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Bettencourt-Mediapart: un appel contre la censure

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Il n’est pas question d’accepter l’arrêt de la cour d’appel de Versailles, rendu le 4 juillet et ordonnant à deux titres de presse, Mediapart et Le Point, de supprimer toute citation des fameux « enregistrements Bettencourt ». Vous êtes très nombreux, depuis maintenant une semaine, à nous faire connaître votre solidarité, à nous proposer d'héberger sons et articles relatifs à l'affaire Bettencourt. Et nous vous en remercions vivement.

Au-delà de nos lecteurs et abonnés, une large partie de la profession, des associations de défense des libertés, des syndicats professionnels s'inquiètent des lourdes conséquences de cette décision versaillaise sur la liberté d'informer. Ils s'inquiètent tout autant du flou des « considérants » – des explications – des magistrats de la cour d'appel, qui semblent tout ignorer des dynamiques propres à Internet, de la dimension participative de notre site, des enjeux de la révolution numérique.

Quarante-quatre titres de presse, associations et syndicats, ont ainsi décidé de lancer un appel intitulé « Nous avons le droit de savoir ». Cet appel, rendu public jeudi 11 juillet, lors d'une conférence de presse au siège de l'association Reporters sans frontières, à Paris, le voici :

Nous avons le droit de savoir

« La liberté de l’information n’est pas un privilège des journalistes mais un droit des citoyens. Dans une démocratie vivante, le pouvoir du peuple souverain suppose le savoir d’un public informé. Etre libre dans ses choix et autonome dans ses décisions nécessite de connaître ce qui est d’intérêt public, c’est-à-dire tout ce qui détermine et conditionne nos vies en société. 

S’agissant des affaires publiques, la publicité doit donc être la règle et le secret l’exception. Rendre public ce qui est d’intérêt public est toujours légitime, notamment quand le secret protège indûment des injustices et des délits, des atteintes au bien collectif ou aux droits humains. Ainsi la sécurité des Etats ne saurait empêcher la révélation de violations des libertés individuelles, pas plus que la sauvegarde de l'intimité de la vie privée, impératif par ailleurs légitime, ne saurait être l’alibi d’infractions aux lois communes.

C’est pourquoi il importe de défendre les journalistes professionnels, les sources d’information et les lanceurs d’alerte ayant permis la révélation de faits d’intérêt général qui, sans leur travail et leur audace, seraient restés inconnus du public. Les soutenir, c’est protéger et étendre un droit de savoir universel, garantie d’un renforcement de la démocratie mondiale à l’heure de la révolution numérique.

Pour toutes ces raisons, nous nous disons solidaires de Mediapart après la récente condamnation lui imposant de censurer, trois ans après leur révélation, ses informations sur l'affaire Bettencourt. En signe de protestation, nous faisons désormais nôtres toutes ces informations. Et nous encourageons les médias, les associations, les élus, les citoyens à les reprendre immédiatement et à les diffuser par tous les moyens démocratiques en leur possession. »

© (DR)

 

Voici également la liste complète des médias signataires (ils sont déjà 32) et celle des associations ou syndicats (une douzaine à cette heure). Contacté par nos soins, Le Point, qui s'était gardé de réagir à cet arrêt, nous a précisé qu'il ne souhaitait pas s'associer à cette démarche, ce que nous regrettons.

Médias 

Les hebdomadaires : L'Express, Marianne, Le Nouvel Observateur, Les Inrockuptibles, Politis, Charlie Hebdo

Les quotidiens : Libération, L'Humanité, Le Soir, quotidien belge, Le Courrier, quotidien de Genève

Les sites d’information : ArteRadio, Arrêt sur images, lexpress.fr, Mediapart, Rue89, Infolibre, site espagnol d'information, Marsactu, Electron Libre, Reflets, Aqui! Presse, Aqui.fr, Le Courrier des Balkans, Le Télescope d’Amiens, Factuel.info, Basta !, Edito+Klartext, le magazine suisse des médias, Ragemag.fr

Radio : Radio Nova

Les mensuels ou trimestriels : Regards, Terra Eco, Lyon Capitale, Polka Magazine, Causette, Mensuel le Ravi

Associations et syndicats : Association Anticor, Association de la presse judiciaire, Attac, Déclaration de Berne, association pour un développement solidaire, Lausanne (Suisse), Ligue des droits de l’Homme, The National Union of Journalists (branche française), Syndicat national des journalistes SNJ, Syndicat national des journalistes SNJ CGT, Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne SPIIL, Syndicom (syndicat suisse des médias et de la communication), Syndicat de la magistrature, La Quadrature du Net, Reporters sans frontières.

La liste des autres signataires, politiques et personnalités, se trouve sous l'onglet Prolonger. Vous pouvez vous-même signer cet appel ici.

L'objectif est de clairement signifier, par notre nombre, que la ligne jaune a été franchie en matière de droit à l'information, un droit fondamental de tout citoyen.

