« Je suis un vert modéré. » Pendant sa campagne de la primaire, Arnaud Montebourg avait séduit nombre d'écologistes qui avaient voté pour lui. À côté de la démondialisation, il témoignait à l'époque de sa conversion écolo après sa rencontre avec Al Gore et la lecture de penseurs tels que « Patrick Viveret, Herman Daly, Tim Jackson ». Deux ans et demi plus tard, le ministre du redressement productif est pourtant devenu la bête noire des écologistes.
Au-delà des piques médiatiques et tactiques, le ministre assume de profonds désaccords : sur le nucléaire qu'il défend, sur les gaz de schiste dont il espère une extraction « propre », et sur les permis miniers. « Nous n'avons pas la même conception de l'écologie », rétorque Montebourg, persuadé que ces plans industriels feront plus pour la transition énergétique que n'importe quelle autre politique. Mais sur la future loi de transition énergétique, en cours de discussion au gouvernement, l'affrontement avec Europe Écologie-Les Verts semble inévitable. « Je n'ai pas l'idéologie des chiffres », affirme le “MRP” à propos de l'objectif de 50 % de nucléaire d'ici 2025.
Depuis votre arrivée à Bercy comme ministre du redressement productif, vous avez passé beaucoup de temps à essayer d’endiguer la fermeture d’entreprises. Vous dénoncez souvent les prix de l’énergie qui fragilisent l’industrie française. La crise violente que subit la France rend-elle impossible toute transition écologique de l’économie ?
Non, pas du tout. Il est parfaitement possible de réindustrialiser ce pays en s’appuyant sur la transition écologique et énergétique. Parce que la transition écologique est aussi la recherche de la sobriété énergétique, fondamentale en ce temps de cherté de l’énergie. Et parce que les efforts d’économies d’énergie permettent de faire émerger une nouvelle offre industrielle.
La France est en pleine crise de compétitivité car les coûts de production font aujourd’hui l’objet d’une redistribution des cartes géopolitiques. Le coût du travail augmente dans les pays émergents et se modère dans les pays industrialisés. Le coût de l’énergie monte dans les pays émergents et baisse dans certains pays comme les États-Unis à cause de la révolution du gaz de schiste. Le prix de l’énergie est donc tout aussi important à surveiller que le prix de l'accès au capital et que le coût du travail, pour retrouver les 750 000 emplois industriels détruits pendant la crise.
D’ailleurs, sur les 34 plans de la nouvelle France industrielle présentés par mon ministère (à l’automne, ndlr), 16 visent à construire une offre industrielle de nature écologique, en atteignant la sobriété énergétique. La crise est en réalité un accélérateur de mutation écologique, si nous savons ne pas nous tromper de combat.
Qu’est-ce que se tromper de combat ?
Il ne faut pas se cantonner à des dogmes en employant des anathèmes. Il faut au contraire utiliser pragmatiquement la situation économique difficile dans laquelle nous sommes pour utiliser les ressources que l’écologie peut offrir.
Quels sont ces « dogmes » que vous dénoncez ?
Par exemple l'anathème contre le nucléaire. Se consacrer à le démanteler totalement serait une erreur car la lutte contre les émissions de CO2, responsables du réchauffement de la planète et du dérèglement climatique, doit rester le centre de notre politique. C’est ce que nous faisons en Europe, c’est l’objet de la conférence de Paris sur le climat de 2015 et c’était au cœur des discussions avec le président Obama. C’est notre urgence, notre préoccupation et notre priorité.
Le gouvernement ne veut pas démanteler tout le secteur nucléaire…
Bien sûr que non mais certains luttent en permanence contre le nucléaire. Or c’est ce qui nous permet de financer la transition énergétique. On ne peut pas être dans l'équation impossible – comme dirait Nicolas Hulot – du ni-ni, ni CO2, ni nucléaire. Il faut choisir d'accepter l'un des deux.
Pourquoi ? Le nucléaire coûte cher.
Non, le nucléaire est aujourd'hui avant tout une rente. C'est une énergie pas chère, disponible pour la compétitivité, et qui nous permet de financer les hausses de prix liées aux énergies renouvelables aujourd'hui encore trop coûteuses. On a besoin d’énergie pas chère pour compenser le développement des autres encore trop chères.
Les Allemands ferment les centrales nucléaires depuis Fukushima mais ils ont dû rouvrir les centrales à charbon. Et ils sont de la sorte devenus les premiers pollueurs européens ! Il faut donc plutôt trouver les moyens de baisser les coûts de l’énergie renouvelable pour la rendre accessible à tous, tout en déployant de gros efforts sur les économies d'énergie. C’est précisément tout mon travail industriel.
