Dans son approche, Pierre Gattaz s'avance avec une équation très simple, du genre « deux et deux font quatre ». Une analyse purement comptable qui le conduit à réclamer l'abolition du régime des intermittents du spectacle, parce qu'il est déficitaire.
A priori, le raisonnement du président des patrons est implacable. On dirait un constat de la Cour des comptes. Il s'impose par son bon sens, et impose le silence dans les rangs. Chaque année, le statut particulier des intermittents coûte un milliard à l'Unedic, et la réforme de 2003, qui a durci les conditions d'accès, n'a pas arrangé les choses. Pourquoi les entreprises qui ne travaillent pas dans le spectacle, et pourquoi les salariés qui ne sont pas des artistes devraient-ils continuer à financer un régime de chômage dont ils ne profitent pas ?
« Deux et deux font quatre », mon cher Watson, il faudrait donc le liquider au nom de l'équité, et de la saine économie.
Le problème, c'est que si la France se distingue de ses voisins en assumant ce coûteux régime spécial, elle se différencie aussi par une autre originalité, tout aussi exceptionnelle. Quel pays peut se flatter de proposer la même densité culturelle ? Qui peut offrir ce panel de festivals qui fait courir la planète, et provoque des retombées directes et indirectes impossibles à calculer. Est-ce qu'Avignon serait Avignon si chaque été, attirés par deux mille spectacles, la population de la ville n'était pas multipliée par trois ? Est-ce que le chiffre d'affaires des commerçants, des restaurateurs, des hôteliers, des entreprises en général, serait le même, est-ce que la réputation de la ville, son image, son attractivité, donc ses rentrées, ne sont pas dopées par cet événement qui ne doit rien à deux et deux font quatre.
C'est que derrière le constat que le Medef met en avant se cache en fait une approche politique. Elle se réclame de l'arithmétique mais carbure à l'idéologie. Elle dit que chaque ligne du budget doit s'équilibrer toute seule, en ne devant rien à la voisine et en ne lui rendant rien. Le routier doit payer pour sa route, le train pour le train, le malade pour sa maladie, le bossu pour sa bosse, et l'artiste pour son art. Pas de midi collectif dans cette copropriété, mais des soleils personnels, ou des orages privatifs. Le déficit du régime des intermittents devrait être regardé en fonction de sa statistique, et non pas en relation avec les retombées d'une activité excédentaire, qui rapporte au pays, donc à nous tous, davantage que l'industrie agroalimentaire… Chacun pour soi et Dieu pour tous…
Pour appuyer sa démonstration, Pierre Gattaz, d'ailleurs contredit par Laurence Parizot, dégaine encore un argument massue. Il y aurait des intermittents qui seraient à l'art ce que la sieste est à l'effort. Des malins, qui abuseraient du système pour se gaver à ses frais. Et c'est vrai, ils existent ici et là, nous en avons rencontré.
Mais c'est là que commence le second mystère du phœnix du Medef. Ou bien il considère que tout système sécrète ses abus, qu'il faut les réprimer, mais ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain, ou bien, dans un élan purificateur, ce Robespierre du gaspillage aurait l'idée que toute organisation nourrissant des parasites sur sa périphérie doit être supprimé. Dans ce cas, nous ne sommes pas sortis de l'auberge…
Si Gattaz continue de réclamer la suppression de tous les intermittents au nom des quelques-uns qui abusent de la princesse, sa croisade ne s'arrêtera plus. Elle s'étendra à toute la société. Par exemple, choqué par les PDG qui quittent leur entreprise déficitaire avec de scandaleux parachutes en or – il en existe en France –, le patron du Medef, cohérent avec lui-même, exigera avant longtemps qu'on liquide le patronat.
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