Même ténue, c’est une victoire pour la famille d’Ali Ziri qui, depuis le 11 juin 2009, se bat pour savoir pourquoi ce retraité algérien de 69 ans est décédé, asphyxié, suite à son interpellation par la police d’Argenteuil. Mardi 18 février 2014, La chambre criminelle de la Cour de cassation a annulé l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles qui confirmait le non-lieu prononcé le 15 octobre 2012 par un juge d’instruction de Pontoise.
Comme souvent dans les affaires de violences policières, l’instruction s’est réduite à une bataille d’experts, sans aucun autre acte d’enquête. Alors qu’un premier cardiologue avait pointé une bien commode « cardiomyopathie méconnue », deux expertises ont ensuite mis en cause la technique du pliage. Un procédé que les policiers d’Argenteuil ont reconnu avoir utilisé pour maintenir le vieil homme durant le trajet vers le commissariat.
Dans son rapport de juillet 2009, l'ancienne directrice de l'institut médico-légal de Paris indiquait ainsi qu'Ali Ziri, fortement alcoolisé ce soir-là, était décédé « d'un arrêt cardio-circulatoire d'origine hypoxique par suffocation multifactorielle (appui postérieur dorsal, de la face et notion de vomissements) ». L’autopsie avait en effet montré une vingtaine d'hématomes sur le corps d'Ali Ziri, pouvant « correspondre à des lésions de maintien », ainsi que des signes d'asphyxie mécanique des poumons. En avril 2011, une nouvelle expertise confirmait : l'arrêt cardiaque d'Ali Ziri a bien été causé par « un épisode hypoxique (une diminution de la quantité d'oxygène apportée aux tissus – ndlr) en rapport avec les manœuvres d'immobilisation et les vomissements réitératifs ». Dans son avis de mai 2010, feu commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) avait-elle dénoncé comme «inhumain et dégradant» le fait d'avoir laissé Ali Ziri et son ami, interpellé en même temps, «allongés sur le sol du commissariat, mains menottées dans le dos, dans leur vomi, à la vue de tous les fonctionnaires de police présents qui ont constaté leur situation de détresse, pendant environ une heure».
Malgré cela, aucun des trois juges d’instruction qui se sont succédé sur cette affaire n’a jugé utile d’auditionner les policiers concernés, ni les témoins présents ce soir-là au commissariat. Ils n'ont pas non plus visionné la bande des caméras de la cour du commissariat qui montre selon la CNDS comment Ali Ziri a été «littéralement expulsé du véhicule» puis «saisi par les quatre membres, la tête pendante, sans réaction apparente, et emmené dans cette position jusqu'à l'intérieur du commissariat.» Aucune reconstitution n’a été réalisée.
Et, le 15 octobre 2012, le juge d’instruction Jean-Marc Heller refermait le dossier, écrivant tranquillement que l'enquête « n'a établi aucun acte de violence volontaire qui aurait été la cause directe ou indirecte du décès de M. Ali Ziri, ni aucune faute directe ou indirecte imputable à quiconque qui aurait involontairement causé sa mort ». Le 28 février 2013, la chambre de l’instruction confirmait ce non-lieu. Motif ? Les divergences entre les différentes expertises médicales et l’impossibilité de déterminer avec certitude la cause du décès. Dans la foulée, la chambre jugeait cependant inutiles les demandes de reconstitution, de visionnage des bandes des caméras du commissariat et d’audition des policiers…
Un peu court, l’a rembarrée, le 18 février 2014, la chambre criminelle de la Cour de cassation. « En se déterminant ainsi sans rechercher si les contraintes exercées n’avaient pas été excessives au regard du comportement de l’intéressé et si l’assistance fournie avait été appropriée, la chambre de l’instruction n’a pas justifié sa décision », tranche la plus haute juridiction. «C’est une première victoire depuis cinq années que cette affaire dure, se réjouit Me Stéphane Maugendre, avocat de la famille Ali Ziri. Il s’agit d’un véritable camouflet au Juge d’instruction qui n’a pas instruit correctement ce dossier malgré mes demandes. C’est aussi un camouflet à la chambre de l’instruction de Versailles qui s’est cachée derrière son petit doigt.»
Pour Me Paul Mathonnet, qui a plaidé devant la Cour de cassation, «cette affaire est très révélatrice non tant des problèmes d'usage de la force publique, mais des difficultés de l'autorité judiciaire à gérer ce genre d'affaires en toute impartialité». Y aura-t-il un jour un procès dans l’affaire Ali Ziri ? C’est désormais à la Cour d’appel de Rennes, désignée par la Cour de cassation, de trancher. Elle peut soit à nouveau confirmer le non-lieu, soit l'infirmer, soit demander des mesures d'instructions complémentaires.
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