Dans vos 34 plans industriels, lancés en septembre, près de la moitié porte sur la transition écologique. Mais les discours qui ont accompagné leur lancement l’ont très peu dit. Pourquoi ? Est-ce un manque de conviction ?
En aucun cas ! La transition énergétique et écologique est au cœur de l’innovation industrielle et technologique. Elle l’est dans la société et elle l’est au gouvernement. Nous avons une politique industrielle écologique. Et je ne parle pas de discours mais d’actes. C’est beaucoup mieux !
Nous avons lancé le plan du véhicule à moins de 2 litres au 100 – un prototype sera exposé au Mondial de l’automobile cette année. Nous avons aussi décidé de créer un opérateur national unique pour installer 16 000 points de recharge environ pour les voitures électriques, soit 180 en moyenne dans chaque département, hors région parisienne. La loi devrait être votée en mai.
Je peux aussi citer l’avion électrique dont le prototype sortira dans quelques semaines, notre feuille de route sur l’hydrogène pour mieux stocker l’énergie et faire baisser le prix des renouvelables, également notre programme sur le navire écologique avec STX pour diminuer de 50 % l’usage d’hydrocarbures comme moyen de propulsion et rendre plus performante la flotte de pêche française ; le TGV du futur qui prévoit cette année 20 % d’énergie en moins pour environ 2 % de passagers en plus… Nous avons engagé un chantier gigantesque en faveur de l'écologie industrielle.
Pourquoi ni le pacte de compétitivité de l’an dernier (CICE) ni le « pacte de responsabilité », annoncé par François Hollande le 14 janvier, ne conditionnent les allègements de charges à des innovations écologiques ou des objectifs de réduction de la consommation d’énergie ?
Parce que cela ne serait pas réaliste. Si vous conditionnez une politique qui concerne toute l’économie à des politiques sectorielles, vous risquez de tuer vos objectifs politiques de compétitivité, car nul ne s'en servira.
Pourquoi ?
Parce que cela ne marche pas comme cela ! Dans le domaine des énergies renouvelables, il faut d’abord que nous parvenions à avoir une offre industrielle innovante avant de stimuler la demande. Des milliards ont été investis par l’État pour installer des panneaux photovoltaïques et ils ont fait la fortune de l’industrie chinoise ! Quant à la nôtre, elle a fait faillite ! Il faut donc construire une offre industrielle performante et compétitive, puis une demande autour de cette offre.
Il en est ainsi particulièrement dans la rénovation thermique des bâtiments, un de mes autres plans industriels dans lequel nous cherchons à augmenter l'efficacité thermique des matériaux si l'on veut que nos concitoyens envisagent d'investir dans la baisse de leur facture énergétique.
Delphine Batho a vivement dénoncé le poids des lobbys en quittant le ministère de l’écologie. Partagez-vous son point de vue ? Les lobbys de l’énergie ou de grands groupes français vous contraignent-ils dans votre action ?
Je ne vois pas le débat se structurer de cette manière. Nous avons des intérêts nationaux qui parfois s'écartent mais parfois coïncident avec des intérêts d’entreprises. Moi je regarde d’abord l’intérêt de notre pays. Clairement, c’est de garder le nucléaire. Parce que tout le monde nous l’envie et que nous l’exportons avec succès en Grande-Bretagne, en Finlande, en Chine, en Turquie… La France serait beaucoup plus pauvre si elle n’avait pas su créer cette industrie. C’est notre intérêt national bien compris.
Par ailleurs, bien entendu, il y a des gens qui défendent les intérêts d’entreprises. C’est toujours le cas et dans tous les domaines ! Parmi eux, certains sont aussi des alliés de l’intérêt national. C’est le cas dans la rénovation thermique des bâtiments comme dans le nucléaire. En revanche, l’industrie pétrolière ne me paraît pas être une alliée, et nous nous affrontons beaucoup. Je lui ai déjà reproché de délocaliser beaucoup d’installations de raffinage et de défendre obstinément la fracturation hydraulique sale pour les gaz de schiste telle qu’elle existe aux États-Unis d’Amérique et que nous refusons en France.
Oui, notre intérêt national peut diverger d’intérêts privés. Mais l’analyse qui se réduirait à la paranoïa des lobbys me paraît être une erreur. La démocratie ne se résume pas à des intérêts qui s’affrontent – il y a aussi l’intérêt national qui est capable de rassembler les forces productives.
En ce moment, toute notre industrie pétrochimique, malgré le sauvetage de Kem One, est menacée par la révolution du gaz de schiste. Elle représente tout de même 400 000 emplois ! Alors on peut décider de la laisser partir et de fermer aussi le nucléaire, qui représente lui aussi 400 000 emplois, mais cela représente déjà 1 million d’emplois…
Mais les écologistes chiffrent à un million les emplois qui peuvent être créés par la transition écologique !
