Quantcast
Channel: Mediapart - France
Viewing all articles
Browse latest Browse all 2562

Affaire Copé: les mauvais comptes et les bons amis de Bygmalion

$
0
0

Les révélations de l'hebdomadaire Le Point sur la facturation des meetings de la campagne présidentielle arrivent au pire moment pour Bygmalion : depuis plusieurs mois, le groupe est engagé dans une discrète réorganisation, pour se repositionner comme un prestataire de services sans histoires. En vitrine, un nouveau logo et bientôt un nouveau site. En coulisses, surtout, le départ de Bastien Millot, le plus médiatique des deux cofondateurs, mis en cause pour les contrats passés avec l’UMP mais aussi avec France Télévisions, son ancien employeur.

Si l’affaire tombe mal, c’est aussi parce que la situation financière de Bygmalion n’est pas aussi confortable qu’on pourrait le croire. La maison mère et ses filiales n’ont pas publié leurs comptes depuis 2009. Mais selon les chiffres réunis par Mediapart, Bygmalion SAS a enregistré une perte de plus d’un million d’euros en 2012. L’année, justement, où les contrats signés avec l’UMP et la campagne de Nicolas Sarkozy auraient dû gonfler les bénéfices puisque, selon Le Point, l'agence de communication a touché de l'UMP « huit millions d'euros pour avoir organisé les meetings de la campagne 2012 ».

Bastien MillotBastien Millot © DR

La réorganisation a commencé au printemps dernier. Depuis sa création en 2008, Bygmalion était géré par une présidence et une direction générale tournantes entre les deux cofondateurs, Bastien Millot et Guy Alves. Lors d’une assemblée générale le 20 juin, le premier a démissionné de la présidence. Le second l’a logiquement remplacé, mais la direction générale est restée vacante. La démission de Bastien Millot est devenue effective fin août. Il n’est plus désormais que simple actionnaire, avec près d’un quart du capital.

« Mon départ est tout à fait naturel et volontaire », nous assure-t-il. Tout simplement, il n’aurait « pas souhaité devenir directeur général », préférant se consacrer à des « projets personnels ». Sa chronique quotidienne consacrée aux médias sur Europe 1, ses cours à Sciences-Po Paris, et son prochain livre, consacré au « lynchage médiatique » : « C’est vous dire si j’ai été visionnaire. Je rajouterai un chapitre nourri en tant qu’observateur et acteur de la séquence que nous vivons. »

Bygmalion traversait déjà une période difficile lorsque Bastien Millot a démissionné. Depuis l’automne 2012 et la bataille pour la présidence de l’UMP, les fillonistes dénonçaient le nombre et le montant des contrats conclus par le parti avec la société de Bastien Millot et Guy Alves, tous deux anciens collaborateurs de Jean-François Copé. En cause : l’organisation de meetings (via la filiale Event & Cie), mais aussi des missions de conseil ou encore des sessions de formation des élus (avec la filiale Doxeo).

C’est ensuite la justice qui s’est intéressée à Bygmalion. En avril 2013, le parquet de Créteil a ouvert une enquête préliminaire sur les contrats passés par la ville de Saint-Maur-des-Fossés avec Ideepole, la filiale chargée notamment des activités print pour les collectivités locales (journaux municipaux, guides...) : un opposant local soupçonne un trop-perçu de 250 000 euros pour des guides commandés, mais non réalisés. Et en juin, le juge Renaud Van Ruymbeke a été chargé d’une information judiciaire sur des soupçons de favoritisme à France Télévisions. Parmi les prestataires visés, Bygmalion. En 2005, Bastien Millot avait quitté le cabinet de Jean-François Copé au Budget pour devenir directeur délégué à la stratégie, à l’innovation et à la communication du groupe public.

