Vous n’y échapperez pas. Voici le sondage Ifop le plus sensationnel, et le plus douteux de la campagne municipale. Dans les médias, il va alimenter jusqu’à plus soif les commentaires autorisés, et les questions bien informées, tout au long des débats de la journée. Or ce sondage n’a aucun sens. C’est l’Ifop lui-même qui le dit, mais à voix basse.
Parlons-en donc puisqu’on en parle. Il s’agit d’un sondage sur Hénin-Beaumont, et il frappera les esprits. Il est commandé par La Voix du Nord et par Europe 1, et contrairement au sondage CSA du 15 janvier qui donnait le Front national battu à 54-46, cette fois l’Ifop place en tête le candidat de Marine Le Pen, Steve Briois.
Briois l’emporterait au second tour avec 50,5 % des voix contre 49,5 % à Eugène Binaisse, maire sortant divers gauche, après être sorti en tête au premier tour avec 44 % contre 35 % à Binaisse, 5 % au Front de gauche, 8 % au divers gauche, 2 % au MRC, et 6 % à l’UMP.
Le candidat « bleu marine » élu dans la ville emblématique d’Hénin-Beaumont, tenue par le PS depuis la dernière guerre, vous imaginez l’impact ! Même un basculement de Paris, ou de Marseille, provoquerait moins d’émotion. Cette victoire, d’ailleurs possible, serait la preuve irréfutable d’un mouvement majeur dans la politique française : la fille de Jean-Marie Le Pen aurait donc réussi le pari de dédiaboliser le parti de son papa !
Le problème, c’est le sondage. Ou plutôt sa prétention millimétrique. Ainsi un institut en vue propose un résultat d’une précision d’un demi-point, et d’un écart total d’un point. À Hénin-Beaumont, si la participation devait être de 70 % le jour du vote, un point représenterait 140 électeurs, et le glissement d’un demi-point, celui qui ferait la bascule, serait de 70 voix !
Or que précise la notice établie par l’Ifop (tableau ci-dessous) ? Que le sondage est établi sur une base de 500 personnes, et que la marge d’erreur, pour un résultat qui flirte avec les 50 % est de 4,5 % !
4,5 en plus, ou 4,5 en moins.
Donc, à Hénin-Beaumont, la marge d’erreur est de 630 voix en plus ou en moins, et l’incertitude du sondage est de 1 260 voix.
Une erreur potentielle de plus de 1 260 unités mais un résultat proclamé avec un écart de 70 bulletins.
Répétons-le. Il se peut que le Front national emporte la ville d’Hénin-Beaumont, il se peut que l’événement ait une portée considérable, mais il se peut aussi le contraire.
Le problème n’est pas que des parieurs misent sur une hypothèse ou sur une autre, ils en ont le droit, c’est que ces bookmakers-là se fassent passer pour des sondeurs, c’est-à-dire des scientifiques, et qu’en dépit des marges d’erreur connues de tous mais négligées dans le même mouvement, les médias les plus sérieux donnent du crédit à ce qui est le pire ennemi de l’info, c’est-à-dire à l’intox…
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