Mais je crois qu'on peut avoir les deux !
Ce n’est pas contradictoire ?
Non, pas du tout. C’est même complémentaire : les transitions se préparent pour justement qu'elles se passent sans heurt. On peut garder le nucléaire qui va permettre de financer la transition écologique sans rouvrir les centrales à charbon, comme en Allemagne. Une transition qui sacrifierait l’un à l’autre serait une impasse.
Pourquoi l’écologie devrait-elle toujours signifier destruction ? L’écologie, c’est au contraire une construction. Il faut garder nos outils de production et chercher à en créer de nouveaux qui les compléteront.
Mais toutes les révolutions industrielles ont conduit à remplacer des activités par d’autres…
Oui, mais cela se fait naturellement et progressivement… Quand on décide de fermer une industrie rentable et qui n'aggrave pas le réchauffement climatique, on prend un risque absurde ! Je prône une écologie constructive pour bâtir les nouvelles filières plutôt que détruire ce qui marche.
Baisser la part du nucléaire de 75 % à 50 % d'ici 2025 revient forcément à détruire de la valeur. Partagez-vous cet objectif ?
Je n’ai pas l’idéologie des chiffres mais il est normal de faire monter la part des énergies renouvelables dans notre bouquet énergétique. Elles ne comptent aujourd’hui que pour 13 %.
Mais c’est le président de la République qui a « l’idéologie des chiffres » : cet objectif est le sien !
Pourquoi jouez-vous toujours à opposer les uns aux autres ? Ce qui est certain, c'est que le président de la République est, lui, soucieux d’écouter les uns et les autres et qu'il fera les bons choix pour la France.
Pour baisser la part du nucléaire, il y a deux scénarios possibles : fermer les centrales et baisser la consommation ; ou bien ouvrir de nouveaux réacteurs avec une hausse prévisible de la consommation prise en charge par les renouvelables.
Je vous l’ai dit, notre horizon doit être celui d’une société plus sobre en énergie tout en assurant la compétitivité de nos entreprises. L’équation est complexe.
Vos relations avec les écologistes sont très mauvaises. Pendant la primaire, une partie d’entre eux avaient pourtant voté pour vous. Vous vous disiez alors « vert modéré », « parfaitement en accord avec un grand nombre de propositions des Verts ». Vous défendiez un « protectionnisme vert et partagé ». Vous avez changé d’avis ?
Non, je reste un vert modéré et pragmatique.
Mais comment expliquez-vous que vous passiez aujourd’hui pour le ministre le plus anti-écolo du gouvernement ?
Il y a à l’évidence un malentendu. L’essentiel de ma politique d’innovation industrielle est écologique ! Défendre le nucléaire dans notre pays, c’est précisément permettre la réussite de la transition énergétique. Si certains pensent que le nucléaire est l’ennemi à abattre, ils se trompent de combat.
Sur le nucléaire, vous n’avez jamais changé d’avis. Par contre, sur les gaz de schiste, votre discours n’est plus du tout le même que durant la primaire.
Les gaz de schiste sont un grave problème quand on utilise la fracturation hydraulique avec de l'eau et des produits chimiques qui polluent irrémédiablement les sous-sols. Je n'ai pas changé d'avis sur ce choix. Dois-je rappeler que j'ai voté sans regret la loi (de 2011, ndlr) interdisant la fracturation hydraulique ?
Et pas avec le fluoropropane ?
Je n’en suis pas là. Il est nécessaire de faire progresser la recherche et l'intelligence collective. Nous ne pouvons que combattre la pollution. Mais notre position sur les gaz de schiste ne doit pas être pour autant dogmatique : le débat, ce n’est pas être pour ou contre les gaz de schiste mais pour ou contre la pollution de ses conditions d'extraction.
Si on parvenait à une technique propre d’exploitation, on pourrait créer des centaines de milliers d’emplois et substituer le gaz aux hydrocarbures que nous importons. Cette révolution a permis aux États-Unis d’Amérique d’économiser 400 millions de tonnes de CO2 et de revenir 22 ans en arrière dans leur niveau d’émissions, en remplaçant le charbon par le gaz.
Oui, mais avec une technique que vous décrivez vous-même comme polluante !
Certes. Mais il faut distinguer la technique d’extraction et le résultat sur le bouquet énergétique. Les gaz de schiste permettent de réduire drastiquement les émissions de CO2. Nous pourrions ainsi accélérer la substitution des hydrocarbures et financer nos énergies renouvelables dont le prix est très élevé. Pour moi, l’industrie et l’écologie ne sont pas des ennemies. Bien au contraire il nous faut les marier d'urgence !
