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Le coup de poker de Bercy contre la taxe sur les transactions financières

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Au pire un nouvel échec, au mieux une déception. François Hollande et Angela Merkel ne sont toujours pas d’accord sur l’avenir de la taxe sur les transactions financières (TTF). Malgré leurs déclarations d'intention mercredi, à Paris, les deux dirigeants divergent toujours sur les modalités concrètes de cette taxe. Selon nos informations, Bercy a même fait une nouvelle proposition qui réduirait considérablement l'ampleur de ce symbole de la lutte contre la spéculation.

Officiellement, Hollande et Merkel veulent aller vite et conclure avant les européennes. Mais leur rencontre en marge du conseil des ministres franco-allemand mercredi à Paris n'a pas aplani les différends. Pire encore : le dossier est tellement enlisé que, ces derniers jours, la France a sorti du chapeau un dispositif très différent qui viderait pour partie de sa substance le principe même d’une taxe sur les transactions financières.

Selon plusieurs sources, Bercy a proposé à ses partenaires européens que l’impôt ne soit plus prélevé sur chaque transaction (à chaque vente ou achat d’action ou d’un produit dérivé), mais qu’une « taxe systémique » soit prélevée sur l’exposition des banques aux dérivés. Exit la TTF, qui serait alors remplacée par un simple impôt sur le bilan des banques, prélevé chaque année.

Avantage de la manœuvre : cela permettrait d’asseoir cette taxe sur une « assiette » large, comprenant tous les produits dérivés, ce que réclament les ONG. Mais ce scénario rapporterait nettement moins que le projet de la Commission européenne. « La baisse des recettes serait considérable », admet une source française. « Cette nouvelle proposition de Bercy serait sans doute plus simple à mettre en place qu’une TTF classique. Mais il faut bien comprendre qu’un impôt de ce type n’aurait aucun impact pour freiner la spéculation sur les marchés financiers », commente un bon connaisseur du dossier à Bruxelles.

En revanche, le montant de la collecte pourrait être supérieur aux projets a minima présentés par d'autres pays européens comme l’Italie. « C’est entre la proposition de la commission très large et mal ciblée et entre celle de l’Italie, qui est un truc minuscule », dit-on à Paris. Contacté, le cabinet de Pierre Moscovici n'a pas répondu à nos questions.

Depuis son élection, François Hollande a fait de la taxe sur les transactions financières un de ses objectifs pour « réorienter » l’Union européenne. Les discussions, entamées en octobre 2010 sous Nicolas Sarkozy, ont échoué entre les 27 États membres (aujourd’hui 28) mais onze d’entre eux, dont la France et l’Allemagne, ont décidé d’une « coopération renforcée » pour la mettre en œuvre.

La Commission leur a remis une proposition prévoyant une assiette large (y compris tous les dérivés, ces produits financiers qui contribuent largement à la spéculation boursière) pour plus de 30 milliards d’euros collectés chaque année. Mais elle provoque la fureur des milieux bancaires, qui possèdent de puissants relais auprès des gouvernements. Le projet de Bruxelles a ainsi été qualifié « d’excessif » par Pierre Moscovici et, ces derniers mois, la France bataillait en coulisses pour atténuer au maximum le champ d’application de cette “taxe Tobin”. Le mois dernier, un collectif d’ONG avait publié une lettre au président de la République intitulée « Hollande doit recadrer Moscovici ».

L’Allemagne, préoccupée par la Deutsche Bank, n’était pas non plus très allante mais le contrat de grande coalition entre la CDU d’Angela Merkel et le SPD de Sigmar Gabriel prévoit la mise en œuvre de cette taxe. Ces dernières semaines, Paris avait le mauvais rôle et semblait prêt à tout pour affaiblir la TTF. « Les positions étaient bloquées », admet un négociateur français. D’où la nouvelle proposition choc de Bercy. Pour l’instant, de source française, Berlin est réticente.

« C'est de la stratégie politique : la France espère déplacer la responsabilité de l'Allemagne sur le fait que les dérivés ne seront pas taxés. Bercy pourra toujours dire que ce sont les Allemands qui n'en ont pas voulu, que ce sont eux les mauvais », avance l'expert bruxellois qui a requis l'anonymat.

Un autre scénario est sur la table : celui d’une mise en œuvre graduelle de la taxe, prévoyant un élargissement progressif de l’assiette. Dans un premier temps, les 11 mettraient en place une taxe modeste, sur le modèle de ce qui existe déjà en France ou en Italie. Avant de monter en gamme, et d’élargir l’assiette.

À Bruxelles, ce scénario par étapes semble faire consensus : le commissaire européen chargé du dossier, Algirdas Semeta, l’a explicitement mentionné devant les eurodéputés le 4 février : « Il n’y aurait rien de mal à ce que l’on mette en place cette taxe de manière graduelle. » « Mieux vaut du super light que rien du tout. Si l’on avance pas tout de suite, même qu’un peu, cela risque d’être abandonné », résume-t-on au sein de l’exécutif européen, où l’on continue de redouter un enlisement total du dossier.

Paris et Berlin devront aussi se mettre d’accord sur l’affectation du produit de cette taxe – une autre pomme de discorde entre les deux capitales. La France veut pouvoir l’utiliser partiellement pour l’aide au développement et pour la conférence sur le climat prévue à Paris l’an prochain. Berlin est contre. « De toute façon, d’ici les européennes de mai, on repart pour trois mois de discussions ! Au moins, il y a un calendrier », dit un observateur dépité.

À l’issue de la réunion de mercredi, c’est même un des seuls points d’accord. Lors de sa conférence de presse, Hollande a indiqué que Paris et Berlin voulaient conclure « d’ici les élections européennes ». Avant d'ajouter : « Je préfère une taxe encore imparfaite que pas de taxe du tout. Le purisme peut être aussi une façon d’éviter d’appliquer, purement et simplement. » L’objectif serait de conclure en marge de la réunion des 28 ministres des finances de l’UE, prévue le 6 mai prochain à Bruxelles – soit deux semaines avant les européennes.

Mais ce calendrier est à prendre avec beaucoup de pincettes. D’abord parce que les précédentes dates butoir dans ce dossier n’ont jamais été respectées. Ensuite parce que d’autres États membres engagés dans cette « coopération renforcée », aux côtés de Paris et Berlin, semblent se poser, eux aussi, beaucoup de questions. C’est ce qu’a confirmé la réunion qui s’est tenue, mardi à Bruxelles, entre les 11 États membres volontaires : « Il y a eu plus de questions que de réponses, et souvent des questions très techniques. On ne peut pas dire qu’il y avait un enthousiasme énorme autour de la table... », raconte un diplomate d’un des États concernés.

« Les déclarations ambiguës, ça suffit. On a besoin d'action. Il faut un accord concret franco-allemand dès que possible, sur une assiette qui comprend les dérivés, et qui mentionne l'affectation d'une partie des recettes à la solidarité internationale », insiste Alexandre Naulot, d'Oxfam-France.

Autre obstacle : Londres a déposé un recours contre ce projet de « coopération renforcée » en avril 2013 devant la cour de justice de l’UE. Sans surprise, le gouvernement de David Cameron ne fait pas partie du dispositif à 11, mais il estime que, si cette taxe à 11 voit le jour, elle obligera les autres États membres à participer, malgré eux, à une partie de la collecte des fonds.

BOITE NOIREToutes les personnes que nous avons interrogées ces derniers jours ont souhaité rester anonymes. Le cabinet de Pierre Moscovici à Bercy, malgré plusieurs relances par mail et par téléphone, n'a pas donné suite à nos questions.

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