Quantcast
Channel: Mediapart - France
Viewing all articles
Browse latest Browse all 2562

Ukraine : l'Europe en son miroir tragique

$
0
0

 

Le miroir fait d'abord baisser les yeux : pendant qu’on meurt à Kiev, on se prend le pouls à Bruxelles… Faut-il agir ? Comment agir et qui doit monter en ligne ?

Mercredi, Angela Merkel et François Hollande, « choqués par les images », avaient lancé l’idée de mesures de rétorsion contre les dirigeants ukrainiens. Ce jeudi matin, Jean-Marc Ayrault souhaitait que « des décisions fortes de sanctions graduelles soient prises ». En début d’après-midi, Mme Merkel téléphonait à Victor Ianoukovitch pour lui demander d’accepter une médiation, puis vers 16 heures le ministre des affaires étrangères français, Laurent Fabius, et ses homologues polonais et allemands quittaient le palais présidentiel pour rencontrer les leaders de l’opposition.

La suite dira si ces interventions suffiront à répondre à l’emballement, mais le premier miroir montre déjà, jusqu’à la caricature, une Europe sans diplomatie. Il existe en théorie une patronne pour la politique étrangère : elle s’appelle Catherine Ashton, elle est la femme politique la mieux payée du monde, environ 33 000 euros par mois, mais son rôle est de n’en avoir aucun et de se taire. Les États montent au créneau, avec des alliances à géométrie variable, en fonction des événements, ce qui prend un temps névralgique, et provoque des pourparlers sans fin. On assiste, dès que se déclare un incendie, à des colloques de pompiers. Ce que l’Europe peut contempler à Kiev, une fois encore, c’est sa propre impuissance.

Le deuxième miroir, peut-être encore plus consternant, c’est qu’à trois heures de Paris, et à quelques encablures d’une élection qui ne mobilise souvent que les eurosceptiques, on meurt là-bas au nom d’une violente envie d’Europe.

Même si la situation intérieure ukrainienne ne doit pas être caricaturée ni réduite à un tropisme occidental, même si l’opposition est travaillée par des courants nationalistes, c’est le renoncement à un accord d’association et de libre-échange entre « la petite Russie » et l’Union européenne qui a mis le feu aux poudres. Si ce peuple est descendu dans la rue, c’est parce que l’Europe représente à ses yeux des valeurs particulières, qui parlent de libertés et de démocratie.

Ces valeurs-là sont débattues chez nous par les europhiles, et par les europhobes, dès qu’une élection se présente. On entend les premiers se souvenir des fondateurs, comme si ce rappel à la mythologie allait réveiller la foi. José Bové, interrogé ce jeudi sur France Inter, disait ainsi sa lassitude devant les discours eurosceptiques, au moment où un peuple aspirait à  plus d’Europe. Dans une autre émission, sur BFM, Florian Philippot, le vice-président du Front national, qualifiait d’« idiotie » la simple idée de sanctions, et soutenait qu’on avait fait des « promesses inconsidérées » à l’Ukraine.

Débat franco-français à l’ombre des émeutes. Il nous renvoie naturellement aux clivages du fameux référendum de 2005. Dans la réalité, que sont devenues les espérances d’après-guerre ? L’Europe, telle qu’on la parle au quotidien, au vingt et unième siècle, se bat-elle pour les idées qui mobilisent les foules de Kiev, ou pour bâtir des troïkas qui imposent aux nations leur tutelle économique ?

Dimanche, dans Mediapart, l’historien Yaroslav Hrytsak, interrogé par Antoine Perraud, disait que « l’Ukraine défend des valeurs européennes, à l’heure où l’UE ne semble plus obéir qu’à des intérêts bureaucratiques ». Ainsi la deuxième face du miroir ukrainien rappelle-t-elle à l’Europe le rêve qu’elle caressait, et qu’elle a perdu en route.

La troisième face est le prolongement des deux premières. Elle parlera d’un sentiment de trahison doublement éprouvé.

Trahison forcément ressentie par les révoltés d’Ukraine, qui pouvaient escompter que l’Union européenne intervienne plus fermement sur le plan diplomatique, puisque son accord d’association, combattu par la Russie, était partie prenante du déclenchement des manifestations.

Mais trahison de l’Europe vis-à-vis de son projet, et de son identité. Une réflexion qui devrait la renvoyer à ses devoirs intérieurs, et à sa ligne diplomatique. Savoir ce qu’on est pour savoir se projeter. Comme le conclut Yaroslav Hrytsak dans l’entretien cité plus haut : « Les Européens doivent comprendre que l’Ukraine n’est pas un défi, voire un poids pour l’EU, mais un test décisif : serez-vous au rendez-vous des valeurs dont vous vous réclamez ? Vous semblez y échouer jusqu’à présent. Nous espérons que vous allez vous rattraper pour rejoindre votre idéal, plutôt que de vous arrêter à des réflexes de boutiquiers et de douaniers »

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Pulseaudio partagé sur le LAN


Viewing all articles
Browse latest Browse all 2562

Trending Articles