Deuxième étape de la réorganisation de Bygmalion : cet automne, Guy Alves a finalement recruté un nouveau directeur général. Un gestionnaire sans passé politique ni casseroles, mais aussi sans expérience dans la communication, Richard Gibeaud. Ce dernier a fait carrière dans l’alimentation (chez le grossiste Transgourmet), puis dans la construction navale (comme directeur général des chantiers Alumarine). « Je ne cherchais pas un communicant, mais un directeur général de groupe, un patron de boîte opérationnel », justifie Guy Alves. Basé à Cannes, Richard Gibeaud doit notamment développer la clientèle dans les régions PACA et Rhône-Alpes. Loin de Paris et des affaires.

La prochaine étape sera-t-elle la cession des parts détenues par Bastien Millot, complétant l’abandon de ses fonctions de direction ? L’opération serait « en train d’être faite », selon Guy Alves. « Je reste actionnaire, nuance de son côté Bastien Millot. C’est peut-être un souhait émis par mon associé de faire entrer de nouveaux actionnaires, et alors il est possible que je vende une partie de mes actions. »

© Reuters

Le sujet est sensible. Jusqu’aux révélations du Point, Bygmalion était resté très discret sur ses actionnaires. Et en particulier sur le principal d’entre eux, le banquier Emmanuel Limido, qui a financé le développement du groupe. Guy Alves le connaît bien : en 2006, il avait lui aussi quitté le cabinet de Jean-François Copé au Budget, pour rejoindre la Financière Centuria, dirigée par Emmanuel Limido. Il y avait été recruté comme directeur du développement et des partenariats public-privé.

La société, rebaptisée depuis Centuria Capital, est notamment l’intermédiaire en France de la Qatar Islamic Bank. C’est ainsi elle qui a négocié le rachat à l’État par la banque qatarie du centre de conférences internationales Kleber, en 2007.

Selon Le Point, Jean-François Copé, ministre délégué au budget à l’époque, avait « donné son feu vert à l’opération ». Le président de l’UMP dément. Il assure que le dossier avait été entièrement traité par France Domaine, le service de Bercy chargé de l’immobilier de l’État.

C’est par sa holding personnelle domiciliée au Luxembourg, Paris Luxembourg Participations, qu’Emmanuel Limido a financé Bygmalion. Cette holding est notamment propriétaire à 100 % de Centuria Capital, et depuis avril 2013, de l’AJ Auxerre.

Guy Alves siège d’ailleurs désormais au conseil d’administration du club de football, et mise lui aussi beaucoup sur le sport pour développer sa propre société. En décembre, Bygmalion s’est doté d’une filiale spécialisée, B4 Sports.

La construction de Bygmalion, financée par Emmanuel Limido, s’est opérée en deux temps. La société est créée en octobre 2008, avec pour seuls actionnaires Guy Alves et Bastien Millot, qui apportent chacun 18 500 euros. Leur véritable objectif : le rachat au communicant Patrick Dray de la société Ideepole, travaillant déjà, entre autres, pour des collectivités locales de droite ou des personnalités politiques, dont Jean-François Copé. L’acquisition sera financée par des obligations transformables en actions, pour 1,5 million d’euros.

Dès le début du mois de décembre 2008, l’opération de rachat est bouclée, financée pour l’essentiel par Emmanuel Limido. Un fonds de private equity français, Agregator Capital, apporte le complément. Et lorsque l’emprunt se transformera en augmentation de capital, Paris Luxembourg Participations deviendra le premier actionnaire de Bygmalion, avec 44,82 % de la société. Bastien Millot et Guy Alves n’en contrôlent plus que 23,86 %. Mais ils ont réalisé une bonne opération : dans les comptes de leurs sociétés personnelles respectives, BM Consulting et AMM Participations, cette participation dans Bygmalion est évaluée à 436 000 euros, plus de vingt fois la mise de départ.

C’est dans les comptes de ces sociétés personnelles et de la holding luxembourgeoise qu’il faut chercher les indices sur les résultats de Bygmalion. La maison mère et ses filiales restent en effet très discrètes sur leurs comptes, qu’elles ne déposent pas au greffe du tribunal de commerce. Une discrétion partagée par tous les acteurs de la communication, se justifie Guy Alves : « Ce sont des données concurrentielles. » Tout juste assure-t-il qu’il n’a « jamais versé un euro de dividende à [ses] actionnaires », et que son salaire est « celui d’un patron de PME ».

