C’est presque devenu une tradition. À Boulogne-Billancourt, dans le département des Hauts-de-Seine si cher à la « Sarkozie », chaque nouvelle élection rime avec division. À peine remise de la bataille qui opposa Claude Guéant et Thierry Solère lors des législatives de 2012, la deuxième ville d’Île-de-France est de nouveau le théâtre d’un duel droite contre droite dans le cadre des municipales de mars. Après Neuilly, elle illustre à son tour la pagaille qui règne dans le « 9-2 » depuis 2008. Entre dissidences, jeux d’influences et spectre des affaires.
L’énième guerre intestine qui divise la droite boulonnaise oppose cette fois le maire sortant Pierre-Christophe Baguet, qui a reçu l’investiture et le soutien de l’UMP, à Pierre-Mathieu Duhamel qui, lui, a reçu… le soutien d’une bonne partie de ses ténors. Alain Juppé, Xavier Bertrand, Bruno Le Maire, Benoist Apparu… Jamais un candidat dissident n’aura récolté autant de cautions de son ancien camp – Pierre-Mathieu Duhamel s’est mis en congé de l’UMP le temps de la campagne. Le parti de l’opposition l’a prouvé à Paris : les mesures de suspension sont « une règle naturelle pour tous les dissidents ». Mais cette « règle naturelle » ne semble pas s'appliquer au-delà du boulevard périphérique.
« J’ai passé l’âge où je suis le petit doigt sur la couture du pantalon les décisions de la commission d’investiture de l’UMP », déclarait Alain Juppé au Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro, dès octobre 2013. Fidèle à celui qui fut son directeur de cabinet à Matignon, le maire de Bordeaux viendra d’ailleurs soutenir Pierre-Mathieu Duhamel en meeting à Boulogne, le 4 mars. L’un de ses plus proches collaborateurs, Gilles Boyer, figure même sur la liste dissidente.
« On nous met dans une situation dramatique », reconnaît Roger Karoutchi, interrogé par Mediapart. Le secrétaire départemental de l’UMP dans les Hauts-de-Seine souligne le fait qu'« une dissidence à Boulogne a forcément des répercussions sur le national » : « Il y a des règles et des exceptions à la règle. La real politique, c’est exactement ça. » Légèrement désabusé dès lors qu'il s'agit d'aborder le sujet des divisions du « 9-2 », il rappelle que « ça fait plus de vingt ans que de la droite se déchire à Boulogne sur un système fou qui consiste à dire “il n’y a pas de risque, donc on fait ce qu’on veut” ».
Georges Gorse contre Paul Graziani en 1991, Paul Graziani contre Jean-Pierre Fourcade en 1995, Jean-Pierre Fourcade contre Pierre-Christophe Baguet en 2008… À chaque élection municipale son duel droite contre droite. « À Boulogne, dès que vous avez un premier adjoint, il veut devenir calife à la place du calife, poursuit Roger Karoutchi. La gauche n’est pas un vrai danger, ça déresponsabilise. »
Les résultats électoraux n’ont d’ailleurs jamais démenti cette tendance. Car quels que soient le scrutin et les dissidences, la ville vote à droite à 70 %. « Ce n’est pas irréversible, veut croire le candidat socialiste Pierre Gaborit. La population boulonnaise change. Les gens commencent à se préoccuper d’autre chose que de ces querelles sordides. » Comme bon nombre de villes du département, l'UMP boulonnaise a, elle aussi, subi une baisse de 20 % de ses adhérents. « Sur l’année 2013, on est aux alentours de 1 500 personnes à jour de cotisation, précise le secrétaire départemental de l’UMP dans les Hauts-de-Seine. Ça ne s'est pas effondré comme à Neuilly, mais la crise est là. »
