est fait un malin plaisir de remercier Christiane Taubira de sa présence. Surtout, il s’est posé en grand arbitre de la future répartition des dossiers, forcément complexe, qu’il faudra dorénavant effectuer entre le procureur financier, le procureur de Paris, et les huit juridictions interrégionales spécialisées dans la lutte contre la criminalité organisée (JIRS).

Enfin, le procureur général Falletti l'a annoncé avec gourmandise, il ne manquera pas de rendre visite aux magistrats qui travailleront aux côtés d'Éliane Houlette, et de dialoguer avec eux aussi souvent que nécessaire. Un homme décidément irremplaçable.

Le discours d'Eliane Houlette, lundi au tribunal (photo M.D.)Le discours d'Eliane Houlette, lundi au tribunal (photo M.D.)

Prenant la parole à son tour, Éliane Houlette s’est attachée à rassurer la magistrature, guère enthousiaste devant l'apparition de ce nouveau poste qui en concurrence plusieurs autres. Elle a notamment rappelé la nécessité de lutter contre la corruption (qui coûte 120 milliards d’euros à l’Europe), et de combattre la fraude fiscale (qui coûte 60 à 80 milliards d'euros chaque année à la France).

Enfin, pour répondre à tous ceux qui critiquent – au-delà de son cas personnel – le lien qui subsiste entre le parquet et le pouvoir exécutif, le procureur financier a répondu que « l’indépendance est affaire d’état d’esprit, de cœur et de courage ». Une citation que n'aurait pas reniée l'emblématique Éric de Montgolfier, ancien procureur de Nice, aujourd'hui à la retraite.

Du courage, il en faudra forcément au procureur financier, pour mener à bien les dossiers les plus emblématiques du moment, ceux qui ne sont pas les plus faciles à « sortir » (c'est-à-dire à renvoyer devant le tribunal, tout en obtenant des condamnations). Cela même si le ministère de la justice veille discrètement à aider le nouveau procureur financier, et à le promouvoir auprès des médias. Volontaire, Éliane Houlette veut, pour sa part, croire qu’à terme, son équipe deviendra aussi reconnue et légitime que le sont aujourd’hui la section antiterroriste ou le pôle « santé publique » du tribunal de Paris, qui furent critiqués en leur temps.

Reste que la question des moyens n’est pas encore résolue. Pour l’heure, Éliane Houlette ne dispose que de quatre magistrats dans son équipe. Deux autres sont en cours de recrutement (d’après la grande « transparence » nationale du 28 février), et ils devraient être une vingtaine à terme. Mais le procureur financier ne peut pas constituer son équipe à sa guise : c’est le ministère de la justice qui propose les postes à pourvoir au parquet, et les candidatures sont ensuite examinées par le CSM.

Par ailleurs, Éliane Houlette n’est pas une femme de réseaux. Sans préférence politique ou appartenance syndicale connue, cette femme libre n’a pas le profil carriériste et politique des vieux crocodiles de la hiérarchie judiciaire, qui se sont d’ailleurs bien gardés de postuler à un poste aussi exposé. Les recrues, jusqu'ici, sont jeunes ou peu connues.

Christiane TaubiraChristiane Taubira

Pour toutes ces raisons, certains magistrats restent actuellement en poste à la section financière du parquet de Paris, alors que les dossiers qu’ils suivaient viennent de passer chez le procureur financier. Jusqu’ici, deux magistrats de la section financière du parquet de Paris ont été affectés aux côtés d’Éliane Houlette (il s’agit du vice-procureur Patrice Amar, qui a été en poste à l'AMF, et d’Ariane Amson, qui a représenté l‘accusation lors des procès « pétrole contre nourriture » et caisse noire patronale de l'UIMM).

La question des assistants spécialisés, qui devraient être au nombre de cinq, n’est pas non plus tranchée. Ils devraient provenir des services du fisc, des douanes, et de la Banque de France. En revanche, tous les juges d’instruction de la JIRS parisienne sont déjà habilités à travailler avec le procureur financier. Quant au problème des locaux, d’autres services se sont poussés pour faire un peu de place, et le procureur financier et ses troupes s’installent progressivement au pôle financier, rue des Italiens.

Le chômage technique ne la menace pas. Éliane Houlette a déjà plus de 103 dossiers sur son bureau, dont la très grande majorité provient du parquet de Paris. Aux dires de l’intéressée, et selon son voisin et concurrent, le procureur François Molins – qui ne se plaint pas mais fait un peu grise mine –, ce choix s’est fait « en concertation » et « en bonne harmonie ».

Le parquet de Paris a conservé des dossiers « presque achevés » ou « assez simples », explique-t-on, comme l’affaire Karachi, mais aussi les dossiers Tapie, Wildenstein, UBS, Boris Boillon et Dieudonné.

François MolinsFrançois Molins © Reuters

Le procureur financier a, pour sa part, obtenu (outre les dossiers boursiers sur lesquels il est seul compétent) les affaires financières d'une « grande complexité » : Cahuzac, Balkany, Dassault, Guéant, Pérol, Reyl, HSBC, les sondages de l’Élysée et la taxe carbone, qui mêlent pour la plupart fraude fiscale, blanchiment et sociétés-écrans exotiques. Un partage qui a fait l’objet de longues discussions, et qui semble parfois subjectif.

Paradoxalement, alors que l'on pouvait craindre une pénurie d'affaires, certains magistrats se posent aujourd'hui cette question : Éliane Houlette aurait-elle déjà trop de dossiers ? « Si on veut noyer le procureur financier, c’est très simple : il suffit de lui adresser absolument tout ce qui peut être financier, et il ne pourra plus travailler efficacement », avertit un homme du sérail. D’autres critiquent, au contraire, le maintien du fameux « verrou de Bercy », qui permet au ministère du budget de faire son propre tri, et de décider – sans regard extérieur – de ce qui sera transmis ou non à la justice.

Le maintien du lien entre le parquet et le pouvoir exécutif pose, enfin, d’autres questions pour l'avenir. Le président de l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) se dit sérieusement préoccupé par la concentration des affaires les plus sensibles du pays entre les mains du seul procureur financier. « Que se passerait-il si jamais Nicolas Sarkozy était réélu, et qu’il nommait à ce poste un magistrat proche de lui ? » s’inquiète déjà Christophe Régnard.

Au Syndicat de la magistrature (SM, gauche), tout en voulant également rendre le parquet plus indépendant, on milite par ailleurs pour une mesure de type Mani pulite qui aurait un fort impact : le rattachement de la police judiciaire au parquet, ou au moins celui d’un service de PJ auprès du procureur financier. Chiche ?

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