Il faudrait donc se contenter des chiffres de 2009, la première année d’exercice de Bygmalion, et la seule où elle a accepté de déposer ses comptes. Cette année-là, la jeune Bygmalion SAS annonçait déjà un chiffre d’affaires de 2,8 millions d’euros, pour un modeste bénéfice de 37 000 euros. Selon les chiffres réunis par Mediapart, l’activité a ensuite continué à progresser, mais le résultat net a suivi une tendance inverse. Jusqu’à plonger franchement dans le rouge.

En 2011, le chiffre d’affaires de Bygmalion SAS avait grimpé à 3,5 millions d’euros, révèlent les comptes de la société gérant la participation de Guy Alves. Le bénéfice, lui, était en revanche descendu à 11 625 euros. Un an plus tard, surprise. Au détour des comptes de la société de Bastien Millot, on découvre que Bygmalion SAS aurait déclaré une perte de 1,133 million d’euros pour 2012. Impossible en revanche de connaître le chiffre d’affaires réalisé cette année-là, celle de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy et des fameux meetings facturés à l’UMP. Selon Le Point, le parti a donné huit millions d'euros à Bygmalion pour ces prestations.

Interrogé sur ces chiffres, Guy Alves refuse de « les confirmer ou les infirmer ». Le président de Bygmalion évoque simplement « une croissance ambitieuse » et des contraintes classiques dans le secteur du conseil et de la communication : « Quand on a créé la boîte, on avait plus de collaborateurs que de clients […]. J’ai monté une filiale dans le sport il n’y a pas longtemps, je suis donc obligé d’acheter des compétences. »

Le choix des « compétences », c’est aussi ce qui distingue Bygmalion. Le groupe, qui emploie selon Guy Alves « une trentaine de salariés », a largement recruté à l’UMP. Ainsi, sur la soixantaine d’anciens ou actuels collaborateurs de Bygmalion ayant publié leur CV sur les réseaux sociaux professionnels LinkedIn et Viadeo, quatorze avaient travaillé au préalable au siège du parti, dans des cabinets ministériels de droite, au groupe UMP à l’Assemblée nationale lorsque Jean-François Copé le présidait, ou comme assistants de députés UMP.

À lire ces CV, Bygmalion pourrait passer pour une agence de reclassement des petites mains de l’UMP. Plusieurs stagiaires du groupe à l’Assemblée nationale ou de la direction de la communication du parti ont ainsi décroché leur premier emploi chez Bygmalion, comme consultants ou commerciaux. Une « assistante chef de projet » au Premier Cercle, la structure du parti chargée des donateurs les plus fortunés, a été recrutée comme « chargée de communication ». Parmi les recrues également, une ancienne attachée de presse de Michèle Tabarot, alors présidente de la commission des affaires culturelles à l’Assemblée, ou encore deux collaborateurs d’Yves Jégo, après son départ du secrétariat d’État à l’outre-mer.

Guy Alves et Bastien Millot ont aussi recruté chez leurs anciens collègues des cabinets ministériels de Jean-François Copé. Salarié de Bygmalion jusqu’à l’été dernier, Julien Massiat avait ainsi été successivement, de 2002 à 2007, conseiller technique, chef adjoint puis chef de cabinet du futur président de l’UMP dans ses ministères successifs. Il l’a ensuite suivi au groupe UMP à l’Assemblée nationale, comme directeur de cabinet, puis comme secrétaire général de la commission créée par Jean-François Copé pour réfléchir à une « nouvelle télévision publique », en 2008.