Crise ou pas, la droite ne se fait guère de souci quant à l’échéance de mars. « Le risque que Boulogne passe à gauche est très éloigné, assure le député UMP Benoist Apparu, venu soutenir Pierre-Mathieu Duhamel le 12 février, à l’occasion d’un café politique consacré au logement. C’est d’ailleurs pour ça que je soutiens le candidat dissident. Je ne l’aurais pas fait s’il y avait eu le moindre risque. »
Après Benoist Apparu, les équipes de Pierre-Mathieu Duhamel attendent donc la venue d’Alain Juppé, mais aussi celle de Xavier Bertrand et François Baroin qui devraient faire, début mars, une visite de marché aux côtés du candidat dissident. « Je vous mentirais si je vous disais qu’on n’est pas embarrassés par ce défilé de grands noms de l’UMP…, indique le secrétaire départemental de l’UMP dans les Hauts-de-Seine. La logique voudrait que j’aille à la réunion de Juppé, mais je n’irai pas. Il y a une règle établie par la commission d’investiture : on reconduit systématiquement les maires sortants qui en font la demande. On a donc respecté cette règle pour Baguet. »
Face au chapelet de soutiens de son adversaire, Pierre-Christophe Baguet a protesté devant le bureau politique de l’UMP, fin janvier. Et obtenu l'exclusion de deux colistiers de Duhamel, Guillaume Gardillou et Mathieu Barbot. « Je me retrouve à demander l’exclusion de lampistes, alors que tout le monde soutient la liste dissidente, note Roger Karoutchi. C'est un peu incohérent. » Le maire sortant de Boulogne a également mis en garde Jean-François Copé contre l’organisation d’écuries présidentielles en vue de 2017. « C’est vrai ailleurs en France, ajoute le secrétaire départemental de l’UMP dans les Hauts-de-Seine. Les Bertrand, Juppé, Baroin et consorts vont effectivement soutenir des candidats qui leur seront fidèles. Mais Boulogne, c’est une situation particulière. On est dans un réseau d’influences et d’amitiés. »
Dans ce « réseau d'influences et d'amitiés », figure notamment le député UMP et vice-président du conseil général des Hauts-de-Seine, Thierry Solère, sarkozyste de la première heure et tombeur de l’ex-ministre de l’intérieur Claude Guéant. L’élu, qui dirige aujourd'hui la campagne de Duhamel à Boulogne et figure en troisième position de sa liste, n’a pas été suspendu par le parti d’opposition, comme cela avait été le cas aux législatives de 2012.
Mieux encore, lors du conseil national du 26 janvier, ce proche de Bruno Le Maire a été élu au bureau politique de l’UMP, chargé notamment de préparer l’élection présidentielle de 2017. Le même jour, Gilles Boyer, le collaborateur d’Alain Juppé qui figure également sur la liste dissidente, a quant à lui été élu à la commission nationale des recours de l’UMP, qui examine les demandes de réintégration. À la tête de cette commission, on retrouve un proche de Xavier Bertrand, le député Gérald Darmanin, qui était présent aux vœux de Thierry Solère, le 28 janvier.
« Mon entrée au bureau politique de l’UMP était un message clair adressé à Baguet », s’amuse Thierry Solère, qui reconnaît s’être arrangé avec la direction du parti pour « éteindre l’incendie politique » de Boulogne, en demandant à Pierre-Mathieu Duhamel de se mettre en congé de l’UMP et en laissant deux de ses colistiers être suspendus. L’un d’entre eux, Guillaume Gardillou, connaît déjà l’issue de cette cuisine politique : « Duhamel va gagner les élections et on sera réintégrés d’office dès le lendemain », confie-t-il à Mediapart.