© (DR)

Cette décision judiciaire, contredisant deux décisions précédentes qui validaient l'utilisation de ces enregistrements au nom du droit légitime à l'information du public, a également été observée avec consternation par certains confrères étrangers. Plusieurs ont décidé de se joindre à cet appel. Ainsi le syndicat NUJ, The National Union of Journalists, basé à Londres et qui compte 30 000 adhérents, s'est indigné via sa branche parisienne de ce « jugement scandaleux délivré par trois juges de la cour d’appel de Versailles contre le site d’information Mediapart, concernant des révélations sur la femme la plus riche de France, Liliane Bettencourt ». « Ce jugement a des conséquences sérieuses pour les principes de liberté de la presse en France », ajoute James Overton, représentant du NUJ à Paris.

Le 4 juillet, aussitôt connue la décision de la justice versaillaise, les avocats de Mediapart, Jean-Pierre Mignard et Emmanuel Tordjman, annonçaient leur intention de se pourvoir en cassation contre cet arrêt nous condamnant « à des peines extrêmement lourdes tant sur le plan financier que sur le plan de la liberté d’expression » (lire un entretien ici). Pour rappel, cette décision nous ordonne, dans un délai de huit jours après que l'arrêt nous a été signifié, de supprimer toute citation, tout extrait des enregistrements clandestins réalisés par le majordome des Bettencourt, Pascal Bonnefoy. L'amende sera ensuite de 10 000 euros par infraction constatée. Par ailleurs, Mediapart est condamné à verser 20 000 euros de dommages et intérêts à Liliane Bettencourt et 1 000 à son ancien gestionnaire de fortune, Patrice de Maistre.

Outre la lourdeur des sanctions financières, nous avons souligné le dangereux flou entourant les conditions d'exécution de ce jugement. Le délai légal de huit jours, à partir duquel tous nos contenus doivent être supprimés, court au moment où l'arrêt nous est officiellement signifié. Cette signification – qui entraîne exécution du jugement – n'est pas automatique : c'est à Olivier Pelat, tuteur légal de Liliane Bettencourt, ou à Patrice de Maistre de décider d'enclencher ce processus. Concrètement, cela signifie qu'un huissier doit venir dans les locaux de Mediapart nous remettre l'arrêt de la cour d'appel.

Patrice de Maistre.Patrice de Maistre.© (Reuters)

 

À ce jour, Patrice de Maistre a effectivement décidé – à l'inverse de la famille Bettencourt – d'engager ce processus en procédant à la première étape : une « signification à avocat », c'est-à-dire que l'arrêt a été transmis à l'avocat de Versailles, correspondant des conseils de Mediapart. Mais cette décision ne nous a pas encore été signifiée, ce qui veut dire que le « compte à rebours » n'a pas encore débuté mais que ce peut être le cas à tout moment.

« Si Monsieur de Maistre fait exécuter la décision, précise notre avocat Emmanuel Tordjman, toutes les procédures seront mises en œuvre pour contester les conditions d'exécution de cet arrêt. » « Nous mettrons chaque magistrat devant ses responsabilités, expliquait dès le 4 juillet Jean-Pierre Mignard. Nous allons aussi demander solennellement à la famille de Madame Bettencourt, à son tuteur, de ne pas exécuter l’arrêt de la Cour. Nous leur demandons de constater que si Mediapart n’avait pas rendu publics ces enregistrements, aujourd’hui Madame Bettencourt, personne âgée, personne fragile psychologiquement, serait toujours entre les mains de ceux qui dilapidaient une partie de sa fortune à leur profit unique. »

L'exécution de ce jugement se heurte à de multiples autres difficultés. Concerne-t-elle tout ou partie des 800 articles de Mediapart faisant mention de ces enregistrements ? S'agit-il de supprimer également les près de 2 000 billets de blogs écrits par nos abonnés ? S'agit-il de supprimer les dizaines de milliers de commentaires ? À ce stade, l'arrêt de la cour d'appel ne le dit pas et un épais brouillard accompagne ces questions. « La généralité de l'obligation faite à Mediapart pose quantité de questions juridiques que nous entendons soumettre aux juges », précise Emmanuel Tordjman.

Ce n'est pas la seule absurdité de cette décision de Versailles qui nous ordonne, ainsi qu'au Point, de supprimer ces citations d'enregistrements quand tous les autres titres de presse, blogs, sites, etc., pourront continuer librement à les exploiter... Car comme l'a expliqué notre collègue Jérôme Hourdeaux (son article «Effet Streisand et Datalove» est à lire ici), le Web s'est d'ores et déjà emparé de la totalité du « dossier Bettencourt », désormais accessible sur de multiples sites de partage.

Un tweet posté par le journaliste Alexandre Herveau le 4 juillet à 17h21Un tweet posté par le journaliste Alexandre Herveau le 4 juillet à 17h21© Twitter

La présidente de la cour d'appel de Versailles, Marie-Gabrielle Magueur, a-t-elle pris la mesure des multiples disproportions, et incohérences, de cet arrêt qui fait régresser nos libertés ? C'est aussi ce que veulent souligner fortement les signataires de l'Appel « Nous avons le droit de savoir ». Et c'est pour toutes ces raisons que nous vous encourageons à le signer dès ce jeudi à partir de 11 h 30.

Notre dossier complet est ici et

PROLONGER Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Le PC est il mort?


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