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39 534 euros d'amende pour avoir manifesté contre le CPE

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Jusqu’il y a peu, la lutte contre le CPE (Contrat première embauche) était un très bon souvenir pour Fouad Harjane. Une des rares luttes de sa vie de militant à avoir débouché sur une victoire – Dominique de Villepin et Jacques Chirac ayant dû renoncer, face à la mobilisation de la rue, à leur réforme.

Sept printemps plus tard, Fouad Harjane est pourtant rattrapé par son passé. Il vient d’être condamné à verser 39 534 euros à la SNCF, pour avoir bloqué une voie de la gare de Metz pendant une heure, en 2006 (voir ici le jugement). Alors que le gouvernement a renoncé à une loi d’amnistie sociale, son cas pourrait être brandi par tous ceux qui, à gauche, continuent de la réclamer.

Fouad, 33 ans, milite à la CNT depuis l'âge de 17 ansFouad, 33 ans, milite à la CNT depuis l'âge de 17 ans© MH

Aujourd’hui âgé de 33 ans, disposant pour tout revenu mensuel de 483 euros de RSA, Fouad Harjane n’en revient pas. Dans le local rouge et noir de la CNT messine (Confédération nationale du travail), dont il est toujours un militant actif, il se remémore tout : les AG, les défilés, son interpellation. Pour lui, la lutte reprend, ou se poursuit ; sans compromis.

Des anti-CPE messins, il est le seul à avoir été condamné. Ce 30 mars 2006, jour même de l’anniversaire de Fouad, ils sont pourtant 800 manifestants, euphoriques, à sentir le pouvoir en passe de renoncer.

Fouad Harjane n’aime pas dire qu’il était « leader », mais revendique un rôle de cerveau, fort de ses expériences passées, « capable de rassembler des gens et de monter des actions » : Mouvement lycéen en 1997, Mouvement des chômeurs, grève à la fac en 2001, défilé contre les retraites… « On collait, on tractait, on savait faire une AG. Surtout, on avait une idée très précise des luttes, de ce qui marchait ou ne marchait pas. » Très vite, Metz fait partie des universités en pointe. Le blocage de la fac, qui s’étend un temps jusqu’au département de droit, « bastion de droite », dure deux mois et demi. Fouad Harjane fait partie des huit porte-parole nationaux. Il est présent à Lyon lorsque la Coordination étudiante décide de bloquer les axes économiques du pays et de ralentir les transports.

Le jour dit, en début d'après-midi, 200 étudiants messins partent vers le centre-ville, attirant les forces de l’ordre vers une mauvaise piste. Puis les 600 autres fondent vers la gare, où ils descendent sur la voie, vite rejoints par des cheminots. Pas de danger, de grandes torches rouges sont allumées. Mais les RG se font pressants : il faut s’en aller. « On a négocié une sortie par la grande porte, se souvient Aurélien, camarade de lutte, venu partager ses souvenirs dans le local de la CNT. On a même été applaudis par les voyageurs. Nous on criait : "Ça craint, ça craint, ça craint pour les rupins !"» Souvenir jubilatoire.

Une heure plus tard, pourtant, alors que les manifestants se dispersent, Fouad est interpellé devant le magasin Virgin, sur instruction du procureur. « Je ne m’étais pas rebellé, pas d’outrage donc. Mais ils m’ont collé au poste un délit d’entrave à la circulation ferroviaire. »

Dans les jours qui suivent, le gouvernement renonce au CPE. Victoire. « Semi-victoire, corrige Fouad. On espérait le retrait de toute la loi sur l’égalité des chances. Pas du seul article sur le CPE. » En septembre 2006, il est condamné à 150 euros d’amende pour délit d’entrave. Puis après une succession d’appels et de procès remis, il écope en janvier 2012 de 300 euros d’amende et 800 euros de frais de justice. Un jugement qui ouvre la voie à des réparations au civil.

La SNCF s’y engouffre, et demande des dommages et intérêts en se livrant à un savant calcul sur le nombre de trains impactés et le temps de retard cumulé. L'occupation de la voie aurait engendré 95,48 heures de retard à un coût de 414,06 euros/heure (selon un protocole interne). Plouf plouf, on multiplie. Résultat : 39 534,45 euros de préjudice. La SNCF ne supporte pas les retards de train, qu’on se le dise. La justice non plus, qui fait sien ce calcul. Au centime près. 