« J’ai eu envie de quitter la politique en 2008 et de me mettre à mon compte, raconte Julien Massiat. Ce n’était pas simple. En 2010, Guy Alves et Bastien Millot m’ont appelé pour organiser et diriger leur pôle conseil. » Il s’est finalement remis à son compte en 2013, mais cela n’aurait aucun rapport avec un éventuel changement d’ambiance à Bygmalion : « J’ai passé de belles années chez eux, mais je pensais en avoir fait le tour. »

L’ancienne conseillère parlementaire de Jean-François Copé aux relations avec le Parlement, Audrey Liny, a également fait un passage comme consultante chez Bygmalion, dont elle connaissait déjà bien un des clients. Elle venait de quitter la direction de la communication de la mairie de Saint-Maur-des-Fossés. Autre "Copé boy", Bertrand Lesain a lui aussi travaillé pour Jean-François Copé aux relations avec le Parlement, puis à la communication de la ville de Meaux. Responsable des activités de formation à Bygmalion, il a démissionné pour diriger la campagne de Nathalie Kosciusko-Morizet dans le XIVe arrondissement de Paris. Bastien Millot y voit justement un contre-exemple démontrant que Bygmalion ne peut pas être décrit comme une officine copéiste : « Est-ce que NKM est une amie de Jean-François Copé ? Et il ne vous aura pas échappé que j’étais proche d’une autre candidate [Bastien Millot est un ami de la socialiste Anne Hidalgo, mais assure ne pas travailler pour elle, ndlr]. »

© Reuters

Guy Alves dément lui aussi la sur-représentation de militants UMP et de copéistes à Bygmalion. « Au départ, vous recrutez des gens que vous connaissez et qui vous font confiance », explique-t-il. « On est aussi allé chercher des gens qui n’étaient pas dans le milieu politique. D’ailleurs, 80 % de ces gens [venus de la politique, ndlr] sont partis et ont été remplacés par d’autres profils. » Recruter dans les cabinets ministériels, au Parlement ou dans les collectivités locales serait même contre-productif : « Nous ne sommes pas un cabinet de lobbying, mais les gens ont vu le profil de nos collaborateurs et ont pu se dire qu’on en était un, cela faisait moins de sollicitations pour la com’. »

Un autre ancien de Bygmalion est lui aussi bien connu de l’UMP – mais pour des raisons bien différentes. Amine Bénalia-Brouch est le militant auvergnat qui, en 2009, s’était attiré la fameuse remarque de Brice Hortefeux (« Quand il y en a un, ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes. »). Il avait ensuite quitté l’UMP et, fin 2010, publié un livre accusateur, Confessions d’un sarkozyste repenti.

C’est le hasard qui l’a conduit à Bygmalion, explique-t-il : « Pour mon livre, j’étais à Europe 1 et j’ai croisé Bastien Millot. J’ai discuté avec lui, il m’a dit que c’était bien que je dise ma vérité, il m’a trouvé très posé. Je me lançais en auto-entrepreneur dans la communication, et il m’a dit qu’il avait un poste chez Ideepole. » De janvier à mai 2011, Amine Bénalia-Brouch a donc travaillé en auto-entrepreneur sur les catalogues de l’Onisep, un des clients historiques de la société. « Ça n’a rien à voir avec l’UMP, assure-t-il. Je ne m’entendais ni avec Hortefeux, ni avec Édouard Courtial, ni avec Copé, à qui j’en ai mis plein la gueule sur le plateau du Grand Journal. J’ai quitté l’UMP et je ne suis pas près d’y revenir. »

Bygmalion ne s’est pas contenté de recruter à l’UMP. Au moins quatre de ses cadres ont travaillé à France Télévisions avec Bastien Millot. Comme Nicolas Chadeville, directeur du marketing et du développement du « pôle digital » de Bygmalion, ancien de la direction de la communication du groupe public. Ou Sébastien Borivent, ancien secrétaire général de France Télévisions Distribution, devenu directeur général adjoint de la société de Bastien Millot et Guy Alves en 2009. Le monde de Bygmalion est décidément petit.

BOITE NOIREFrançois Krug est journaliste indépendant, ancien journaliste à Rue89.com.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : GooglePlay Downloader 0.5


Viewing all articles
Browse latest Browse all 2562

Trending Articles