Le Sénat, après l'Assemblée nationale, a adopté lundi 17 février la proposition de loi harmonisant le taux de TVA entre presse papier et numérique. La loi, votée dans les mêmes termes à l'Assemblée et au Sénat, à chaque fois à l'unanimité, est définitivement adoptée.
Selon cette proposition de loi examinée en urgence au Parlement, la TVA sur la presse en ligne, soumise jusque-là au taux normal de TVA de 19,6 % (20 % depuis le 1er janvier 2014), passe désormais à 2,1 %, le taux super-réduit auquel est soumis le reste de la presse.
Ce taux va s'appliquer dès le 1er février 2014, et concerne la TVA que les entreprises de presse en ligne vont acquitter à la fin de ce mois. Une instruction fiscale en ce sens a d'ailleurs été diffusée dès le 31 janvier, avant même le débat au Parlement.
« Le statu quo fiscal créerait une situation injuste », a souligné la ministre de la culture Aurélie Filippetti . « L'État ne doit pas entraver le développement du numérique (…) la presse en ligne contribue grandement à l'expression de la liberté d'informer, elle est une chance pour la démocratie. » Ce faisant, Paris va à l'encontre d'une directive fiscale européenne de 2006, en cours de révision. Mais la position française rejoint la jurisprudence de la Cour de justice européenne. Le Parlement européen et une dizaine de pays comme la Suède, l'Italie, la Belgique, et depuis peu le nouveau gouvernement allemand, sont favorables à la neutralité fiscale entre les différents supports de presse.
La réduction de TVA coûtera à l'État « moins de 5 millions d'euros par an », selon le gouvernement, un coût qui sera « plus que compensé au bout de trois années ».
« Une TVA dix fois plus élevée pour la presse en ligne relève du non-sens », a martelé la centriste Catherine Morin-Desailly. « C'est une mesure absolument nécessaire, mais tardive », a déploré Pierre Laurent (groupe communiste). Ces deux sénateurs ont déposé dans le passé plusieurs amendements sur le sujet, restés sans suite.
L'écologiste Marie-Christine Blandin, présidente de la commission des affaires culturelles du Sénat, s'est elle aussi félicitée de la mise en cause « des règles fiscales myopes » qui justifiaient l'inégalité de traitement entre presse papier et presse numérique. « Il y a quelques mois encore on nous brandissait la menace de sanctions européennes pour nous débouter », a-t-elle souligné.
De fait, il aura fallu le déclenchement en décembre 2013 de contrôles fiscaux touchant plusieurs sites de presse en ligne, dont Mediapart, pour que l'État se saisisse à bras-le-corps du dossier, après avoir, sous la droite comme sous la gauche, longtemps refusé les amendements parlementaires sur ce sujet.
La loi, qui contient deux articles, ne dit toutefois rien des contrôles et éventuels redressements fiscaux dont font l’objet plusieurs sites d'information, qui appliquent la TVA réduite depuis des années au titre de l'égalité entre tous les supports. Parmi eux, Terra Eco, Indigo Publications, Arrêt sur Images et Mediapart. Le site Dijonscope, visé par un contrôle fiscal, a carrément mis la clé sous la porte mi-2013. « Il serait dommage que le délai pris par les pouvoirs publics pour appliquer le taux réduit de TVA conduise à mettre en danger l'existence de certains titres », a déploré David Assouline.
L'écologiste André Gattolin, qui a plaidé pour un « dispositif d'amnistie fiscale circonstancié », a rappelé que Mediapart pourrait se voir réclamer au total 6 millions d'euros. « La situation est même pire pour Arrêt sur Images : le directeur général des finances publiques est presque devenu le directeur de la publication d'Arrêt sur Images », a résumé André Gattolin.
L'UMP Sophie Primas, favorable à la loi, a demandé un « aménagement, un étalement » des sommes dues par les « sites en infraction », mais pas la remise en cause des « redressements fiscaux en cours ». « Quel signal donnerions-nous au monde économique qui pourrait décider de s'auto-administrer ses taux d'imposition ! » a-t-elle dit.
« Les enquêtes fiscales ne font l'objet d'aucune instruction du gouvernement, ni dans un sens ni dans l'autre. La loi discutée aujourd'hui s'applique à partir du 1er février mais ne sera pas rétroactive », a conclu Aurélie Filippetti.
La profonde crise industrielle de la presse était bien entendu au cœur de la discussion. « La mutation numérique est vitale pour l'ensemble du secteur »,a insisté le socialiste Didier Marie. Comme d'autres sénateurs, Pierre Laurent (groupe communiste) a évoqué la crise actuelle à Libération. « Pour sauver Libération, son actionnaire tue le journal. » « La presse française connaît une crise inédite », a argumenté la ministre de la culture Aurélie Filippetti, rappelant les très mauvais chiffres de la diffusion de la presse en 2013 (-7 % pour les quotidiens nationaux, -5 % pour les quotidiens régionaux, et une forte baisse des ventes au numéro).
Il n'en reste pas moins que « sur le quasi milliard d'aides à la presse, une petite partie est consacrée à la presse en ligne », a rappelé le sénateur socialiste David Assouline. Chaque année, la presse touche 1,2 milliard d’euros d’aides directes et indirectes dont seulement 20 millions d’euros pour la presse en ligne (et zéro euro pour Mediapart). Un maquis d’aides, souvent mal ciblées, qu’aucun gouvernement n’a jamais osé remettre en cause.
BOITE NOIREMediapart, qui a toujours appliqué la TVA à 2,1 %, taux appliqué à la presse imprimée, est d'ores et déjà l'objet d'un redressement au titre de la TVA pour les années 2008, 2009, 2010. Par ailleurs, notre site est actuellement l'objet d'un contrôle pour les années 2011, 2012 et 2013.
Mediapart est à l’origine d'un appel pour l’égalité fiscale. Lancé en décembre, il a réuni près de 30 000 signatures.
Pour plus de précisions, lire les billets de blog d’Edwy Plenel : « Qui veut tuer Mediapart ? » (27 décembre), « Presse : la mobilisation pour l’égalité fiscale s’amplifie » (9 janvier), « TVA : une victoire pour toute la presse (et pour ses lecteurs) » (18 janvier).
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Pulseaudio partagé sur le LAN