La direction de l'UMP aurait-elle définitivement perdu le contrôle de ses troupes à Boulogne ? « Copé navigue à vue », analyse Gilles Boyer. Pierre-Christophe Baguet a eu beau lui lâcher en bureau politique un « Jean-François, Boulogne, c'est à dix minutes de Paris à scooter, c'est où tu veux quand tu veux ! », nul n'est aujourd'hui en mesure de dire si le patron de l'UMP viendra ou non soutenir le candidat officiel du parti. « Baguet a dit qu’il souhaitait que des dirigeants du parti viennent, mais depuis, je n’ai pas eu de demande officielle, ni pour Copé ni pour personne », explique Roger Karoutchi, qui tente d'énumérer les éventuels soutiens du maire sortant : « Luc Chatel m’a dit qu’il pourrait venir à Boulogne. Henri de Raincourt aussi. Valérie Pécresse est pour Baguet, mais je ne sais pas si elle viendra. Et puis, il y a Fillon, mais il se déplace rarement dans les Hauts-de-Seine... »
Jusqu’alors silencieux sur le cas Boulogne-Billancourt, l’ex-premier ministre est sorti de sa réserve mi-janvier, lorsque Michèle Montiès, la femme de l’un de ses plus proches collaborateurs, Daniel-Georges Courtois, a quitté la majorité de Baguet pour rejoindre la dissidence de Duhamel. « Ça a un peu agacé Fillon, poursuit le secrétaire départemental de l’UMP dans les Hauts-de-Seine. Du coup, il a fait un petit mot à Baguet pour lui dire qu’il pouvait se prévaloir de son soutien. » Un SMS que les équipes de campagne du maire sortant se sont empressées de diffuser sur les réseaux sociaux.
Candidat investi par l'UMP, Pierre-Christophe Baguet continue à se prévaloir du soutien de son parti, mais aussi de celui de l'UDI, du MoDem, du Nouveau Centre et du Parti radical. Président de la communauté d'agglomération Grand Paris Seine Ouest (GPSO), le maire de Boulogne bénéficie également de l'appui des communes voisines. Du côté de Pierre-Mathieu Duhamel, on moque ces « seuls vrais soutiens » que sont le maire d’Issy-les-Moulineaux, André Santini, « son mentor politique », et le maire de Levallois-Perret, Patrick Balkany, qui « est monté au créneau pendant l’investiture ». « Bref, la crème des Hauts-de-Seine », plaisante un élu du département.
« Baguet est sur tous les mauvais coups », assure un élu boulonnais, qui rappelle la récente ouverture d’une enquête préliminaire visant le maire de Boulogne, révélée par Le Parisien. L’affaire remonte à janvier 2012. Renonçant à se porter candidat à sa réélection aux législatives, Pierre-Christophe Baguet adresse à ses administrés un courrier dans lequel il explique pourquoi il soutient Claude Guéant. À l’époque, l’édile assure avoir payé cet envoi sur ses « deniers personnels ». Mais selon des documents transmis à la justice, l'impression de cette lettre réalisée par une entreprise d'Issy-les-Moulineaux – pour un coût total de 30 000 euros – aurait été acquittée à hauteur de 20 000 euros par la municipalité, l’UMP ayant pris en charge les 10 000 euros restants.
« Des accusations mensongères, proférées dans un climat politique nauséeux, s’est défendu l'avocat de la ville, Mario-Pierre Stasi, cité par le JDD.fr. La facture a été adressée à l'UMP des Hauts-de-Seine, qui a transmis à l'UMP nationale. » Le 7 février, Pierre-Christophe Baguet a sorti un tract, copie de la fameuse facture à l'appui, pour prouver cette version des faits. Mais sur ce point pourtant, Roger Karoutchi est formel : « Le trésorier départemental a confirmé que nous n’avons jamais reçu cette facture, indique-t-il à Mediapart. Si elle était passée entre nos mains, même pour être transmise à l’UMP nationale, nous en aurions conservé une trace. »
Pour les soutiens de Pierre-Mathieu Duhamel, cette affaire pourrait davantage encore affaiblir la candidature du maire sortant de Boulogne. « Baguet était déjà très seul, mais ses ennuis judiciaires font que les trois ou quatre soutiens qui lui restaient s’éloignent à leur tour… », conclut Thierry Solère.
BOITE NOIRESauf mention contraire, toutes les personnes citées dans cet article ont été interrogées entre le 17 et le 19 février. Sollicité à plusieurs reprises, le maire de Boulogne-Billancourt, Pierre-Christophe Baguet, n'a pas donné suite à nos demandes d'interview.
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Pulseaudio partagé sur le LAN