Ce n’est pas le seul sujet qui vous oppose aux écologistes. Depuis votre arrivée à Bercy, il y a eu plusieurs batailles autour de permis miniers. Il y a une semaine, vous avez présenté la nouvelle politique minière en France et vous venez d’octroyer les premiers permis pour exploiter de l’or et de l’argent depuis vingt ans, malgré la protestation d’associations environnementales.
Tout a été fait conformément à la loi. Nous voulons améliorer le code minier pour permettre une meilleure concertation. Et nous créons une compagnie nationale publique pour reprendre une activité minière abandonnée en métropole, dans les territoires d’outre-mer et dans le reste du monde. C’est le retour de la puissance publique dans ce secteur. C’est tout à fait compatible avec les enjeux écologiques et éthiques. Je pense même que cette société publique peut nous faire progresser sur ces deux plans.
Pour moi, l’écologie, ce n’est pas le sous-développement, c'est une autre forme de développement. Ce n’est pas l'immobilisme ni le conservatisme, c'est l'innovation technologique au service de la planète. L’écologie, selon certains, c’est le principe de Nimby (« Not In My BackYard », ndlr) : c’est pas d’autoroute, pas de centrale, pas de voie ferrée chez soi mais toujours chez les autres. Je ne partage pas cette conception peu constructive et peu progressiste de l'écologie.
Mais les écologistes défendent le transport ferré !
Dans ma région, ils sont tous contre le TGV. Quand on y a mis des éoliennes, on a même trouvé des associations écologistes qui étaient contre les éoliennes. Et si vous faites une centrale photovoltaïque, vous en trouverez aussi ! Certains écologistes extrémistes veulent tout figer. Il faut au contraire un mariage entre la performance économique, l’innovation technologique et la transition vers un autre modèle. Il y a de nombreux écologistes qui partagent ce point de vue.
Mais les écologistes qui ont fait de moi leur tête de Turc se trompent de combat. Je suis un des ministres qui fait concrètement le plus progresser l'écologie. C'est à n'y rien comprendre.
Vous avez des désaccords importants. Sur le nucléaire, sur les gaz de schiste, sur les permis miniers, etc.
Nous n'avons pas la même conception de l'écologie, je ne crois pas dans une conception univoque de l'écologie qui ne pourrait faire l'objet d'aucune discussion. L’écologie se construit à plusieurs. Personne n’en a le monopole. C’est un enjeu si important qu’il doit être partagé par toute une société. D’où la bêtise de cette incompréhension.
Mais même avec le ministre de l'écologie Philippe Martin, vous avez des relations difficiles.
Ce sont des ragots car c'est un ami formidable et de longue date.
Sur le fond, vous avez eu des divergences.
Lesquelles ?
Sur les gaz de schiste ou sur les permis miniers.
Oui, c’est normal mais nous les surmontons.
Les écologistes théorisent depuis longtemps une rupture à gauche entre les productivistes et les écolos. Pensez-vous que ce soit une ligne de partage pertinente ? Ou bien que ce soit plutôt entre protectionnistes et libre-échangistes ?
Je ne crois pas qu’il y ait de clivages entre les écologistes et les productivistes – j’en suis un. Parce que c’est par la production, par une nouvelle offre industrielle sobre en énergie qu’on changera les comportements et la société.
Vous vous revendiquez aujourd’hui comme productiviste. Mais dans votre livre Des idées et des rêves, vous disiez l’inverse en écrivant : « Notre modèle de civilisation, fondé sur le productivisme et une conception de l’homme affranchi de la nature, est exténué. »
On peut avoir un modèle productiviste respectueux de l’écologie.
Vous avez changé d’avis…
Vous jouez sur les mots. Dans le même livre, je parle du renouveau productif ! Le sens que je donne au mot productiviste, c’est la défense de la production de Maurice Thorez en 1945 après la guerre où il a fallu construire une nouvelle industrie. Nous n'avons pas connu la guerre, mais la crise et ses dégâts considérables. Il faut à nouveau construire une nouvelle industrie. Comme à l’époque, on se retrousse les manches ! Les productivistes et les écologistes sont mariables, et je les marie tous les jours au ministère. Pour moi, le clivage fondamental, c’est au contraire la finance contre l’industrie et la production.
BOITE NOIREL'entretien a eu lieu mercredi 19 février, avant les tensions suscitées par les récents propos de Cécile Duflot et par la manifestation de Notre-Dame-des-Landes. Arnaud Montebourg avait souhaité le relire (c'est le cas de l'écrasante majorité des responsables politiques). Les allers-retours ont pris huit jours. Le texte a été amendé, notamment pour la partie concernant la transition énergétique, actuellement en préparation au gouvernement.
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Vous êtes sous contrôle