Fouad Harjane a fait appel. En attendant, il compte bien se faire entendre. Il a contacté la presse, décroché un premier article dans Politis. Il n’attend pas grand-chose de la SNCF et il a raison : celle-ci explique déposer systématiquement plainte en cas d’occupation des voies « pour faire prendre conscience aux gens qu’ils retardent des milliers de concitoyens. On est là pour défendre l’entreprise de tous les Français. Que le CPE ait finalement été retiré ne nous concerne pas. » Et le fait que la SNCF demande des dommages et intérêts alors qu’elle-même n’a pas dédommagé les voyageurs pour le retard occasionné ce jour-là ? « On ne se fait pas des bénéfices sur cette affaire si c’est ce que vous sous-entendez. Tout est réinvesti dans les trains et les gares. »

La solution pourrait donc seulement venir du politique. En mars 2006, peu avant la manifestation en cause, François Hollande, alors premier secrétaire du PS, défilait lui-même contre le CPE, demandait son retrait sans tarder et s'interrogeait : « Quand il y a des milliers et des milliers de citoyens, jeunes ou moins jeunes, quand toutes les organisations syndicales, représentées sans exception, quand de nombreuses associations d’étudiants et de parents d’élèves, sont aussi mobilisés, à quoi sert d’attendre la prochaine manifestation ? »

Fouad et Aurélien, dans le local messin de la CNT, refont la manif, sept ans plus tard.Fouad et Aurélien, dans le local messin de la CNT, refont la manif, sept ans plus tard.© MH

Qu’en pensent aujourd’hui les socialistes ? Le débat sur une possible « amnistie sociale » a agité la majorité au printemps, avant d’être enterré. À Metz, certains des manifestants de l’époque ont aujourd’hui pris des responsabilités au PS comme Gérald Lebourg, devenu maire-adjoint à Algrange : « À titre personnel, je suis favorable à une amnistie sociale. Et sur ce cas précis, il est absurde que Fouad porte sur lui la responsabilité d’une action collective, votée au cours d’une AG. Sans compter qu’on avait le soutien de la population. »

Le fait que le CPE ait été retiré quelques jours après les faits renforce cette conviction. Gaël, ami de Fouad, ex-manifestant aujourd’hui militant au NPA, y voit le signe d’une cause juste : « Le retrait montre qu’on avait raison de se mobiliser ainsi. La décision de justice est d’autant plus ridicule. »

Au gouvernement et parmi les parlementaires, malgré nos sollicitations, on ne se bouscule pas pour prendre position sur le sujet. Car l’Élysée n'en démord pas, il n’y aura pas de loi d’amnistie collective, au motif qu’il serait trop compliqué de circonscrire le texte, le type de peines, les conséquences. François Hollande s'est dit prêt à examiner des « cas exceptionnels ». Mais il ne profitera pas de ce 14 juillet pour renouer avec la tradition de la grâce présidentielle le jour de la fête nationale. 

Il faut dire que les principaux concernés ne l’ont pas demandé. Fouad Harjane défend un dispositif bien plus large : « Il faut être égalitaire et amnistier tous les faits commis depuis 2002 dans le cadre de mouvements sociaux progressistes, que ce soient des actes individuels ou collectifs : les faucheurs d’OGM, ceux qui refusent les prélèvements ADN… Il ne faut pas une amnistie seulement pour les actes médiatisés. » Selon lui, si le gouvernement refuse l’amnistie, c’est parce qu’il ne veut pas envoyer un signal de « laxisme » avant de possibles mobilisations sur les retraites.

À la CGT aussi, on refuse d’entrer dans le processus des grâces individuelles et de soumettre des noms. « Ils ont essayé d’éteindre l’incendie en évoquant cette procédure mais ils se sont foutus de nous, dénonce Jean-Pierre Gabriel. Les grâces présidentielles sont tellement limitées par le droit qu’elles ne pourraient concerner qu’un nombre de cas très faible. Le lobbying phénoménal du patronat a eu raison de l’amnistie. Du coup, on demande aux partis de gauche de présenter à l'automne un texte de loi qui encadrerait de façon préventive les actions collectives pour mettre fin aux arrestations arbitraires. »

En attendant, Fouad Harjane a fait appel. « C’est une somme astronomique que je ne peux pas payer. Pour moi, la fin du mois, elle est au début. Alors 40 000 euros… Tant que je suis au RSA, a priori, personne ne peut saisir l’argent qui m’est versé. Ça me dissuade juste de chercher de nouvelles missions d'intérim. » Pas de manifester.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Le PC est il mort?


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