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Frais d'enquête: 34 millions d'euros pour le cabinet du patron de la police en dix ans

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Depuis juin 2013, on savait que Claude Guéant, alors directeur de cabinet du ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy, avait reçu, « à partir de l’été 2002 et au plus tard jusqu’à l’été 2004 », quelque 10 000 euros en liquide par mois, prélevés sur les frais d’enquête et de surveillance (FES) des policiers. Ce qui a valu à l'ancien ministre de l'intérieur ainsi qu'à Michel Gaudin, à l'époque directeur général de la police nationale (et aujourd'hui directeur du cabinet de M. Sarkozy), d’être entendus en garde à vue, le 17 décembre 2013, dans le cadre de l'enquête préliminaire ouverte le 14 juin précédent par le parquet de Paris pour « détournement de fonds publics et recel ».

La facture est en fait bien plus élevée. Selon un référé de la Cour des comptes, rendu public ce 4 mars 2014, ce sont au total 34 millions d’euros de frais d'enquête qui ont été perçus par le cabinet du directeur général de la police nationale entre 2002 et 2012 (où se sont succédé Michel Gaudin, puis Frédéric Péchenard). Quels en ont été les heureux bénéficiaires ? Selon quels critères ? La Cour ne le précise pas, indiquant seulement que l'emploi de ces 34 millions d'euros fut « totalement discrétionnaire ». « Il n'en a été conservé aucune pièce justificative jusqu'en 2011 », précise la Cour.

De façon plus générale, le référé, adressé le 23 décembre 2013 au ministre de l’intérieur Manuel Valls, pointe la nécessité d’une « réforme visant à limiter strictement la circulation d'argent liquide dans la police nationale ». Ces FES, distribués en liquide en redescendant la voie hiérarchique, représentent en effet des sommes colossales : 129 millions d’euros au cours des dix dernières années (allant de 12,97 M€ en 2002 à 10,5 M€ en 2012). La Cour des comptes décrit une « procédure exorbitante du droit commun ».

« Des dotations d'argent liquide sont payées par sept régies placées auprès du directeur général de la police nationale, des directeurs centraux et du préfet de police de Paris, détaille-t-elle. Les personnes désignées pour prendre possession des espèces sont des directeurs et chefs de services centraux, et non les policiers auxquels elles sont destinées. Avant de leur parvenir, l'argent liquide transite entre les mains d'une longue chaîne d'intervenants, gestionnaires centraux et responsables territoriaux. » Ce qui occasionne « l'accumulation, en toute opacité, d'importants reliquats de fonds en liquide au cabinet du DGPN (directeur général de la police nationale) ainsi qu'au niveau des directeurs centraux et de leurs responsables territoriaux ». Bref, des responsables policiers nageant dans l'argent, sans traçabilité, ce qui fait toujours mauvais genre.

Créés par un décret de 1926, les frais d’enquête et de surveillance sont censés couvrir des dépenses « que le fonctionnaire peut être appelé à engager pour l’exécution de la mission qui lui est confiée ». Comme l'avait déjà révélé, en juin 2013, un rapport de l'Inspection générale de l'administration (IGA) et de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), ils sont en fait utilisés pour tout et n’importe quoi. La Cour des comptes tente une liste : primes, frais de représentation des chefs de services, organisation de moments de convivialité, remboursements de frais de déplacement, défraiements de boissons et de repas lors de planques, rémunération d'indics. Dans le plus grand flou comptable : hormis la rémunération des informateurs, encadrée par la loi depuis 2008, « il n'a pas été établi de compte d'emploi de ces sommes en liquide », entre 2002 et 2012, indique la Cour.

Dans sa réponse du 24 février 2014, Manuel Valls souligne que Claude Baland,  son DGPN, « a pris soin dès son arrivée de rompre avec les pratiques antérieures ». À la suite du rapport assassin de l’IGA et de l’IGPN, le ministre de l’intérieur dit avoir mis en place une « traçabilité complète », et interdit l’utilisation des FES pour les primes, les frais de réception et de représentation, ainsi que de fonctionnement courant. Seuls 4,2 millions d’euros de frais ont été distribués en 2013. Une réforme plus globale est en cours de préparation. À terme, le cabinet du DGPN conserverait un montant nécessaire à la « gestion d’une crise d’importance » ou d’une « prise d’otage ».

Michel GaudinMichel Gaudin © Reuters

Arrivant juste après la confirmation, par un rapport de l'IGA, du maquillage massif des statistiques de la délinquance par la préfecture de police de Paris, ce référé tombe au plus mal pour l'ancienne hiérarchie policière sarkozyste. D'après ce rapport, publié le 3 mars 2014, entre 15 000 et 20 000 faits de délinquance se sont purement et simplement volatilisés en 2011 à Paris et dans son agglomération grâce à la seule technique du « déstatage » (délits non enregistrés en statistiques). Les techniques sont connues (requalification des faits en simple contravention, arrêt prématuré de l'enregistrement des plaintes ou même destruction pure et simple), mais leur systématisation à cette échelle est inédite.

« Ces pratiques ont été à partir de 2008 organisées, systématisées et donc pilotées à des fins de minoration des statistiques de la délinquance », dénonce le communiqué de l'IGA. Dans le viseur, bien qu'il ne soit jamais nommé, Michel Gaudin, arrivé à la tête de la préfecture de police de Paris en 2007. Plusieurs des commissaires interrogés font état de consignes venant de la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP). « S’il n’est pas exclu que le DSPAP (directeur de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne) prenait ses instructions en la matière du préfet de police, la mission n’a pas pu l’établir », indique prudemment le rapport.

Et certaines pratiques se sont poursuivies après l'arrivée du préfet de police Bernard Boucault, en juin 2012. Les inspecteurs donnent l'exemple d'un commissariat parisien où, après une explosion, en juillet 2013, de vols à l'arraché de téléphones portables, « il aurait été demandé par la DSPAP de ne plus faire apparaître, lors du dépôt de plainte, que le portable avait été enlevé des mains », afin d'enregistrer les faits comme un simple vol à la tire. Ou encore celui d'un responsable qui a continué à enregistrer, jusqu'en janvier 2014, les tentatives de cambriolage comme de simples dégradations, « pour ne pas faire exploser les chiffres ». En juillet 2013, un autre rapport de l'IGA avait, lui, conclu à la disparition, entre 2007 et 2012, de près de 130 000 faits de délinquance sur l'ensemble du territoire. 

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