« On a un gouvernement qui ne dit pas assez qu’on fait des trucs de gauche. Sur la lutte contre la pauvreté ou les allocations familiales… J’ai travaillé dans le privé, je n’ai pas de problème avec le pacte de responsabilité. Mais il faut expliquer qu’on ne va pas donner un blanc-seing au patronat. » Ces mots, prononcés en fin de semaine dernière par la députée de Rennes Marie-Anne Chapdelaine après une journée en circonscription, reviennent en boucle chez les socialistes à l’approche des municipales. Mais François Hollande n’en a cure : tout à sa stratégie de relance de l’économie, il préfère mettre en scène la réunion du « conseil stratégique de l’attractivité » et la réception à Paris de 34 chefs d’entreprise étrangers.
Ils sont arrivés dimanche, pour un dîner avec le premier ministre Jean-Marc Ayrault, avant d’être reçus lundi à l’Élysée, en grande pompe, par le président de la République, en présence de dix ministres. Ces patrons, venus des cinq continents et qui pèsent 850 milliards d’euros de chiffres d’affaires dans le monde, n’emploient que 100 000 personnes en France. Parmi eux, des géants comme Siemens, SAP ou Nestlé, des PME du numérique, mais aussi des fonds d’investissement comme Blackrock, la banque espagnole Santander, les cabinets de conseil Ernst and Young ou McKinsey, les fonds souverains du Koweït et du Qatar, ou encore le fondateur et président du Forum de Davos.
« Nous n’avons pas peur des capitaux qui viennent investir en France, nous ne voulons pas nous protéger, nous n’avons pas une conception qui serait étriquée de notre intérêt national », a expliqué lundi le président de la République, à l’occasion d’un discours dans la droite ligne de ses vœux du 31 décembre et de sa conférence de presse du 14 janvier, et de nouveau à mille lieues de celui du Bourget il y a deux ans.
Comme lors de son déplacement aux États-Unis la semaine dernière, François Hollande a vanté les réformes de compétitivité mises en place « depuis 20 mois ». Il a ainsi évoqué « la simplification, notamment du marché du travail » en citant l’accord dit de sécurisation de l’emploi (Ani) et la réforme de la formation professionnelle. « Nous continuerons à aller dans cette direction », a promis Hollande devant le parterre de PDG étrangers, avant d’encourager « la conciliation » en cas de licenciements. Le pacte de responsabilité « vise à poursuivre l’allègement du coût du travail, amorcé par le CICE » et « il faut aussi simplifier nos règles » ainsi qu’un « pacte de visibilité sur la trajectoire fiscale pour les entreprises et pour les ménages », a-t-il ajouté. Avant de lister les mesures concrètes pour attirer les investissements, notamment la fusion des deux agences qui s’en occupaient jusque-là et la création d’un « passeport talents » doté d’un visa de quatre ans.
Pour François Hollande, là est l’essentiel de sa mission. Lui qui a échoué à inverser la courbe du chômage avant la fin 2013 sait qu’il sera jugé à la fin de son quinquennat sur l’emploi. « François Hollande fait sa campagne de 2017 », analyse un député qui connaît bien le chef de l’État. Depuis le début de l’année, il veut se consacrer à cette seule tâche, quitte à jeter par la fenêtre la loi famille et à déstabiliser encore plus son électorat.
À l’Élysée, son entourage est convaincu que la France est à un tournant : 2013 a été mauvaise économiquement et les instruments mis en place, comme les emplois d’avenir et les contrats de génération, touchent à leurs limites. À défaut de marge de manœuvre budgétaire, parler aux entreprises et toper avec le Medef est à leurs yeux la seule issue. D’autant plus que les derniers chiffres sur les investissements étrangers en France sont mauvais, sans être catastrophiques (lire notre article). C'est la raison pour laquelle, dans ses discours récents, le président de la République choisit uniquement des mots et des références « pro-business », selon l'expression d'un ministre, et n'essaie pas de raccrocher ses mesures à l'imaginaire traditionnel du PS.
« Aujourd’hui être de gauche, c’est créer des emplois, d’abord et avant tout », explique-t-on dans l’entourage de François Hollande. « Le pacte de responsabilité est plutôt accepté par les ouvriers. À part dans une gauche très idéologisée, le discours n’est pas si critique », veut croire le très fidèle ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll.
Le « pari » de François Hollande repose d’abord et avant tout sur la « confiance », notion chère au chef de l’État. « La croissance, elle reviendra si la confiance est là, et vous êtes – investisseurs étrangers – un élément de cette confiance », a-t-il encore dit lundi. D’où la réticence de l’Élysée et de Bercy à mettre en place les fameuses contreparties exigées vis-à-vis du Medef de façon trop contraignante. « En économie, on n’a pas de sanction judiciaire ! Même en Chine ! L’engagement moral peut tenir lieu d’évaluation de politique publique. Et si cela ne marche pas, c’est nous qui serons sanctionnés par le peuple », explique un ministre de Bercy.
Et tant pis si, dans l’intervalle, le peuple de gauche est déboussolé, comme en témoignent les candidats aux municipales. Lundi sur France Info, la tête de liste PS aux européennes Édouard Martin a également exprimé ses réserves. « Je constate que le président essaie par tous les moyens de renverser une situation qui n'est pas simple. Maintenant moi je suis dubitatif. Je regarde, j'espère que ça va marcher », a-t-il expliqué. « On ne peut pas attendre tout de la seule baisse du coût de la main-d'œuvre qui, de mon point de vue, est un sujet un peu tronqué. Je suis gêné aux entournures car on ne parle plus que de ça. Le patronat européen donne le la », a ajouté l’ex-syndicaliste d’ArcelorMittal. Mais Édouard Martin est candidat aux européennes. François Hollande, lui, s'est déjà persuadé que les élections intermédiaires seront mauvaises et que seul compte le dernier scrutin, celui où son nom sera sur le bulletin. En 2017.
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